Un livre portant témoignage d’un événement : la rencontre entre Jean-François Lyotard, le penseur des incompatibilités et de la non conciliation, et de jeunes philosophes, plutôt mordants. A lire posément, en écoutant des fragments de Schönberg, Cage et Berio dans les interludes. Un livre que je suis très heureuxd’avoir publié…
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Lyotard à Nanterre, sous la direction de Claire Pagès, Paris, Continents philosophiques*, Klincksieck, 2010.
4e de couverture :
Début juin 2008, les doctorants de philosophie de l’université Paris X (Université Paris Ouest-Nanterre-La Défense) consacrent leur séminaire commun à Jean-François Lyotard (1924-1998) qui fut un temps, autour de 1968, une figure marquante de leur département.
Occasion pour ces jeunes chercheurs d’interroger la pensée de ce philosophe des plus singuliers qu’ils n’ont pas connu personnellement ; de revenir à froid sur l’événement qu’elle n’a cessé d’être dans sa discontinuité parfois déroutante ; de lui rendre justice (ce qui ne veut pas dire l’approuver) au-delà de ce postmoderne qui l’a grandement fait connaître et méconnaître à la fois.
Dix-sept textes portant sur différents aspects de l’œuvre de Jean-François Lyotard, préfacés par Jean-Michel Salanskis, sont rassemblés ici : (I) le rapport de Lyotard à Husserl, Levinas et Wittgenstein ; (II) l’esthétique ; (III) l’articulation entre esthétique et politique ; (IV) les élaborations des notions de figure et de langage ; (V) la philosophie politique ; (VI) la notion d’enfance.
Le recueil se clôt sur un article de Jean-François Lyotard, « Essai d’analyse du dispositif spéculatif », introduit par Corinne Enaudeau.
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Extraits de la préface de Jean-Michel Salanskis :
Le philosophe de la dépossession
Jean-François Lyotard est à la fois bien à sa place dans la constellation des « philosophes subversifs » des années 1960-1970, dont il affiche la plupart des traits spécifiques, peut-être même en les majorant, et rebelle à une telle insertion. C’est que, chez lui, cette personnalité intellectuelle apparaît dans ce qu’elle a d’impossible : on serait tenté de dire qu’il fait la même chose que les autres, mais en expérimentant et en montrant que cela ne marche pas. Sans qu’il soit permis, dans son cas, de conclure de façon rassurante que, si cela ne marche pas, c’est encore une façon de marcher.
Né en 1924 – presque en même temps que Deleuze et Foucault, donc, et six ans avant Derrida – il est venu à la notoriété dans la foulée des événements de Mai 1968, dont il avait été plus qu’un acteur à l’université de Nanterre où il enseignait alors : une autorité, une inspiration politique. Il partageait, notamment, l’expérience militante et intellectuelle, alors nouvelle, du Mouvement du 22 mars. Les écrits de sa percée sont, d’une part, quelques articles remarqués parus dans diverses revues, d’autre part et surtout, l’ouvrage Économie libidinale qui l’a propulsé sur le devant de la scène : un tel ouvrage exprimait, à n’en pas douter, une conception inouïe du radicalisme social et politique. La notoriété acquise avec ce livre a placé de manière stable Lyotard dans l’assiette de la célébrité, même si ceux qui connaissent et aiment sa pensée déplorent que son image ait été pour de longues années fâcheusement figée par ce succès même […]
[…] il faut maintenant que nous […] disions un aspect exceptionnel, anormal peut-être [de son itinéraire]. Le non standard de la vie philosophique de Jean-François Lyotard est qu’il y a véritablement changé de pensée, plusieurs fois, beaucoup plus qu’il n’est usuel pour un philosophe : je crois pouvoir discerner cinq périodes de sa pensée, chacune correspondant à une remise en chantier authentique et profonde de la problématique, des thèses, des références. Or, une telle mutabilité n’est pas ordinaire. Bien souvent, les auteurs consacrés par l’histoire s’imposent précisément en raison d’une sorte de noyau intellectuel qu’ils ont martelé toute leur vie, et qui rayonne dans l’immense majorité de leurs écrits […]
Ce n’est pas faire injure à Derrida ou à Deleuze, il me semble, que de remarquer que la pensée de l’écart auto-réfutant auto-décalant (la différance) joue ce rôle chez le premier, ou que celle de l’agencement divergeant remplit une telle fonction chez le second […] On aura bien du mal à énoncer quelque chose de semblable chez Lyotard, tant les motifs de cette espèce que l’on trouve chez lui se voient contestés de l’intérieur par d’autres moments de l’œuvre (devrait-on nommer le figural, la bande libidinale, le « Arrive-t-il ? », la phrase-affect ?). Lyotard ne se laisse pas analyser, non plus, en un premier et un später Lyotard, comme c’est volontiers le cas dans la philosophie contemporaine : le später étant, généralement, celui qui déconstruit ce qui restait de simplisme rationaliste chez le früher […]
Prix : 31 €
* Continents philosophiques a déjà publié Levinas à Jérusalem, sous la direction de Joëlle Hansel (2007), et Heidegger, le mal et la science de Jean-Michel Salanskis (2009).
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A signaler : un gros dossier Derrida dans le numéro 498 (juin 2010) du Magazine Littéraire, dans lequel on peut lire un important extrait du Derrida de Jean-Michel Salanskis, récemment paru aux Belles Lettres, dans la collection Figures du Savoir (voir, ici-même, Promotion de printemps 2010 (1), mis en ligne le 26 avril 2010).
http://www.aps-presse.fr/download/BELLES_LETTRES/belleslettres2805b.pdf
2 commentaires:
Si je puis me permettre, je croisais JF "Le Prince" en sortant d'une conférence baclée qu'il donna at THe Sorbone 3 ans avant sa mort....puis , par Bonheurs juste une année avant sa disparition.... Nous parlâmes de ces 25-ou 30 années de ce bout de chemin(c'est son expression) que nous fîmes together...et la seule question qu'il me posa(LUI, mon ex directeur de thèse à paris 1), c'est" Mais pourquoi donc lis tu encore mes livres...tu as bcp mieux à faire!"...Moi, de protester.
Nous nous sommes serrés trés trés fort l'un contre l'autre, une dernière embrassade...puis il partit...Nous laissant encore un peu plus seul....
Mon tour arrive(chouette) et je me fais une JOIE de retrouver Gilles et JF....
Bien à vous et surtout amusez vous bien
best regard from
La Jolla
rp
Richard P. est un artiste, il s'y connaît en formes et en déformations... Lyotard prenait souvent leçon des
artistes dont il s'inspirait pour repérer les tristes retombées de trouvailles en codes. S'étonner qu'un artiste lise ses livres était une façon de les inciter à séjourner dans la dépossession, dans l'incompréhension et à enchaîner sur elles, plutôt que de s'arrêter sur elles et tenter - qui y résiste à l'ère de la "communication" ? - de les réduire ou, pire, les surmonter, devenant ainsi capables de dire des choses intelligentes sur leur "oeuvre". Dès Discours, figure, Lyotard déplorait de n'avoir pu que signifier le sens dans toutes ses distorsions, "pauvre" philosophe qu'il était, insuffisamment artiste à son goût... Raison de plus pour le lire, le relire et l'affronter, surtout quand on n'a pas commerce "naturel" avec les formes.
RZ
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