vendredi 30 avril 2010

Donner la trace de la mort ou donner la mort (I)


Dans le cadre des Champs de la réflexion, Champs Libres, en partenariat avec la Société Bretonne de Philosophie (représentée par Nathalie Monnin, Patricia Heulot-Limido et Denis Kermen) a organisé à Rennes, fin janvier 2010, un cycle de conférences autour du thème : « Tu ne tueras pas ».

Philippe Réfabert, psychanalyste à qui le11èmeblog a souvent ouvert son espace (voir, par exemple, De la psychose normale ou encore de l’aptitude au transfert inversé I et II, mis en ligne les 12 et 16 mai 2008), est intervenu le 30 janvier, après avoir dialogué ès qualité avec le directeur du centre Sèvres, le théologien Paul Valadier.

On trouvera ci-dessous sa communication. R. Z.


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[Voici le plan de l’exposé :]

1) Je ferai une lecture de la ligature d’Isaac[1] comme du récit sous lequel se lit une injonction paradoxale fondatrice. Le récit, bien connu pour relater d’une part la grandeur d’âme d’Abraham et d’Isaac et d’autre part le miracle d’une intervention divine qui interrompt cette cruelle épreuve, peut aussi se lire comme le récit où on voit un père soutenir l’injonction paradoxale « tue et ne tue pas ». De la situation ainsi créée père et fils échappent, comme échappe un escalier, en offrant un bélier en sacrifice à Dieu. Cette symbolisation du meurtre du père imaginaire donne lieu à la succession des générations et à la coexistence du père et du fils. Un tel père a fait don de la trace de la mort à son fils.

2) En opposition à ce récit je parlerai de la clinique psychanalytique du meurtre d’âme. Celle où l’enfant est confronté à une injonction paradoxale explicite. « Je veux qu’il veuille apprendre », « je veux qu’il soit spontané » « je t’ai offert deux cravates, une jaune et une bleue, tu as mis la cravate bleue, tu n’aimes pas ta mère », toutes injonctions qui sont autant de double-binds qui figent l’enfant sur place si un témoin ne dénonce pas le piège qui est ainsi tendu. Le meurtre d’âme est aussi cet événement où un enfant subit un coup tel qu’il n’en a pas le souvenir parce que ses possibilités d’inscription psychique étaient transitoirement annihilées. À l’instant il était comme mort psychiquement. Pour illustrer cette clinique du meurtre d’âme je reprendrai le récit de Kafka intitulé « Le Verdict »[2] où je lis l’antithèse de la ligature d’Isaac. Là un père donne la mort au fils. Il meurtrit l’âme de son fils.

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Je tiens avec Winnicott[3] et Freud que la figure du paradoxe va de pair avec l’existence, qu’elle lui est connaturelle. Pour Winnicott – et c’est pour cette raison que je commence par lui –, la figure du paradoxe caractérise l’espace potentiel où l’enfant et la personne qui assure la fonction maternelle sont en relation. Une relation particulière puisque la « mère suffisamment bonne »[4] est celle qui présente le sein (ou le biberon) au moment et là où l’enfant peut le créer. C’est là une contribution majeure de Winnicott à la pensée psychanalytique. Ici le sein est tout d’abord partie de l’enfant et la mère « suffisamment bonne » est celle qui donne à l’enfant l’illusion – vitale –, que le sein fait partie de lui, un sein perçu par lui pour autant qu’il « ait pu être créé exactement ici et maintenant ». Quant à la mère, elle « donne du lait à un enfant qui est partie d’elle-même ».

Cette aire de l’illusion est une aire neutre d’expérience où l’enfant exerce sa capacité de jouer et de créer. Quant à l’objet transitionnel, cet objet tout à la fois moi et non moi, c’est celui qui vient donner corps à l’aire de l’illusion où le principe du tiers exclu n’a pas cours[5]. Cette aire, préservée tout au long de la vie de l’individu, se prolongera dans le champ de la création, qu’elle soit technique, scientifique ou artistique. De l’objet transitionnel, on peut dire qu’il est le lieu d’un accord passé entre le parent et l’enfant selon lequel il ne lui sera pas demandé si cet objet il l’a conçu lui-même ou s’il lui a été présenté de l’extérieur. L’important, dit Winnicott, c’est de n’attendre aucune décision sur ce point et, plus encore, « de ne jamais formuler la question »(The question is not to be formulated).

Il en est de même de l’image et du sein. Quand la mère suffisamment bonne regarde son nourrisson, elle le mange… [des yeux] et ne le mange pas. Ce couple manger/ne pas manger ne se résout pas mais échappe, et ce dans la formation de l’image que la mère se fait de l’enfant. C’est dans le regard maternel que l’enfant se mire et crée l’image de lui-même. Mon image est mienne d’avoir transité par l’autre maternel. Si la mère est crispée sur ses défenses, si elle est appliquée à faire obstacle à la résurgence d’une expérience traumatique, si elle est coupée de l’expérience qui la fonde, alors l’enfant voit. Et il voit quoi ? Le visage de la mère, objectivement. Un tel enfant est privé de la capacité de jouer à créer sa propre image. C’est à de telles expériences que fait penser la jeune fille schizophrène qui cherche en vain dans le miroir un reflet de son visage.

Chacune des parties de l’entité psycho-corporelle existe d’avoir été investie libidinalement par l’autre, d’avoir été vue, accueillie et réfléchie par l’autre, l’autre maternel.


Illustration clinique


Un collègue analyste qui travaille dans un hôpital de jour m’a rapporté une scène qui peut être lue comme une illustration clinique de ce procès. Il me parlait d’une jeune fille de 13-14 ans dissociée à qui on fait des enveloppements humides. Cette enfant, dont le regard plafonne, qui a des stéréotypies, qui s’automutile et engloutit ses aliments plus qu’elle ne les avale, quand elle urine, elle le fait certes le plus souvent dans les toilettes mais à côté de la cuvette. Un jour, au cours d’un enveloppement elle exige d’uriner dans la bassine où les soignants humidifient les draps. Après s’être rapidement concertés ils acceptent. De ce jour elle n’a plus uriné n’importe comment dans les toilettes. Elle avait créé l’enveloppement humide qui lui convenait. Elle s’était appropriée ses urines.

Cela pour dire que les urines, comme toute partie du corps, n’appartiennent au Moi que d’avoir été reçues par l’autre. Tout objet pour devenir mon bien propre doit avoir été accueilli comme don et restitué. Rien de ce qui m’est propre ne saurait l’être sans avoir trouvé en l’autre son lieu, sans avoir été retourné par l’autre. Radicale dépendance de l’autre pour s’appartenir, en propre. Ici nous nous rattachons au continent de pensée de Levinas qui dans un sens prolonge celui que Freud a abandonné après l’avoir découvert[6].


Deuxième illustration clinique


Hortense, sous ce nom je désigne une analysante chez qui la haine, le vœu de tuer, n’avait pas trouvé de lieu psychique en l’autre, n’avait pas trouvé d’inscription en elle. Pendant plusieurs semaines à raison de deux séances par semaine, Hortense s’était tenue en face-à-face dans une position silencieuse et renfrognée, refusant toutes les interventions de l’analyste et ses invitations à parler.

Tout ce qu’il disait était récusé ou tourné en dérision. Il avait envie de l’envoyer au diable et pendant des séances entières se défendit comme il put d’éprouver ce sentiment très désagréable, tout-à-fait inavouable, un sentiment qui se résumait par la formule « elle est à tuer ».

Il chercha pendant deux semaines ce qui pouvait nourrir en lui un tel sentiment. Jusqu’au jour où il put lui dire – et il n’en menait pas large –, qu’elle lui faisait ressentir de la haine. Il ne se souvient plus quelle formule il a employée, il pense avoir dit d’abord : « Vous me faites ressentir de la haine » ou « quelqu’un ressent de la haine pour quelqu’un ». Quelle ne fut pas sa surprise de voir le visage d’Hortense s’éclairer d’un sourire qu’il ne lui avait pas vu depuis longtemps. « Enfin quelqu’un qui ose me le dire. Je vois que je suscite ce sentiment partout où je passe ».

Dans cette séquence l’analyste lui avait fait don – un don payé à son prix –, de la capacité de nommer un sentiment qui n’avait pas eu droit à l’existence chez ses parents. Hortense de son côté, plus tard, en interrogeant des proches de la famille, apprit qu’elle avait été nourrie à l’entonnoir jusque tard dans l’enfance après la naissance d’une petite sœur. Pendant plusieurs mois elle avait refusé de manger et avait été gavée de force.

Le vœu de tuer cette petite sœur lui avait été interdit. Il n’avait pu se former faute de pouvoir être pensé, voire dit. La motion psycho-corporelle était restée sous forme de sensation, interdite de traduction. Interdite d’existence. Ses parents avaient opposé une fin de non recevoir aux appels que l’enfant faisait pour que ses sentiments nourris à l’égard de sa sœur soient accueillis.

*

L’injonction paradoxale « tue et ne tue pas », camouflée en une épreuve où un père est appelé à immoler son fils aimé, est une réplique de l’injonction originelle énoncée par YHWH sous couvert de faute originelle. Mange de tous les arbres du jardin et ne mange pas de l’arbre de la connaissance du bon et mauvais[7], arbre compris dans l’ensemble de « tous les arbres » et dont il convient donc de manger et de ne pas manger.

Là, sur le mont Moriah, l’instance paradoxale, que l’univers romano-chrétien désigne du nom de « Dieu », demande à Abraham de tuer son fils Isaac : « fais le monter en holocauste », et de ne pas le tuer : « n’envoie pas ta main sur le garçon et ne lui fais rien ». Le prix à payer pour échapper est double : d’une part Abraham paye de sa personne, il souffre ; d’autre part, il offre un bélier. Le bélier offert en métaphore, en porteur de sens, est un animal adulte. À ce titre ce sacrifice symbolise le meurtre du père imaginaire où l’on peut reconnaître le père de la horde primitive du récit de Freud[8]. Abraham est celui qui sacrifie sa toute puissance, le caractère illimité de son pouvoir, et accepte la succession des générations, qui donne corps à la temporalité. Il donne, symboliquement, la trace de la mort à Isaac en donnant la mort au père imaginaire qu’il porte en lui[9].

Chez Freud, la figure de l’injonction paradoxale originaire se trouve loin de l’origine, au temps de la résolution du complexe d’Œdipe. Il en est ainsi dans toute l’histoire des sciences où le fondateur se place loin de l’origine et laisse à ses successeurs le soin de s’en approcher, comme en astrophysique celui de s’approcher du big bang. Ainsi dans le corpus de Freud cette figure paradoxale trouve sa formulation la plus claire dans Le Moi et le Ça, en 1923. Elle s’énonce ainsi : « Tu dois être ainsi (comme le père), [et] tu ne dois pas être ainsi (comme le père) ». Tu dois être comme lui, tu dois avoir toutes ses qualités et tu ne dois pas prétendre à sa qualité d’époux de sa femme, ta mère. La conjonction “et” se retrouve ici à la même place que dans le paradoxe originel « de tous les arbres tu mangeras et de l’arbre de la connaissance […] tu ne mangeras pas ». De telle sorte que l’enfant a le loisir de jouer à être, comme son père, l’époux de sa mère avant que ne lui soit révélée l’impossibilité de l’être.

Non pas l’interdiction mais l’impossibilité. L’important ici encore est que l’interdiction ne soit pas formulée à l’enfant mais qu’elle se révèle à lui. L’interdit ne saurait être formulé parce que « ce qui peut être montré ne peut pas être dit » comme l’énonce Wittgenstein dans son Tractatus. L’interdiction n’est pas posée mais si les conditions sont remplies, si les deux parents ont soutenu leur fonction, c’est-à-dire s’ils ont protégé l’aire de l’illusion où règne un autre principe que celui du tiers exclu, l’enfant a le loisir d’échapper et de s’approprier une singularité de fils, position où s’intriquent continuité et discontinuité. Il est un et différent et en même temps semblable.

A suivre…

Notes :


[1] [A propos de Genèse 22, où Abraham est mis à l’épreuve par Dieu et commandé d’offrir son fils Isaac en holocauste, la tradition juive ne parle pas de « sacrifice » (où se lit l’influence de la lecture chrétienne du passage biblique identifiant le bélier, l’agneau pascal et Jésus) mais de « ligature » (en hébreu akeda) : Isaac a été lié, certes, mais il a été épargné, comme on sait. RZ. ]

[2] [F. Kafka, Le Verdict (Das Urteil) 1913, tr. Fr. Pierre Klossowski et Pierre Leyris, Bifur n° 5, 1930. RZ]

[3] [Donald W. Winnicott (1896-1971), pédiatre, psychiatre et psychanalyste britannique, auteur notamment de Processus de maturation chez l'enfant (1965) et Jeu et réalité, l'espace potentiel (1971). On lui doit la mise en évidence de l’espace transitionnel, espace potentiel, situé entre le bébé et sa mère, et de l’objet transitionnel qui se tient dedans/dehors (le « doudou » par exemple) et permet à l’enfant d’« apprivoiser » le monde. RZ]

[4] [Nom d’un ouvrage de Winnicot paru en 1953, The good-enough mother. RZ]

[5] [Principe du tiers exclu : de deux propositions contraires, si l'une est vraie, l'autre est nécessairement fausse, et réciproquement. RZ]

[6] Lire sur ce thème : Monique Schneider, « La proximité chez Levinas et le Nebenmensch freudien » in Emmanuel Levinas, Les Cahiers de l’Herne, Editions de l’Herne, Paris, 1991.

[7] Genèse 2, 9 : « Il fit pousser du sol toutes sortes d'arbres à l'aspect agréable et aux fruits délicieux. Il mit au centre du jardin l'arbre de la vie, et l'arbre qui donne la connaissance de ce qui est bon ou mauvais ».

[8] Cf. S. Freud, Totem et tabou (1913). Dans ce récit aucun père n’est tué mais un chef de horde. Le lendemain les frères le désignent du nom de « père », à titre posthume.

[9] Le fait que l’animal sacrifié soit un bélier, un mouton adulte et non un agneau, me conduit à poser que contrairement à ce que pensent les lecteurs pressés et friands de différence tranchée, la tradition juive connaît ce que Freud a théorisé sous les espèces du « meurtre du père ». Elle le soutient sans le formuler explicitement, comme l’« assez bonne mère » chez Winnicott soutient l’illusion créatrice de l’enfant sans jamais formuler « la » vérité.




Donner la trace de la mort ou donner la mort (I) © copyright 2010 Philippe Réfabert

lundi 26 avril 2010

Promotion de printemps 2010

Voici 2 livres consacrés à deux monuments de la pensée, Derrida et Lévi-Strauss, deux éminents représentants du style français – qui est en train de se perdre après avoir tant irrité ; deux livres qui essayent de rendre justice à ce philosophe séduisant et controversé, à cet ethnologue hautain, héraut du structuralisme ; deux livres que je suis fier et triste d’avoir publiés dans Figures du Savoir, parce que cela signifie d’abord que ces deux auteurs ne sont plus.

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1) Derrida par Jean-Michel Salanskis, Figures du Savoir n° 47*, Les Belles Lettres, 2010, monographie consacrée au grand professeur de philosophie que l’université française n’a jamais reconnu, au penseur de l'archi-écriture, de la différance et de la déconstruction.









4e de couverture :

Jacques Derrida (1930-2004) n'est pas seulement un membre de la génération subversive des années 60-70, il a en quelque sorte régné sur ce moment philosophique. Sa manière était plus austère, son propos moins exaltant, mais il passait pour le plus brillant, s'avérait comme le plus fécond et devançait les autres dans la reconnaissance internationale. Les adeptes de chacun des autres le connaissaient et reconnaissaient ; il les réunissait, en un sens. Il fut compté, d'ailleurs, comme le plus exaspérant par tous ceux qui sentaient dans ce moment un jeu trouble à l'égard de la rationalité.

Il est encore trop proche de nos vies pour que l'on puisse prétendre rendre entièrement justice aux milliers de lignes de son œuvre. Avec le présent ouvrage, on entend seulement offrir aux « amateurs » une introduction à une pensée difficile, accomplir un premier repérage de ce qu'elle a fait, de la manière dont elle nous a marqués et dont elle peut nous inspirer.

On commence par exposer la pensée centrale de Derrida, celle dont le mot déconstruction signifie le programme. On raconte ensuite quelque chose du parcours de Derrida, du voyage de son écriture parmi les pays et les enjeux de la culture. Puis on décrit Derrida dans l'activité chez lui fondamentale de la lecture des philosophes, en prenant l'exemple de ses discussions de Husserl, Levinas et Heidegger. Enfin, on évoque sa postérité et les prolongements que sa pensée pourrait connaître.

Prix : 19 €


2) Lévi-Strauss par Olivier Dekens, Figures du Savoir n° 48, Les Belles Lettres, 2010, monographie consacrée à l’inventeur de la structure et du structuralisme en ethnologie, l’écrivain admirable qui a voulu faire œuvre de science après avoir rêvé – du temps de sa jeunesse – d’être le philosophe officiel du parti socialiste…









4e de couverture :

Claude Lévi-Strauss (1908-2009), père de l'anthropologie structurale, est le plus célèbre des inconnus. Célèbre pour avoir, par sa longévité et l'ampleur de son œuvre, marqué l'ensemble de la vie intellectuelle du XXe siècle, il nous est devenu inconnu, par l'oubli dans lequel nous sommes tombés des grands axes qui l'ont organisée.

Comment comprendre la singularité des thèses de Lévi-Strauss sans avoir une idée de ce qu'est le structuralisme ? Comment saisir la spécificité de son œuvre sans disposer d’une connaissance des disciplines et courants avec lesquelles elle entre en débat : la philosophie, la linguistique, la psychanalyse, le marxisme ou l’existentialisme ? Comment, enfin, donner toute sa portée aux prétentions scientifiques de l’anthropologie structurale quand on réduit les sciences humaines à une perception de la réalité sociale ?

L’ambition de cet ouvrage est de répondre à ces questions par une traversée des textes de Lévi-Strauss, des Structures élémentaires de la Parenté à La Potière jalouse en passant par Tristes tropiques, La Pensée sauvage, Le Cru et le Cuit et Le Regard éloigné.

Il s’agira de comprendre finalement pourquoi Claude Lévi-Strauss peut-être considéré comme philosophe malgré lui, en tant que scientifique produisant de la philosophie par les moyens qu’il met en place pour mieux s’en écarter.

Prix : 19 €


* Pour mémoire, depuis 1997 Figures du Savoir a publié : 1- Heidegger : Jean-Michel Salanskis ; 2- Nietzsche : Richard Beardsworth ; 3- Freud : Patrick Landman ; 4.- Einstein : Michel Paty ; 5- Spinoza : André Scala ; 6- Kierkegaard : Charles Le Blanc ; 7- d'Alembert : Michel Paty ; 8- Maïmonide : Gérard Haddad ; 9- Deleuze : Alberto Gualandi ; 10- Husserl : Jean-Michel Salanskis ; 11- Lacan : Alain Vanier ; 12- Turing : Jean Lassègue ; 13- Darwin : Charles Lenay ; 14- Weil : Patrice Canivez ; 15- Wittgenstein : François Schmitz ; 16- Foucault : Pierre Billouet ; 17- Lyotard : Alberto Gualandi ; 18- Comte : Laurent Fedi ; 19- Hegel : Benoît Timmermans ; 20- Cantor : Jean-Pierre Belna ; 21- Flavius Josèphe : Denis Lamour ; 22- – Averroès : Ali Benmakhlouf ; 23- Pascal : Francesco Adorno ; 24- Saussure : Claudine Normand ; 25- Les Stoïciens I : Frédérique Ildefonse ; 26- Hjelmslev : Sémir Badir ; 27- Locke : Alexis Tadié ; 28- Levinas : François-David Sebbah ; 29- Hilbert : Pierre Cassou-Noguès ; 30- Kant : Denis Thouard ; 31- Köhler : Y-M. Visetti & V. Rosenthal ; 32- Herder : Olivier Dekens ; 33- Newton : Marco Panza ; 34- Gödel : Pierre Cassou-Noguès ; 35- Russell : Ali Benmakhlouf ; 36- Arnauld : Francesco Adorno ; 37- Cicéron : Claire Auvray-Assayas ; 38- Michel Henry : Paul Audi ; 39- Ruyer : Fabrice Colonna ; 40- Berkeley : André Scala ; 41- Sartre : Nathalie Monnin ; 42- Montaigne : Ali Benmakhlouf ; 43- Epicure : Julie Giovacchini ; 44- Lautman : Emmanuel Barot ; 45- Stoïciens III - Musonius, Epictète, Marc Aurèle : Thomas Bénatouil ; 46- Poincaré : Xavier Verley ; coffret Husserl-Heidegger (présentation – mots clés) : Jean-Michel Salanskis.

dimanche 18 avril 2010

San Antonio : auto-portraits (technique mixte) 3


Par la « bouche » du « copain Duboin », la colère face à l'« injustice » s'est clairement exprimée.

Voilà pour ce que j'appelle plus haut : [San-Antonio comme] figure-écran pour l'auteur.


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III.- Conjectures


« La vie est une tragédie pour ceux qui sentent et une comédie pour ceux qui pensent »

Horace Walpole


Je vais maintenant traiter de [San-Antonio comme] figure de réconciliation pour les lecteurs, et en profiterai pour tâcher de répondre à la question du colloque, San-Antonio et la culture française, que j'entends demandant : « quelle est la place de San-Antonio dans la culture française ? ».

a) Pourquoi San-Antonio ?

En 1949, la guerre est encore très proche, qui a vu l'armée française balayée à Dunkerque, le naufrage du vieillard providentiel choisi par une chambre démissionnaire, longtemps objet d'un quasi culte populaire, l'Occupation, la Collaboration, Laval, Bousquet, Leguay, Darnand, le zèle particulier de la police française dans la chasse aux gaullistes, aux communistes, aux résistants, et aux Juifs – élargie aux enfants que l'Occupant ne voulait pas nécessairement –, le STO, le marché noir et ses B.O.F. (beurre-œufs-fromages) prospères, les corbeaux à l'imagination fertile et leurs millions de lettres de dénonciation ; qui a connu Ouradour-sur-Glane, vu se lever un petit nombre de résistants et quelques rares communautés ou individus se comporter héroïquement. Toutes choses évidemment bien connues, qu'on me pardonnera de schématiser à l'extrême : je n'ai en vue que ce qui concerne notre sujet.

Soumis au rationnement et à l'inconfort, digérant avec difficulté et souvent incompréhension qu'on leur reproche d'avoir suivi leurs chefs défaillants (Daladier, le Maréchal…), alors qu'ils s'en étaient fait gloire jusque-là, les Français « du rang » subissent et souffrent. Devenus tous, ou presque, « gaullistes » – par prudence et/ou par gratitude contrainte, puisque le général a décrété que « seuls quelques milliers d'individus s'étaient rendus coupables de collaboration – ils attendent ce qui leur (re-)donnera vraiment le moral, ceux qui leur renverront une image moins pitoyable d'eux-mêmes...

Posé autrement, dans cet après-coup traumatisant, une « phrase » cherche à se dire, qui présente cette situation et permette de nouveaux enchaînements[1]. Plus exactement, la France d'en-haut, du moins ceux qui croient en faire partie (notables, intellectuels, fonctionnaires, etc.), « veut » qu'une phrase dise cette situation, déroule des raisons et fournisse les arguments d'une plaidoirie. Cette phrase, c'est la droite littéraire qui va l'articuler, notamment ceux que Bernard Frank appellera les « Hussards »[2] : Roger Nimier, Antoine Blondin, Jacques Laurent, auxquels s'ajouteront notamment Michel Déon, Kleber Haedens et Félicien Marceau, écrivains que rapprochent une certaine nonchalance, un individualisme de type aristocratique et, contre Sartre, le refus de l'engagement politique – pour le dire vite et mal.

Ces écrivains, qui vont vite se faire une place dans le monde littéraire assureront les beaux jours des éditions de la Table Ronde, de Grasset et de Denoël, principalement, mais aussi de Gallimard. Gallimard qui, pour se racheter en quelque sorte d'avoir laissé reparaître la Nouvelle Revue Française sous l'Occupation[3], a fondé en 1945 une collection de romans policiers et d'espionnage qui accueillera des « métèques », des gaullistes, des communistes, des Juifs et des anarchistes, la Série noire, dirigée par Marcel Duhamel ; qui accueillera surtout ces auteurs anglais et américains[4], décriés et interdits de séjour dans la période précédente. Avec la Série noire, l'âpreté, la violence, le sexe et l'argot vont faire leur entrée, dûment autorisée, dans la « grande » littérature française.

La France d'en-bas (paysans, artisans, employés, chasseurs[5], pêcheurs, tous ceux dont la parole est hésitante, mal à l'aise quand ils ne sont pas en groupe[6]), nourrie d'images et de syntagmes figés – tradition catholique oblige, qui distingue entre les clercs qui lisent et raisonnent abstraitement et les illeterati, pour qui sont faites les « belles » images, belles d'être dotées de ces éléments qui facilitent l'identification (la couronne pour le roi, la crosse pour l'évêque, la barbe pour le notable, le haut-de-forme pour le gentleman-cambrioleur, la bombe pour l'anarchiste, le couteau-entre-les-dents pour le bolchevique, etc.) et qui permettent d'embrayer sur des récits édifiants – elle, « veut » que cette situation soit figurée : pour s'en échapper et l'oublier bien plus que pour construire excuses, justifications ou éventuelles plaidoiries ; elle a, d'abord, un problème d'identité.

Cette figuration, ce sont les écrivains « populaires » qui la produiront : René Fallet, par exemple, et San-Antonio (publié par Fleuve Noir, qui n'est pas – faut-il le dire ? –, au même niveau que la Série noire), raison de son grand et rapide succès, selon moi, la France d'en-bas (essentiellement masculine[7]), volontiers gauloise, se reconnaissant assez vite dans ces Mousquetaires rafistolés, qui marchent à l'instinct et au système D, ne s'embarrassent pas de bonnes manières, troussent les femmes à qui mieux-mieux – par vanité plus encore que par goût[8] –, écorchent la langue tout comme elle[9], sans façon ni prétention, qui ont des principes (souples !), ont su ne pas se compromettre avec la Collaboration (encore qu'on ne sache pas bien ce que faisaient le Vieux, Bérurier et Pinaud dans cette période), éprouvent un amour navré et sceptique pour leur patrie, mettent le cœur (!) au-dessus de l'argent (…), suivent Le Chef et lui obéissent...

« – San-Antonio, je quitte à l'instant Monsieur le Ministre...

Pompeux, le boss... Monsieur le Ministre ! Rien que ça... C'est d'autant plus marrant que ledit ministre, tout le monde l'appelle Dudule dans les Services...

– Ah vraiment ?

– Oui.

– Ordre d'étouffer l'affaire coûte que coûte. Un scandale de cette envergure serait désastreux pour le prestige de notre pays !

Je ne peux m'empêcher de ricaner :

Le prestige de notre pays ! Il n'est plus à ça près, le pauvre !

– Que dites-vous là, San-Antonio !

– La vérité ! Si vous alliez à l'étranger, comme moi, chef, vous verriez qu'au-delà de nos frontières, on s'apitoie sur notre sort. On nous plaint à cause de nos malheurs coloniaux, de nos hommes politiques et de notre franc qui maigrit à toute allure... Nous n'avons pas la bombe H ! Tout ce qui nous reste, c'est le French Cancan, le Bourgogne et la Côte d'Azur... Plus Paris, heureusement !... Vous allez me dire qu'il vaut mieux produire le Champagne et avoir des femmes sachant faire l'amour qu'être doué pour la torpille humaine, c'est vrai... Mais, tout de même, nous vivons à une époque où le matérialisme est roi ; où il n'existe plus que la noblesse d'argent. Boussac[10] a remplacé le comte de Paris... Quand nous recevons un chef d'Etat, on lui fait visiter dans la même journée le palais de Versailles et les usines Renault, comme s'il s'agissait de deux hauts-lieux de notre histoire ! Nous voulons sauver la face, alors que nous ferions mieux de sauver les meubles, vous ne pensez pas ?

Il me regarde, intéressé. Puis il se met à jouer la « Marche des Grenadiers de l'Empereur » avec son coupe-papier.

San-Antonio, je ne pense pas, nous ne sommes pas payés pour penser... »[11].

b) Frédéric Dard contre San-Antonio

J'imagine ceci : cette phrase de justification/rédemption dont je fais l'hypothèse qu'elle demande à être dite/figurée au lendemain de la 2e guerre mondiale, elle « se » cherche des artisans capables de l'articuler/de la peindre au mieux – de façon moins « mystique », on dira que plusieurs s'y sont essayés et que ceux qui ont réussi à s'acquitter de la tâche étaient, d'origine, les plus doués.

Et doué, Frédéric Dard l'est d'évidence, d'abord à ses propres yeux... Aussi – ici, je reconstruis sans m'appuyer sur un témoignage autre que celui qu'apportent les « San-Antonio » –, quand il est « visité », quand cette forte demande désincarnée lui tombe dessus, il est certainement satisfait d'avoir un début d'inspiration mais il ne supporte pas d'être dessaisi, lui qui a une œuvre à construire et à faire reconnaître. Au lieu de se laisser emporter et d'enchaîner sur ce qu'il a espéré et reçu sans vraiment y croire, il résiste, trace ses personnages avec réticence, retarde leur rencontre, se contredit, charge, expédie les histoires, écrit sans soin, quitte à revendiquer ses approximations comme créations intentionnelles (comme on sait, on ne cessera de louer la « langue » de San-Antonio, par la suite), bref ne se « retrouve » pas dans sa « création »[12]. Malgré cela, justement parce qu'il est doué, les personnages séduisent, les trouvailles linguistiques font sourire, et les romans se vendent de plus en plus...

Il résiste, il se défend : il ne veut pas, on l'a indiqué, qu'on le confonde avec son personnage-vedette ; il veut qu'on sache, on l'a aussi souligné, qu'il vaut mieux que « ça ». Mais rien n'y fait ; ces distinctions, ces protestations sont portées au crédit de celui qui signe « San-Antonio », qui y gagne en humour et distanciation – il n'est pas dupe ! –, si grande est la capacité d'absorption de la redoutable machine que l'apprenti-sorcier a mise en route. Et ce succès qui ne se dément pas lui plaît et le désole à la fois. Cadeau empoisonné. Il en est déprimé :

« Ce qu'il y a de chouette dans les cimetières, c'est qu'ils sont à l'écart des agglomérations, dans des coins peinards, tout ce qu'il y a de silencieux.

C'est derrière ces murs, à l'ombre des saules pleurnicheurs qu'on se la fait vraiment construire, la villa ''Mon Repos'' ou le chalet ''Sam'Suffit''...

Cinq mètres carrés de ciment et vous voilà installés aux petits oignons, comme des papes, les gnaces ! Plus de traites retournées, plus de commandements par voie d'huissier, plus de Loys Van Du sur vos écrans de Télé, plus de gardiens de la paix... La paix, on l'a enfin ! La chouette, l'immense, la totale ! On chausse ses pantoufles pour l'éternité et on se laisse moisir doucement, comme des bons bougres, sans plus s'inquiéter si votre gonzesse se fait calcer ou s'il y a des traces de rouge à lèvre sur votre slip ! Les vacheries de l'existence ne passent pas la grille rouillée, de même que la pièce d'un critique dramatique ne passe pas la rampe ! C'est réconfortant d'y penser, au petit trou pas cher. Bien sûr, comme dit Bruant, on vous prend un prix exorbitant pour vous y filer, dans la terre glaise, mais après, le débours est vite amorti ! Plus de notes de gaz et d'électricité ; plus de factures pernicieuses, plus de créanciers ! On installe son petit labo portatif, on se distribue, vachement généreux soudain, y compris les plus radinus ! Et je te refile mon azote à ce bon vieux pissenlit d'en dessus ! Et je lègue mon phosphore au petit rosier nain que ma veuve a planté dans un grand moment de folie ! Le don de sa personne ! Tu parles : à la nature ! Messieurs les asticots, tirez les premiers ! Tirez votre bouffetance de ce brave corps qui fut si encombrant parfois, si difficile à caser dans ce que les gens graves appellent : la Société, et les autres : cette garce de vie !

Je médite en profondeur, comme vous pouvez le constater... »[13].

Il se défend, il contre-attaque ; ces escapades philosophantes se multiplient et les « adresses au lecteur », les invectives dirigées contre lui[14], qui croyait pouvoir se laisser aller innocemment au plaisir de l’identification « gratifiante » et de la complicité, qui s'obstine à ne pas comprendre que San-Antonio n'est que l'ombre portée d'un authentique auteur, prennent un nouveau relief :


« … C'est ça le vrai péché originel. Les hommes, faut toujours qu'ils construisent un roman avec leur minable existence. Ils ont la certitude qu'elle est passionnante. Ils ne comprennent pas qu'ils font tartir tout le monde et que ceux qui les écoutent se préparent tout simplement à raconter la leur.

L'histoire d'un homme, vous parlez d'une chanson de geste ! Une femme, un chef, un percepteur auxquels on se soumet ! Des gosses qu'on gifle ! Une vérole qu'on soigne ! Des larmes qu'on essuie... »[15].

« Par exemple, au cirque, lorsque vous assistez au numéro de l'homme-torpille, vous pensez toujours qu'il va se casser le tiroir... Vous êtes là, ouvert de bas en haut pour ne pas en perdre une miette, et chaque fois le gnace réussit son numéro. Malgré tout, vous lisez un jour dans votre baveux habituel qu'il s'est démonté la colonne Vendôme quelque part à l'étranger et vous ressentez une grande tristesse. Oui, vous êtes triste de n'avoir pas été là au moment où enfin son numéro foirait. Vous y voyez comme une vacherie du sort à votre endroit. Et vous avez raison. Le hasard est dégueulasse avec vous. Depuis que vous êtes au monde, il vous fait passer à côté de la gagne. Vous loupez toujours la femme fidèle, le gros lot, l'avancement... Vous n'avez droit qu'à la vérole honteuse, à la croix de guerre, aux nanas qui font entrée libre devant vos potes et aux films de Martine Carol[16]... C'est la vie... »[17].

« Le monde est plein de gens impressionnables, tous prêts à filer leurs contemporains dans la mouscaille, pour trente deniers ou une mandale bien appliquée... Pas seulement des faibles, mais de salauds...

Surtout croyez pas que je sois sceptique. Au contraire... Si vous croyez que je vais vous bourrer le mou avec un appareil à cacheter les bouteilles d'eau minérale, comptez sur vos dix malheureux doigts le nombre d'amis sûrs que vous possédez... Des amis vrais, de ceux qui sont capables de vous emprunter dix sacs sans changer de trottoir après et sans clamer partout qu'il n'y a aucune différence entre vous et une poubelle de quartier pauvre ! Vous verrez que vous aurez du rab sur vos dix doigts... »[18].

Il espérait échapper à sa condition et à ses limites, ce lecteur, à ses peu glorieuses attitudes et à son comportement étriqué, à sa médiocrité, pour tout dire... mais il va y être ramené. Et continuer d'en rire, parce qu'il ne prend pas ça pour lui mais « sait » – marque sûre du déni –, comme le bourgeois du XVIIe siècle assistant à une représentation du Bourgeois-Gentilhomme, qu'il n'est question que des autres sur la scène...

Et c'est ainsi que, d'excès en outrances vite assimilés par la puissante machine narrative bricolée roman après roman, et en dépit des souhaits du « machiniste », San-Antonio, maître de la vignette, de la description assassine et du persiflage, moins du récit qui est rarement « fouillé », va devenir l'une des grandes voix littéraires de la France d'en-bas, ce qui lui vaudra – plusieurs décennies après – une place incontestée, mais en retrait, dans notre Panthéon culturel.

IV.- Conclusion

Elle sera brève et un peu mélancolique : en considérant rétrospectivement la fortune insolente – 175 romans ! – et l’audience grandissante de ce San-Antonio qu’il a d’abord peu aimé, on pourrait dire que Frédéric Dard a progressivement été dévoré par sa « créature » ; qu’« elle » l'a cantonné dans un genre et a fini par l'absorber, ne lui laissant pas le loisir de produire l'œuvre qui aurait pu lui valoir le Goncourt, par exemple.

Je terminerai sur quelques rappels concernant les Hussards.

Nimier a écrit un D’Artagnan amoureux ou Cinq ans avant[19], publié après sa mort, prouvant – s’il en était besoin – que lui aussi, il fréquentait les Mousquetaires.

Blondin, grand alcoolique (!) et toréro urbain, a longtemps été un de ces journalistes sportifs dont San-Antonio ne cesse de railler le style convenu et l’expression pauvre ; il a ainsi suivi une demi-douzaine de Jeux Olympiques et près de trente Tours de France pour le quotidien l’Equipe – ce grand représentant de la droite littéraire ne dédaignait pas les sports « plébéiens »…

Mais c’est Jacques Laurent qui a eu, en quelque sorte, le parcours rêvé par Frédéric Dard. Journaliste, polémiste, écrivain prolifique, essayiste, directeur de revue, Jacques Laurent s'est illustré dans la littérature « sérieuse », a eu le Goncourt en 1971 avec Les Bêtises, vu l'ensemble de son œuvre couronné par le Grand prix de l’Académie française en 1973, et été élu en 1986 à l'Académie française, où il a succédé à l'historien Fernand Braudel. Parallèlement, il a aussi touché à la littérature plus légère, souvent pour des raisons « alimentaires », écrivant sous différents pseudonymes des romans sentimentaux, policiers, et historiques (dont les plus connus sont les Caroline chérie, signés Cécil Saint-Laurent, qui seront traduits en plusieurs langues et adaptés au cinéma). En 1988, il a publié un essai, son dernier, Le français en cage (Grasset), dans lequel il s'en prend au « zèle excessif que déploient les policiers du langage dès que l'occasion leur est donnée de condamner »[20]...


Notes :


[1] J'emprunte « sauvagement » cette terminologie à Jean-François Lyotard, Le Différend, Paris, Minuit, 1983.

[2] Bernard Frank, « les Grognards et les Hussards », les Temps modernes, décembre 1952.

[3] Après avoir vu son catalogue conséquemment censuré, Gaston Gallimard, violemment attaqué par la presse collaborationniste, accepte en1940 de laisser reparaître la NRF sous la direction de Drieu la Rochelle (ancien membre du PPF de Doriot) qui se dit fasciste, et de Jean Pauhlan, écrivain et résistant : « [Otto] Abetz [ambassadeur d'Allemagne] avait dit à Drieu dès le mois d'août [1940] que s'il faisait une revue littéraire, il lui accorderait toute protection et liberté et qu'il serait son seul censeur... Après quelque hésitation, Drieu accepte la direction de la Nouvelle Revue Française qui avait cessé de paraître en juin. Il note dans son carnet une liste d'écrivains prisonniers avec cette mention : ''Demander la libération des auteurs – contrepartie de mon action journalistique N.R.F.'' », Frédéric J. Grover, Drieu la Rochelle, Paris, Gallimard, 1979, p. 47.

[4] Non sans les tronquer, parfois substantiellement, en supprimant des chapitres entiers : on peut consulter à la BiLiPo (Bibliothèque des Littératures Policières, Paris) les livres en V.O. de Marcel Duhamel, où les parties à omettre sont raturées de sa main... La plus célèbre de ces victimes est Raymond Chandler dont The Long Good-Bye s'est vu traduire sous le nom ridicule de « Sur un air de navaja », en perdant près de la moitié de ses pages – la pénurie de papier au lendemain de la guerre n'explique pas tout. Il faudra attendre 1992 pour que La Noire/Gallimard offre une traduction complète de ce livre au lecteur francophone.

[5] « … Sans l'avoir voulu, nous sommes arrivés en pleine foire du Trône […]

J'ai proposé un carton à Hector et il a accepté […] on s'est fait la valoche au moment où pour la quatrième fois consécutive il balançait sa bastos dans la casquette du patron... Le forain […] parlait d'appeler Police-Secours... Il avait beau grimper après les murs, le cousin Hector s'obstinait à lui cloquer ses plombs dans le chignon ! On a compris pourquoi lorsqu'on s'est aperçu qu'il ne fermait pas le bon œil pour viser... », San-Antonio, Le fil à couper le beurre, op. cit., pp. 14-15.

[6] A vrai dire, c'est plus un sentiment, celui d'appartenance (que n'« expliquent » ni la profession ni le niveau de revenus ni l'opinion politique) que la sociologie qui « constitue » cette France-là qui, à tort ou à raison, estime ne pas peser face au Pouvoir.

[7] Ne pas oublier, et le rapport n'est pas si lointain, que le vote des Françaises résulte d'une ordonnance du 21 avril 1944 prise par le Gouvernement provisoire du général de Gaulle, en Alger, et que les Françaises voteront pour la première fois le Le 29 avril 1945. Quant aux conséquences du sexe « libre »... La contraception ne sera légalisée qu'en 1972 (loi Neuwirth), et l'avortement, dans certaines conditions, ne sera dépénalisé qu'en janvier 1975 (loi Veil).

– Faut-il rappeler que, dans aucun des romans de San-Antonio appartenant à la période que j’examine, jamais un débordement sexuel ne débouche sur un « accident », comme on a longtemps appelé une grossesse non désirée ?

[8] « C'est fou ce qu'un homme normal peut trousser de gonzesses au cours de sa vie ! Des grandes, des petites, des boîteuses [sic], des postières, des qui louchent, des frigides, des autres... La vie ! La vie avec cette interminable séquelle de souris qu'il faut passer au composteur si on veut avoir l'air d'un homme. Et tous les hommes tiennent à avoir l'air d'un homme, y compris ceux qui marchent à la cantharide et ceux qui marchent dans les défilés de la Fête-Dieu.

Pauvres nous !... », San-Antonio, Le fil à couper le beurre, op. cit., p. 79.

[9] Note à l'attention des linguistes : s'exprimer « mal » (syntaxe et/ou lexique) tout en se faisant comprendre n'est pas seulement exploiter l'une des possibilités qu'offre le système de la langue à un moment donné, c'est immédiatement désigner son inscription sociale/catégoriale, voire « ethnique », et, possiblement diminuer le poids de son énoncé quand il est adressé à un locuteur s'exprimant « bien » – ce que les linguistes ont raison de tenir éventuellement pour secondaire du point de vue de leurs descriptions, mais qu'ils ne peuvent ignorer. S'exprimer « mal » peut aussi faire rire, par exemple, ou émouvoir quand il s'agit d'un jeune enfant, et s'exprimer « bien », glacer : l'écart à la norme, car il y en a une, connue, pour toute langue, d'un certain nombre de « native speakers », en ajoutant de l'affect au sens fait sortir, me semble-t-il, du cadre strictement linguistique, d'autant plus qu'ici, il est question de littérature et non pas de communication...

[10] Marcel Boussac (1889-1980), industriel du textile (La Toile d’avion) et éleveur de chevaux de course.

« Sous l'Occupation, il est membre du Conseil national instauré par Vichy. Ses bonnes relations avec nombre d'officiers supérieurs allemands et avec le ministre de la production industrielle de Vichy, Jean Bichelonne, lui permettent de sauver ses usines et les Allemands décident même de les équiper en métiers à tisser flambant neufs. Il fournit ainsi la Kriegsmarine : 110 millions de mètres de tissus provenant de ses usines (Benoît Collombat et David Servenay, Histoire secrète du patronat de 1945 à nos jours, Paris, La Découverte, 2009, p. 41) […]

Une instruction pour collaboration est ouverte à la Libération, mais elle sera close sans suites le 2 juillet 1947. Ainsi, il n'est pas inquiété par l'épuration, notamment grâce aux remerciements des rescapés de la déportation qui découvrent que leurs salaires ont été versés consciencieusement à leurs familles. Il engage Christian Dior et participe grandement à ce que Paris redevienne la capitale de la mode… », Wikipedia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Marcel_Boussac

[11] San-Antonio, Le secret de Polichinelle, Fleuve Noir n°143, 1958, pp. 112-114 – je souligne.

[12] Incidente nietzschéenne : « … c’est également ce trait d’essence, – le Soi comme source pleine et entière de savoir, et cela quand bien même ce savoir n’aurait rien d’intellectuel – qui explique qu’une fois la création accomplie, une fois l’œuvre faite, une fois le résultat visible, le créateur se met à observer ce qu’il a fait – ce qui s’est fait – parfois avec stupéfaction, ou sinon émerveillement, ou peut-être même horreur, en tout cas toujours avec une certaine surprise, comme si pour la première fois il découvrait ce qui a été pensé de tout son corps et mis en forme par la force de l’esprit », Paul Audi, Créer, Introduction à l’esth/éthique, Lagrasse, Verdier, 2010, pp. 142-143 – je souligne.

[13] San-Antonio, J'ai bien l'honneur... de vous buter, op. cit., pp. 146-147 – je souligne.

[14] Par exemple : « … Vous ne pouvez pas piger illico parce qu'il y a la largeur de l'océan Pacifique entre vous et l'intelligence, mais je vais essayer de me mettre à votre portée... », San-Antonio, Le fil à couper le beurre, op. cit., p. 9.

[15] San-Antonio, Du mouron à se faire, Fleuve Noir n° 81, 1955, p. 92.

[16] Marie-Louise Mourer dite Martine Carol (1920-1967), comédienne célèbre pour sa beauté et pour avoir interprété à l'écran le personnage de Caroline chérie, créé par Cécil Saint-Laurent.

[17] San-Antonio, Du mouron à se faire, op. cit., pp. 156-157 – je souligne.

[18] San-Antonio, Fais gaffe à tes os, Fleuve Noir n° 90, 1956, p. 105 – je souligne.

[19] Paris, Gallimard, 1962.

[20] D'après Wikipedia, fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Laurent




San Antonio : auto-portraits (technique mixte) 3 © copyright 2010 Richard Zrehen


mercredi 14 avril 2010

San Antonio : auto-portraits (technique mixte) 2


Au bout de cinq ans, la composition semble donc avoir trouvé un équilibre : au premier plan, de gauche à droite, le Vieux, debout, plein de la dignité de sa fonction ; le commissaire, assis, un cigare dépassant légèrement de sa poche-poitrine, le regard conquérant ; assis lui aussi, mais légèrement en retrait, Bérurier, son subordonné et complice en maltraitance de langue, le visage rubicond ; au deuxième plan, Félicie, en demi-teinte, un peu penchée sur son fils. Le fond est moins sombre, l'on reconnaît une photo officielle accrochée à mi hauteur.

Et pourtant, l'espace n'est pas plein...

*

f) Une arrivée improbable

Bien vite, un nouveau personnage fait son apparition, l'étonnant « cousin Hector », dont on apprendra bien plus tard qu'il se nomme « Dère » ou « Daire » (les deux orthographes se retrouvent[1]) :

« … demain c'est dimanche et... j'ai [Félicie] dit à Hector de venir...

Je fais la grimace... parce que j'ai une sainte horreur d'Hector et que ce dimanche en sa compagnie va être l'enterrement de première classe avec perles...

Hector c'est un petit cousin à [sic] Félicie, donc à [re-sic] moi d'un peu plus loin. Dans la famille on sait qu'il avait le béguin de ma vioque autrefois et qu'il ne s'est pas marrida à cause de ce grand amour déçu... Maintenant encore, lorsqu'il jacte à Félicie, on dirait qu'il pose pour une réclame de laxatif... Il fait des yeux en bouton de jarretelle, ce qui a le don de m'ulcérer profondément.

II est grand, maigre, chauve, édenté, avec un parapluie soigneusement roulé et un abonnement à Rustica[2]... Vous voyez le genre ?

Je frémis en songeant que je pourrais être le fils de ce machin-là car ça m'aurait fait une drôle d'hérédité à remonter, les gars ! De quoi s'entraîner pour l'Anapurna !

Pourtant, comme je suis bon fils, je rengaine ma grimace »[3].

Petit fonctionnaire, il n'appartient pas à la Police mais travaille dans un ministère, on ne sait pas à quoi – un « planqué », employé aux écritures ?

« La voix monocorde d'Hector me parvient comme si elle tombait d'une autre planète. Ce qu'il dit, du reste, m'indiffère autant que sa personne. Il raconte ses varices, son ulcère du pylore, son chef de bureau, sa maison en viager... Cinquante ans de médiocrité défilent dans nos oreilles.

J'en ai tellement classe que je chope le premier prétexte venu pour m'esbigner.

– J'ai une enquête en cours, vous m'excusez, Hector ?

Il m'excuse d'autant mieux que, lui non plus, ne peut pas me renifler : l'antipathie c'est comme l'amour, ça implique une certaine réciprocité.

– Toujours par monts et par vaux ! remarque-t-il avec aigreur...

– Eh oui ! Fais-je, tout le monde ne peut pas passer sa vie sur un rond de cuir.

Ceci constitue une allusion très précise aux fonctions qu'il occupe dans un bureau oublié d'un ministère confidentiel.

Il avale le fion et boit un coup de Bordeaux pour le faire glisser.

– Au revoir, dis-je à Félicie et à Hector.

J'ajoute, histoire de faire rougir ma brave mère :

– Soyez sages !

Hector a un sourire niais et veule »[4].

Avec ce cousin peu engageant, conformiste, bien pensant, vieil amoureux malheureux et inconsolé de Félicie, célibataire et chaste, par conséquent, ou condamné au sexe tarifé, c'est un représentant de ce qu'on n'appelait pas alors la « société civile » qui s'impose, un de ces hommes faits qui ont traversé la guerre sans trop de dommages, apparemment. Il a à peu près l'âge de Félicie, autour de la soixantaine si l'on prend comme repère l'âge du commissaire, qui a 38 ans au début de ses aventures (en fait il est revenu à 34 ans, comme nous l'apprenons, par exemple, dans A tue... et à toi[5]). Félicie aura eu son fils à 20-22 ans, peut-on raisonnablement estimer. Plus encore, ce médiocre est un parent, comme pour rappeler que des individus peu stimulants, voire « objectivement » détestables, il s'en trouve dans toutes les familles, et qu'il faudrait être fol pour croire pouvoir y échapper...

Observons simplement qu'il fait un peu tache dans le tableau en train de prendre forme : on le situera debout, étriqué et grimaçant, en retrait de Félicie penchée sur son fils.

g) Pause

La présence du Vieux crée un déséquilibre : à deux, San-Antonio et Bérurier auraient pu jouer à Don Quichotte et à Sancho Pança, Félicie, mère-épouse, incarnant Dulcinée, et la Justice, les moulins à vent. Mais San-Antonio n'est pas un entrepreneur privé comme l'est le Philip Marlowe de Raymond Chandler ; il a choisi, sans trop savoir pourquoi, la Police – autrement dit, il a été « élu » :

« Des cadavres ! Encore des cadavres ! Plus ou moins à l'actif d'un certain San-Antonio...

C'est moche à la fin ! Et pourquoi ?

Le sais-je au juste ? Pour l'enveloppe que le gouvernement me remet à la fin de chaque mois !

Certainement pas !

Pour le morceau de chiffon tricolore flottant au sommet des édifices publics ?

Je ne crois pas être un patriotard !

Non. Seulement dans la vie, il y a ceux qui sont agents d'assurances, marchands de vin, manœuvres chez Renault, cireurs de parquets... Et puis ceux qui vivent en marge... En marge pas forcément de la loi, mais surtout en marge de la vie.

Moi, je suis de ceux-là...

Je suis de ceux-là comme on est nègre ; je n'y peux rien.

On ne choisit pas »[6].

Qu'il s'agisse bien d'une « élection », qui appelle à la fois résistance, accablement, fatalisme et tentative de rationalisation, cela va bientôt être confirmé :

« … la vie est la vie. Un homme penche du côté où il doit tomber. Moi, je suis tombé dans la rousse parce que j'avais des dispositions certaines.

Inutile de se frapper. Quand on joue à la belote, faut pas envier les brèmes de son adversaire, on doit se contenter des siennes et s'en servir pour le mettre capot, c'est pas votre avis, bande de lavements ? »[7].

Et qui dit Police dit à la fois Hiérarchie et agrément, comme on l'a noté plus haut. La présence du Vieux (et l'appartenance à une Institution) crée donc un déséquilibre, narratif si l'on veut, mais on pressent bien que l'affaire est plus grave : aux trois déjà installés (le cousin Hector ne pouvant être compté, parce qu'il ne fait pas partie de la « Grande Maison ») il manque nécessairement un quatrième appartenant au même corps – Les Mousquetaires légitimistes étant dans l'imaginaire français plus prégnants que les Pieds-Nickelés anarchistes[8]...

h) Seconde mise en place

Il reste donc de la place au premier plan, sur le bord du tableau, et c'est Pinaud, sorte de réplique interne – en moins soigné – du cousin Hector (dont il a à peu près l'âge) qui va venir l'occuper ; par hasard nous est-il dit, et pas au meilleur moment :

« Je salue [le Vieux] d'un bref signe de tête et je quitte le bureau bien décidé à casser la gueule du premier mec qui n'aura pas une physionomie à ma convenance.

Je tombe nez à nez avec Pinaud.

Il se met à me parler de tas de choses qui n'ont pas le moindre rapport avec les sujets susceptibles de m'intéresser et ce, de sa voix un peu geignarde et dénuée d'inflexions[9].

– Figure-toi, dit-il, que j'avais joué Chérubin dans la deuxième. Un ami qui travaille au P.M.U. m'avait refilé le tuyau...

– Et il n'est pas arrivé ?

– C'est-à-dire qu'il n'est pas parti... Il s'est fait une entorse en quittant le pesage...

Je suis déjà à l'extrémité du couloir. Je me retourne.

– Dis voir, Pinuche, qu'est-ce que tu fous, en ce moment ?

– Je repeins la cabane de mon jardin...

– Je ne parle pas de tes loisirs, hé, pommade ! Mais du boulot. T'es là à te branler les cloches en pleurant sur tes canassons fourbus, t'as du blot ?

– Non...

— Alors tu vas en avoir, arrive...

Il me suit docilement dans un bureau vide.

– Assieds-toi !...

Il pose son derrière triste sur une chaise bancale.

– Prends de quoi écrire...

Il chope une feuille de carnet grande comme un ticket de métro. Il est comme ça, Pinaud, toujours les poches bourrées d'invraisemblables morceaux de papier sur lesquels sont notées des choses mystérieuses. Il est toujours en plein cirage, et pourtant, c'est un flic de première grandeur. Le vieux rat des enquêtes.

S'il avait eu pour deux sous de nerfs, il serait divisionnaire à Pontarlier comme un pape, aujourd'hui »[10].

Pinaud, poissard, souffreteux, lymphatique, pas très net, peu concentré mais « accrocheur » et efficace.

Dès lors, la « vraie » famille est constituée (les personnages à venir la coloreront, la conforteront mais ne la fissureront pas) et l'auto-portrait avec groupe achevé, pour l'essentiel : les quatre policiers, en guise de Mousquetaires, au premier plan ; au deuxième plan, Félicie, en réconfort du guerrier et Hector en représentant de la « majorité silencieuse » avec raison, puisqu'elle tient à faire oublier qu'elle a longtemps suivi avec enthousiasme le Maréchal...

Cette (trop) longue insistance sur le pictural, pour présenter des éléments bien connus, procède d'une conviction : ce tableau qui met cinq ans à se compléter est une figure-écran pour l'auteur et une figure de réconciliation pour les lecteurs, qu'il y a dans les deux cas accomplissement (fantasmatique) de désir et méconnaissance, voire déni – ce que je vais maintenant essayer de montrer.


II. - L'auteur se rebiffe

« La littérature n'est qu'une forme édulcorée de la confession, du témoignage, qui sont fonctions éternelles de l'homme, fonctions préalables à l'oraison »

Drieu la Rochelle, « Journal d'un délicat », Histoires déplaisantes


Si l'on regarde de face le tableau en question, depuis sa première esquisse jusqu'à son état de quasi achèvement, on aperçoit ça et là des formes incongrues, qui n'entravent pas l'identification du motif principal mais ne permettent pas qu'on succombe entièrement à l'illusion représentative : l'on n'est pas vraiment devant une vitre transparente au-delà de laquelle se tiendrait la scène contemplée/consommée, et les formes difficilement identifiables ne sont pas des « bavures » ; des ratés plutôt, traces d'un conflit irrépressible qui, regardées de biais, par exemple, montrent qu'elles relèvent d'une autre perspective sous laquelle elles perdent leur incongruité.

Ainsi, le chef de la Police de Marseille, au récit des exploits de l'agent spécial San-Antonio, lui dit-il :

« Extraordinaire... vous êtes un homme de légende. Vous feriez la fortune d'un romancier populaire.

Peut-être bien que j'écrirai tout ça un jour.

Je vous le conseille, et l'éditeur qui vous signera un contrat ne s'embêtera pas »[11].

Au-delà du clin d'œil appuyé en direction du lecteur « bon public », observons qu'à la proposition de raconter ses aventures à un romancier populaire pour qu'il les mette en forme, San-Antonio répond qu'il va s'en charger « lui-même ». Observons également que « raconter ses exploits », c'est exactement ce qu'« il » est en train de faire : le signataire serait donc double. – Juste pour l'anecdote : il est rare qu'un espion, même sous pseudonyme, se mette à écrire ses mémoires alors qu'il est encore en activité et qu'il espère les faire publier sans obtenir d'autorisation des autorités concernées...

Ainsi, « San-Antonio » commente-t-il « lui-même » son écriture :

« Le soir tombe sur la mer, il s'y couche plutôt comme une chatte heureuse sur un coussin de soie bleue...

Comment trouvez-vous cette image ?

Il y a des types qu'on a flanqués à l'Académie française pour moins que ça. Je suis sûr que si je voulais m'en donner la peine, j'arriverais à des résultats appréciables en littérature »[12].

Qui est ce « je » ayant des notions assez sommaires de ce qui provoque une élection à l'Académie française ? Probablement celui qui interrompt son récit pour remarquer :

« Je me suis trouvé déjà dans des situations tout aussi périlleuses, et j'ai toujours réussi à m'en tirer... comme dans les romans policiers.

Je suis le héros sympathique, et un héros sympathique ne calanche jamais dans une histoire bien construite. Cela peut vous paraître idiot... »[13].

Celui qui essaye de donner le change :

« – Non Mireille, on ne rigole plus. On se met à table... Lorsque je me suis mis à parlementer à la porte, tu as appelé ton mec et tu t'es fait la valise dans une autre pièce. C'est antiféminin, ça, de se trisser au moment où il va y avoir du sport. Au contraire, c'est l'instant que choisissent les femelles pour s'installer avec des jumelles de théâtre. Qu'as-tu donc fait, toi que voilà, riant sans cesse ?[14]

Je rigole.

– Hein ? Flic, mais connaissant ses classiques !

J'enchaîne.

– Je vais te dire ce que tu as fait, ravissante sirène... »[15].

Celui qui, avant de se reprendre, laisse échapper ceci :

« J'ai dû vous le faire remarquer quelque part : moi, je suis poète[16]...

Vous ne me feriez jamais manger une tartine de gorgonzola pendant que je raconte à une gonzesse des salades dans le genre de celles que Roméo bonnissait à Juliette pendant que leurs vieux avaient le dos tourné...

Non. Je suis champion pour ce qui est de tenir une souris par le petit doigt en lui chuchotant des trucs qui feraient tomber en digue-digue un fauteuil à roulettes.

Comme la petite Claude vient de me demander ce qui s'est passé, je lui dis :

– Un mauvais rêve, mon ange, ça s'oublie lorsque le coq chante...

Et j'imite à la perfection le chant du coq. Une poule s'y tromperait et commencerait à s'ébouriffer en m'entendant.

Elle éclate de rire... »[17].

Ou bien encore :

« Je suis au volant de ma jeep et je roule gentiment en regardant se lever le jour.

La nature, quand elle fait la belle, me rend dingue. Moi je vous l'ai déjà dit et je vous le répéterai jusqu'à ce que ça vous fasse saigner le tympan : je suis poète.

Ma vraie vocation : c'était d'aligner des trucs de douze pieds au lieu de flanquer mon pied dans le soubassement de mes contemporains.

J'aurais fait rimer des mots qui ne riment pas à grand-chose et qu'on aurait publiés dans des revues hermétiques comme des boîtes de sardines, j'aurais eu un triomphe, j'aurais appris à m'examiner le nombril devant mon armoire à glace ; j'aurais calcé des baronnes. Les vieilles dames m'auraient appelé ''maître'' et les jeunes gens ''vieux con'', bref j'aurais été quelqu'un et, en ce moment où le jour se lève sur un nouveau mystère de ma carrière de flic, je serais en train d'éblouir un auditoire avec des imparfaits du subjonctif.

Mais la vie est la vie. Un homme penche du côté où il doit tomber. Moi, je suis tombé dans la rousse parce que j'avais des dispositions certaines... »[18].

Ce « je » tient clairement à se démarquer de « son » personnage.

Subtilement, en renvoyant sans en avoir l'air le « séducteur de guinguette » dans ses quartiers :

« Mon kidnappeur me conduit dans une salle à manger-salon tout ce qu'il y a de familial... Deux hommes jouent aux cartes...

L'un est petit, gros, avec des bajoues et des cheveux crépus qui grisonnent...

L'autre est un costaud élégant, mais d'une élégance tapageuse bien qu'elle n'aille pas jusqu'au mauvais goût »[19].

Plus subtilement encore :

« … le grand patron se décide enfin à me rencarder :

– Avez-vous lu l'affaire Rolle, dans les journaux ?...

Je secoue la calbombe négativement.

Moi, quand j'achète le journal, c'est pour bigler les programmes de cinéma et, à la rigueur, lire les bandes dessinées »[20].

Avec une malignité perverse, quand le personnage est renvoyé à son ignorance crasse alors même que le « je » en quête de reconnaissance expose sa science :

« Une autre caractéristique du Vieux, c'est de ne jamais dévoiler ses sentiments...

Il y a un silence.

Avez-vous lu Kaputt ? demande-t-il brusquement.

C'est vraiment la dernière question à laquelle je m'attends, et c'est un tort, parce que, avec lui, il faut s'attendre à tout !

– De Malaparte[21] ?

– C'est ça : de Malaparte.

– Non... Vous savez, boss, moi, sorti du Chasseur Français[22], je ne bouquine pas grand-chose.

– Dans Kaputt, Malaparte raconte que lors de la dernière campagne de Russie, les soviets avaient dressé des chiens à faire sauter les panzers allemands... »[23].

Aucun suspense : on sait bien que celui qui remet son personnage à sa place, c'est le graphomane qui publie à rythme soutenu sous plusieurs pseudonymes, chez de petits éditeurs, dans des publications confidentielles[24], c'est l'écrivain qui se sait doué, qui écrit des romans assez noirs, (certes assez en-deçà de ceux de Hammett et Chandler, déjà nommés, de Goodis, de R. Macdonald, d'Irish ou de McCoy, pour citer quelques virtuoses, mais cela ne les empêchera pas de connaître un certain succès ni l'adaptation cinématographique) ; qui écrit des contes, des pièces de théâtre, des nouvelles ; de la poésie, aussi : Frédéric Dard, qui espère le Goncourt, qui l'attend, le revendique souvent en note, et entend être reconnu sous son nom[25].

« Vous allez dire que pour un flic, ce n'est pas fortiche, mais je ne peux jamais m'habituer à un faux blaze... Il me semble toujours qu'on s'adresse à un autre »[26].

Mais voilà : ce rejeton de la Nécessité « j'avais besoin de faire vivre ma famille », dira souvent Frédéric Dard pour expliquer la « naissance » de San-Antonio –, c'est lui qui commence à connaître la notoriété, douchant les espérances littéraires nobles de celui qui tient la plume d'une pluie de gouttelettes dorées, compte-tenu des tirages en ascension régulière ; c'est lui qui plaît.

Frédéric Dard s'est pourtant employé à amoindrir son personnage, lui faisant parler une langue souvent approximative (« peuple » et provinciale, quand San-Antonio ne cesse de se réclamer de ses « racines » parisiennes) avant d'en faire un style ; le gonflant de tartarinades, y compris celles où sont pris à partie les nombreux écrivains (reconnus) dont le talent est jugé inférieur à celui du « signataire »[27] ; lui attribuant les myriades de conquêtes féminines que la légende prête à Simenon, dont le Maigret (un commissaire, lui aussi) hante les premières aventures policières, « psychologisantes » et plutôt hâtivement conclues[28], de San-Antonio ; le mettant dans une compagnie pas toujours reluisante – à part le Vieux, ses comparses sont pittoresques mais peu présentables, et certainement pas flatteurs ; le faisant évoluer au sein d'une Institution, la Police, peuplée majoritairement d'incapables[29], de tire-au-flanc, de caractériels et de brutes[30]... Certes, ces personnages se sont imposés à lui, on a essayé de le montrer, mais il s'est vengé, en outrant le trait – il faudra longtemps pour qu'il se résolve à se réconcilier avec eux.

Et ce commissaire qui lui vole la vedette – aucun des pseudonymes choisis par Frédéric Dard n'atteindra jamais à une quelconque notoriété, et la sienne propre en tant qu'écrivain sera toujours largement inférieure à celle de San-Antonio –, qui lui fait une méchante ombre, eh bien ! il ne peut l'abandonner. Et pas seulement pour des questions de « demande » du public – Conan Doyle, autre signataire de livres ambitieux « forcé » par ses lecteurs de ressusciter un Sherlock Holmes encombrant, qu'il avait fait périr trois ans plus tôt aux mains du redoutable professeur Moriarty pour s'en débarrasser – ou de royalties, comme il aimera à le dire plus tard : n'a-t-il pas fini par se l'approprier et même par se prendre pour « lui »[31] ? Le « je perds de l'argent chaque fois que je signe un livre de mon nom [plutôt que d'écrire un San-Antonio] » qu'on prête à Frédéric Dard est certainement plus que l'expression d'un dépit, un cri de douleur...

Pas étonnant, par conséquent, qu'on puisse lire ceci, dans un des romans du début :

« Tu veux que je te dise, tu n'es qu'un sale dégonflé. Où que tu te l'es faite, ta réputation, grand lâche ? Hein, dans les romans du Fleuve Noir, mon lapin... En réalité» c'est du vent, M. San-Antonio... Tes galons de commissaire, tu les a eus dans l'alcôve d'un préfet de police, dis ? Tu serais pas pédoque, par hasard ?

Je serre si fort mes poings que ça craque. S'il me disait ça face à face, Duboin, tout copain qu'il est, je lui ferais manger son râtelier ! »[32].

Par la « bouche » du « copain Duboin », la colère face à l'« injustice » s'est clairement exprimée.

Voilà pour ce que j'appelle plus haut : [San-Antonio comme] figure-écran pour l'auteur.


A suivre…


Notes :


[1] On notera que « Dère » comporte autant de lettres que « Dard », mais aussi que dans l'univers métaphorique-langagier de San-Antonio, l'un est « anatomiquement » l'envers de l'autre. – Bien avant d'associer Hector et Pinaud dans une agence de détectives privés, nommée « Pinaud-Dère », San-Antonio fera l'observation suivante : « le regard [que Pinaud] me jette est aussi incomplet que son nom... », San-Antonio, Ca tourne au vinaigre, Fleuve Noir n° 101, 1956, p. 172.

Restant dans le même registre, on remarquera que, dans la lettre que Gustave, l'oncle (paternel ?) de San-Antonio, adresse à son neveu, à propos du noyé que les deux ont repêché peu avant dans le Rhône, est souligné « inutilement » un détail ayant peu à voir avec l'affaire en cours : « … je te joins une coupure parue dans Le progrès de ce matin... D'autre part, le journaliste a orthographié mon nom avec un ''d'' à la fin, alors qu'il faut un « t » comme tu le sais... », San-Antonio, Deuil Express, Fleuve Noir, n° 63, 1954, p. 40. On en tirera l'indication, impossible à exploiter dans le contexte de ce colloque, que les oppositions « a/e » et « d/t » articulent probablement quelque chose de l'inconscient de l'auteur.

L'opposition « d/t »se retrouve plus tard dans la « bouche » de Pinaud :

« – J'ai fait du théâtre étant jeune...

– Et tu jouais quoi ? La partie antérieure d'un lion dans Ben-Hur ? Tu as la tête à ça !

– Rigole pas... j'avais un nom... J'avais pris un pseudonyme...

– Tu t'appelais comment ?

– Pinaut, avec T... », San-Antonio, Ca tourne au vinaigre, op. cit., p. 41 – je souligne.

[2] Rustica : magazine hebdomadaire de jardinage et de bricolage, créé en 1928 par les éditions de Montsouris, éditrices du Petit Echo de la Mode, passé sous le contrôle du groupe franco-belge Média-Participations en 1987. D'après Wikipedia, fr.wikipedia.org/wiki/Rustica

[3] San-Antonio, Rue des Macchabées, Fleuve Noir n° 57, 1954, pp. 10-11 – je souligne.

[4] Ibid., pp. 29-30.

[5] Profitons-en pour remarquer que l'histoire, assez personnelle et « psychologique », appartient plutôt à la veine des romans signés Frédéric Dard, le commissaire manquant même de convoler (!) avec une criminelle par association (l'ancienne maîtresse et complice du médecin qui a tenté de le tuer) :

« – … Tu as trente-quatre ans, mon grand...

J'ai pigé.

– Ah non, dis, Man, tu ne veux pas me marier ?

– … Ce serait raisonnable, crois-moi... Mon incapacité provisoire... me fait comprendre que je ne serai pas toujours là, mon grand... Une épouse, vois-tu, c'est encore ce qu'on a trouvé de mieux pour remplacer une mère !

– Tais-toi ou je me mets à chialer...

– Mais si, il faut dire les choses telles qu'elles sont ! Cette petite Anne-Marie est courageuse, active, sérieuse, intelligente... », San-Antonio, A tue... et à toi, Fleuve Noir n°93, 1956, p. 202 – je souligne.

[6] San-Antonio, Descendez-le à la prochaine, op. cit., p. 126 – je souligne.

[7] San-Antonio, Passez-moi la Joconde, op. cit., p. 53 – je souligne.

[8] « Une bath histoire ; moi je la commence, et toi tu la finis...

Il était une fois un petit futé qui s'appelait Ferdinand et qu'avait trop lu les Pieds-Nickelés. Un jour il décide de faire un fric-frac dans un coin pépère... », San-Antonio, Mes hommages à la donzelle, Fleuve Noir n° 30, 1954, p. 15. – J’explore ailleurs (in Larvatus pro deo, étude sur San-Antonio, thèse de 3e cycle, 1975, inédite) l’hypothèse des 3 Mousquetaires de Dumas comme modèles.

[9] Voir ici-même, note n° 4.

[10] San-Antonio, Deuil express, op. cit., pp. 92-94 – je souligne.

[11] San-Antonio, Réglez-lui son compte, op. cit., p. 59 – voir, dans cet espace San Antonio : auto-portraits (technique mixte) 1 mis en ligne le12 avril 2010, note n° 15.

[12] Ibid., pp. 105-106 – je souligne.

[13] San-Antonio, Les souris ont la peau tendre, Fleuve Noir n° 19, 1951, pp. 125-126 – je souligne.

[14] Cf. Verlaine, Sagesse : Qu'as-tu fait, ô toi que voilà / PLEURANT SANS CESSE, / Dis, qu'as-tu fait, toi que voilà, / De ta jeunesse ? – A remarquer : « San-Antonio » se garde bien de donner cette référence...

[15] San-Antonio, Des dragées sans baptême, op. cit., pp. 119-120 – je souligne.

[16] Par exemple : « Mes pensées voltigent, pareilles à des papillons rose. Cette image pour vous rappeler que je ne suis pas seulement un écraseur de pifs, mais que la poésie est une copine à [sic] moi », San-Antonio, Mes hommages à la donzelle, op. cit., p. 42.

[17] Ibid., p. 215 – je souligne.

[18] San-Antonio, Passez-moi la Joconde, op. cit., pp. 52-53 – je souligne ; voir ici-même, note n° 7.

[19] San-Antonio, Des dragées sans baptême, op. cit., pp. 71-72 – je souligne. Voir San Antonio : auto-portraits 1, note n° 9.

[20] San-Antonio, Sérénade pour une souris défunte, op. cit., p. 11 – je souligne.

[21] Kurt-Erich Suckert (1898-1957), devenu Curzio Malaparte en 1929, diplomate, journaliste et écrivain italien, mais aussi baroudeur et résistant, auteur notamment de Technique du coup d'Etat, de Kaputt, de La peau, et d'un film, Le Christ interdit.

[22] Le Chasseur français : magazine mensuel français fondé en 1885 par Manufrance, essentiellement tourné vers la chasse, la pêche et le bricolage, connu, depuis la fin de la Première Guerre mondiale où des millions d'hommes ont péri, pour ses petites annonces matrimoniales. D'après Wikipedia.

[23] San-Antonio, Passez-moi la Joconde, op. cit. p. 25 – je souligne.

[24] Cf. Pierre Grand-Dewyse, Moi, vous me connaissez !, Paris, Rive Droite, 1994.

[25] « – San-Antonio ! C'est pas possible !

Du coup, je respire. Ca fait plaisir d'être connu et reconnu ! Du reste, il n'y a que les gens connus qui sont reconnus ; c'est connu (1).

(1) Une phrase aussi originale dans sa sobriété n'administre-t-elle pas la preuve que l'auteur est en pleine possession de sa langue ?... », San-Antonio, Les doigts dans le nez, Fleuve Noir n° 108, 1957, p. 86.

[26] San-Antonio, Descendez-le à la prochaine, op. cit., p. 60 – je souligne.

[27] De Max du Veuzit à André Roussin en passant par Lamartine, Paul Bourget, Henri Bordeaux, Pierre Loti, François Mauriac et Montherlant, pour en citer quelques uns.

[28] Voir, dans les Actes du colloque, « Comment écrivait San-Antonio, essai d'analyse quantitative » où Pierre Grand-Dewyse démontre de façon convaincante que seuls les premiers chapitres semblent intéresser F. Dard écrivant un « San-Antonio ».

[29] « … Merci, brigadier, vous avez bien mérité de la patrie !

Je demeure en tête-à-tête avec mon confrère.

– Ce n'est pas un génie, évidemment, murmure ce dernier...

Je hausse les épaules.

– Si c'était un génie, il ne serait pas dans les gardiens de la paix, mon cher ami !

Nous éclatons de rire l'un et l'autre », San-Antonio, Les doigts dans le nez, op. cit., p. 97.

[30] Re : « – … Quand un farceur dérouille un flic, il sait ce qui l'attend, non ?

– Et comment ! C'est pas à moi qu'il faut le dire...

– Evidemment...

– Parce que lui, Bérurier, il file une toise à tous les suspects qui se trouvent sous ses lattes. Un jour, comme ça, il s'est gourré et il a assaisonné un juge d'instruction, c'est ce qui a, du reste, enrayé son avancement... Ca et sa couennerie native... », San-Antonio, Le fil à couper le beurre, Fleuve Noir n° 85, 1955 p. 53. Voir San-Antonio : auto-portraits 1, note n° 12.

[31] En 1975, Frédéric Dard fera paraître un livre, signé San-Antonio, Je le jure (Paris, Stock) où il évoque notamment son enfance…

[32] San-Antonio, Passez-moi la Joconde, op. cit., p. 195 – je souligne.





San Antonio : auto-portraits (technique mixte) 2 © copyright 2010 Richard Zrehen