mardi 24 février 2009

Un curieux penchant (III)

… Tous les Français, donc, ont à assumer cet héritage-là : le tort fait aux Juifs de France, privés de la citoyenneté, du secours de la loi, de leurs biens et, pour beaucoup, envoyés à la mort. Et reconnaître une faute est toujours difficile, d’autant plus qu’on ne l’a pas commise directement. Quant à l’assumer…

Deuxième volet de l’hypothèse exposée plus haut : le pro-« palestinisme » français a beaucoup à voir avec cet héritage-là.

*

II.- Genèse de la culpabilité vis-à-vis des « Arabes »

Nous écrivons « Arabes » avec des guillemets pour signaler une difficulté de désignation, fautive mais très répandue, quand est évoquée l’Algérie, qui est ce que nous visons, le Maghreb en général, et non pas ces pays où le Britannique et le Français ont exercé un mandat confié au lendemain de la 1e guerre mondiale par la Société des Nations…

L’Algérie a été conquise au VIIe siècle par les Arabes, a été islamisée (après avoir partiellement été judaïsée puis christianisée), s’est mise à parler l’arabe (sans abandonner les langues locales, jusqu’à aujourd’hui, en dépit des efforts des Autorités), certes, mais ses habitants d’alors sont-ils pour autant devenus des Arabes ? Et les Berbères ? Les Kabyles ? Les descendants des Vandales blonds venus de Germanie au Ve siècle se sont-ils évaporés d’un seul coup ? Des Perses (qui ne sont pas des Arabes !) ? Des Numides (nomades) dont parlait Salluste[1] ? Des Turcs (qui ne sont pas des Arabes !) et des Albanais qui viendront au XVIe siècle ?

Nonobstant, les Pieds-Noirs appelaient « Arabes » les habitants de leur nouveau pays, Camus aussi, qui avait pourtant une connaissance étendue de ce qui séparait les Kabyles[2] (qui ont résisté à la conquête française jusqu’en 1870, se sont souvent révoltés après, et luttent toujours pour la reconnaissance de leur langue et de leur culture) des autres populations « indigènes », mais tout le monde sait – et oublie souvent – qu’« Arabe » et « musulman » ne se superposent pas, qu’il y a des arabes chrétiens, par exemple, et des musulmans asiatiques. – Se vouloir « Arabe » en Algérie, hier, aujourd’hui, est un désir attesté, certes, mais qui n’appartient pas à la discussion en cours[3]. Et quant à se vouloir « Beur » ailleurs…

Le point n’est pas trivial, et la condensation, « arabo-musulman », d’usage aujourd’hui courant pour désigner culture et peuples, le monde nébuleux qui va du Maroc au Moyen-Orient, est l’opérateur qui permet « chez nous », d’un même mouvement, de rappeler/oublier l’Algérie comme problème et comme douleur.

L’histoire est plus récente, encore plus oubliée-brouillée par conséquent. On sera pourtant encore plus bref ; possiblement, encore plus schématique.



L’Algérie devenue française, administrativement rattachée à sa Métropole, théâtre d’une terrible guerre qui, longtemps, n’a pas dit son nom, qui, de revendication d’une égalité de droits entre Français et musulmans d’Algérie voulant étendre le périmètre du Projet de loi Blum-Viollette[4] de 1936 – refusées par les élus des Français d’Algérie et, notamment par la totalité des maires[5], qui feront échouer le Projet au Parlement en 1937, ses dispositions ont été reprises par le général de Gaulle en 1944[6] –, s’est transformée, en 1954, en guerre d’indépendance menée par des révolutionnaires pan-arabes décidés, soutenus par le bloc soviétique mais ayant la sympathie des Etats-Unis (!) ; guerre marquée par le terrorisme nationaliste contre les populations civiles – condamné par Camus mais abondamment justifié par les intellectuels « progressistes » – et gagnée par la France au terme de la bataille d’Alger (1957) d’une manière très peu honorable[7] : une armée de conscrits menée par des militaires ayant encore la débâcle de 1939, alourdie de la défaite de Dien Bien Phu, en tête, laissée sans véritables guides par les politiques, ébranlée par les embuscades et horrifiée par les attentats, les mutilations et les mises-en-scène macabres, s’étant livrée, avec de moins en moins de retenue, à la torture, des membres du FLN aux universitaires en passant par les journalistes.

Pendant que les jusqu’au-boutiste de l’Algérie française, qui n’avaient pas « réalisé » que le statut imaginaire de l’Algérie – compensation pour la perte de l’Alsace-Lorraine – n’était plus qu’un lointain souvenir[8], que le colon, de pionnier héroïque dur à la tache s’était mué, pour des Métropolitains encore traumatisés par l’Occupation et les tickets de rationnement, en un profiteur enrichi d’avoir « fait suer le burnous », se lançaient dans le contre-terrorisme en Algérie, en Métropole, sous la conduite d’un ancien haut-fonctionnaire[9] du régime de Vichy responsable direct de la déportation de Juifs du Bordelais, requalifié par le gouvernement du général de Gaulle, la police, éprouvée par les actions menées contre elle par les clandestins du FLN, réprimait durement les manifestations de défenseurs de la « cause algérienne » et se livrait à des ratonnades meurtrières contre les sympathisants musulmans des nationalistes algériens ; le général de Gaulle, qui détestait les Pieds-Noirs, selon Alain Peyrefitte – Parce qu’ils lui avaient préféré Giraud pendant la guerre ? Parce qu’il leur devait son retour aux Affaires et qu’un grand politique se définit précisément de ne pas avoir de créancier ? – préparait le désengagement de la France et l’indépendance de l’Algérie.


La France quittera l’Algérie dans la plus grande précipitation, sans vraiment superviser l’évacuation des populations civiles, laissant derrière elle ces musulmans d’Algérie qui, renonçant au droit coranique en vigueur du temps de l’Empire ottoman, avaient « choisi pour pays la France » (pour paraphraser le titre d’un livre de l’ancien député UNR d’Orléanville, le Bachaga Boualem[10]), accueillant avec très grande réticence ceux qui avaient réussi à échapper aux effroyables représailles du FLN et parquant « ses » Harkis dans des conditions peu honorables. En 1979, à l’occasion d’une réunion de Harkis, le Bachaga Boualem déclarera : « Il y a vingt ans, j’ai choisi la France. C’est une erreur de ma part, j’ai fait un mauvais choix »… – Il est approprié de noter ici que rien n’avait été prévu pour le « retour » des Pieds-Noirs qui n’avaient eu pour choix que « la valise ou le cercueil », et pour lesquels on construira à la hâte ces barres d’immeubles qui peuplent encore nos banlieues…



Une Algérie indépendante à la nationalité incertaine[11], devant être « construite » pour donner un imaginaire à la citoyenneté nouvellement acquise, « épurée » de ses européens ou supposés tels, incapable de retenir une partie de ses nationaux qui vont s’installer graduellement en France, parce que le stalino-tiers-mondisme militant et moraliste n’a évidemment que faire de la démocratie et n’est que médiocrement soucieux de quotidien et d’efficacité économique… Le mouvement s’accélérera notablement quand surviendra l’inévitable et épouvantable guerre civile des années 90. – Inévitable, parce que l’indépendance a été plus concédée que gagnée, ce qui est toujours dur à avaler, par un regroupement de populations, plus ou moins unies dans la lutte contre la France – pour parvenir à ses fins, on peut le rappeler, le FLN s’est débarrassé physiquement de ses rivaux du MNA de Messali Hadj –, mais que séparaient de profondes différences que la « victoire » n’a pas suffi à faire disparaître.

Le FLN, parti « unique » ayant fermé toute possibilité au « politique » de se déployer, manquant, après la disparition des figures historiques, d’un chef « charismatique » capable de faire médiation et étouffé par sa bureaucratie, s’est avéré au bout du compte incapable de jouer plus longtemps son rôle de mise en ordre du pulsionnel ; il s’est trouvé confronté, brutalement, aux islamistes qui disposent avec leur « Islam » d’une immense puissance d’organisation alternative – réglant, par exemple, le difficile problème de la différence des sexes à la radicale manière talibane : par l’assassinat des intellectuelles, des femmes médecins, avocats, pharmaciens, institutrices, etc.

Une France qui s’est dégagée en grande partie parce qu’elle n’a pas voulu de millions de musulmans porteurs d’une carte d’identité française…

Tout cela, trop brièvement dit, pour rappeler que les Français, tous les Français y compris ceux qui viennent d’Algérie et n’ont acquis leur nationalité que récemment ont à assumer cet héritage - – se soutenir d’une provenance « maghrébine » pour prétendre s’en excepter n’est pas admissible : le tort fait aux musulmans d’Algérie, Harkis y compris, privés du secours et de la protection de la loi. Et reconnaître une faute est toujours difficile, surtout si on l’a commise indirectement. Encore plus quand on croit être soi-même une victime – avec de bonnes raisons pour cela.

Troisième volet de l’hypothèse exposée plus haut : le pro-« palestinisme » français a tout à voir avec cet héritage-là.

***

A suivre…


Notes :

[1] Cf. Salluste, La guerre de Jugurtha, Paris, Les Belles Lettres, 2002.

[2] Cf. Albert Camus, « Misère de la Kabylie », série d’articles publiés par « Alger Républicain », 5-15 juin 1939.

[3] « L’Algérie est membre de l'Organisation des Nations unies, de l’Union africaine et de la Ligue arabe depuis 1962. Elle intègre aussi l'OPEP en 1969. En février 1989, l'Algérie participe avec les autres États du Maghreb à la création de l'organisation de l’Union du Maghreb arabe... La Constitution du 28 novembre 1996 définit ‘l'Islam, l’Arabité et l’Amazighité’ comme ‘composantes fondamentales’ de l'identité du peuple algérien et le pays comme ‘terre d’Islam, partie intégrante du Grand Maghreb, méditerranéen et africain’ », Wikipedia org.

[4] Projet de loi du Front populaire, visant à ce que 24 000-25 000 musulmans puissent acquérir la citoyenneté française, leur permettant notamment de bénéficier du droit de vote, tout en gardant leur statut personnel lié à la religion. Wikipedia. org

5] Craignant l'accession de maires et de conseils municipaux musulmans dans certaines mairies, susceptible, pensaient-ils, de mettre en danger la souveraineté française, les 300 maires d’Algérie rejetèrent à l’unanimité ce projet de loi lors du congrès d'Alger (14 janvier 1937). Wikipedia. org

[6] Par une ordonnance modifiant le statut pénal des musulmans, les soumettant aux mêmes droits et aux mêmes devoirs que les Français d’Algérie, et donnant aux diplômés, fonctionnaires et militaires musulmans la citoyenneté française. 65 000 personnes obtiendront un statut d'électeur égal à celui des français non-musulmans, portant à deux cinquièmes la proportion des musulmans dans les assemblées élues. Wikipedia. org

[7] Le film, longtemps interdit en France, du cinéaste communiste Gillo Pontecorvo, La Battaglio di Algeri (1966), restitue suffisamment bien l’épisode, en dépit d’un évident parti-pris « idéologique », pour être aujourd’hui projeté, dans certaines écoles militaires occidentales, aux officiers chargés du contre-terrorisme – aux dires de certains... Cf. « 1948–2008 : COMMEMORATION DE LA NAKBA, du 3 au 11 août 2008 à Lormont, RENCONTRE DE JEUNES PALESTINIENS ET FRANÇAIS sur le thème «’ ‘Résister pour exister’ », 15 juillet 2008, resisterpourexister.unblog.fr

[8] C’est un alsacien (!), « israélite » de surcroît, qui aura dit le premier que, de symbole signifiant beaucoup plus qu’elle-même, l’Algérie était insensiblement passée au rang de territoire ordinaire au lendemain de la 2e guerre mondiale ; déchue, rétrécie, « banalisée », devenue denrée, elle était désormais soumise au calcul économico- politique, ultima ratio des « réalistes » en politique étrangère : encore échangeable, mais dans un autre registre, selon une autre unité de compte. Et ses habitants, Français et Néo-Français, étaient simplement devenus gênants… En 1957, Raymond Aron publie un livre qui fait scandale, La Tragédie algérienne (Paris, Plon), dans lequel il écrit en substance que le colonialisme n’est plus défendable, que l’Empire coûte plus qu’il ne rapporte, que l'intégration n'est plus sérieusement envisageable, les différences de croissance démographique entre les populations « européennes » et « non européennes » constituant un obstacle insurmontable, que l'indépendance de l'Algérie, par conséquent, paraît inévitable. Il ajoute aussi que si l’option du gouvernement est de ne pas envoyer de troupes supplémentaires et d’intensifier la guerre, il faudra bien se résoudre à négocier avec le FLN...

[9] Dans un petit livre malin, roman policier « à clef », Meurtre pour mémoire (Gallimard, 1984), Didier Daeninckx évoque ce personnage exemplaire, que la justice française ne rattrapera que très tardivement, ses « protecteurs » disparus...

[10] Bachaga Boualem, Mon pays la France, Paris, France-Empire, 1962.

[11] « Dans un article paru en 1936 et devenu, vingt ans après, célèbre, Ferhat Abbas [luttant alors pour que les musulmans obtiennent les mêmes droits que les Français d’Algérie] écrivait : ‘ Si j’avais découvert la nation algérienne, je serais nationaliste. Je ne l’ai pas découverte. J’ai interrogé les vivants et les morts. J’ai interrogé les cimetières. Personne ne m’en a parlé.’ … En 1931, une association d’ulémas commence à prôner une nation algérienne de langue arabe et de religion islamique et, en 1936, s’oppose à Ferhat Abbas : ‘ la population musulmane n’est pas de la France, elle ne peut pas être de la France, elle ne veut pas être de la France. ’ » Marie Elbe, « Les jujubiers de la conquête » in Les Pieds-Noirs, op. cit., p. 43.

Illustrations :

North Rodeo Drive (L A) © copyright Alain Bellaïche.

Le Vieux-Port © copyright Patrick Jelin.

Trucks (NYC) © copyright Serge Kolpa.

Pensive © copyright Patrick Jelin.

Femme bandée, Peter Klasen (coll. privée) © copyright RZ.

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Un curieux penchant © Copyright © Richard Zrehen, 2006, 2009.

lundi 16 février 2009

Un curieux penchant* (II)


… il faut encore intégrer au tableau, parce qu’ils lui appartiennent de plein droit, la culpabilité française à l’égard des Juifs et des « Arabes », plus ou moins tardivement avouée par les pouvoirs publics, la honte qui l’accompagne et le profond ressentiment à l’égard des Américains, tel qu’il se manifeste publiquement, depuis le début de la guerre froide (en fait, depuis la fin de la 2e guerre mondiale)… jusqu’à la veille de l’intronisation du président Barack Obama...

« L’histoire d’avant-hier est la moins connue ; celle d’hier la plus oubliée », Guizot[1].


I.- Genèse de la culpabilité française vis-à-vis des Juifs

Dès avant la fin 1940, on le sait, les Autorités françaises et leurs bras séculiers ont su faire preuve d’un zèle particulier dans la chasse aux Juifs, observants ou pas, et aux Israélites[2] que leur volonté d’assimilation aurait dû (!) mettre à l’abri, épurant et excluant avec méthode, avant de recenser, étoiler, dénoncer, spolier – avec l’appui d’une partie non négligeable de la population, prise d’une grande fièvre épistolaire[3] et bien décidée à participer à l’« aryanisation » des sociétés françaises –, arrêter et rassembler en vue de déportation, sans que l’Allemagne ait beaucoup à insister.

Il est de la nature des « origines » de toujours se dérober mais, pour ce qui est de notre affaire, on peut prendre le dernier tiers du XIXe siècle comme point de départ de cette spontanéité « patriotique ». L’histoire est connue (?), on se contente de la rappeler à grands traits, au risque de schématiser.

Le Second Empire défait, la IIIe République n’est pas capable de résister à la Prusse et perd l’Alsace-Lorraine[4] ; Lorrains et Alsaciens, pour rester français[5], montent en masse à Paris ou choisissent de s’établir de l’autre côté de la Méditerranée, et le sentiment anti-allemand se répand. Dès lors, la conquête de l’Algérie (possession de l’empire ottoman), entreprise directement en 1830 pour venger l’affront fait au consul de France Deval, frappé d’un coup d’éventail en 1827 par le Dey d’Alger, au cours d’une négociation commerciale difficile, en fait pour protéger notre marine marchande et nos littoraux contre les pirates « barbaresques » (ou corsaires ottomans, dont les plus célèbres sont les frères Barberousse) trafiquants d’esclaves[6], prend une nouvelle signification : celle d’une compensation territoriale et morale, voire d’un redressement de tort – exaltation lourde de menaces. Avant l’invasion arabe du VIIe siècle, l’Algérie berbère était terre d’évangélisation, et St Augustin, son fils le plus glorieux[7].

Moment difficile pour les soutiens d’une monarchie qui a su, quelque deux siècles avant, répliquant le « geste » espagnol du temps de la Reconquista, « homogénéiser » le pays en expulsant presque tous les protestants qu’elle n’avait pas tués, ces hommes de la droite catholique, qui ne pardonnent pas sa faiblesse à la République « usurpatrice », la « Gueuse » – abandonner la patrie de Jeanne d’Arc aux Allemands, c’est-à-dire aux Protestants ! – et regrettent leur roi ; qui ont été impuissants à empêcher Crémieux de faire passer le décret donnant la nationalité française aux Juifs d’Algérie (1870) et vu d’un très mauvais œil l’arrivée en nombre de financiers juifs allemands titrés, venus jouir en France des droits civiques (et de la vie) que l’Allemagne leur refusait[8].

Moment difficile pour les paysans arrachés à la terre et précipités dans les villes par la révolution industrielle, pour la gauche révolutionnaire, moins influencée par Marx – qui avait un gros problème avec ces Juifs d’Europe (quant aux Juifs orientaux…) dont il ne savait pas trop comment se désolidariser – que par Fourier[9], qui était d’avis de renvoyer les Juifs en Asie (!), Blanqui et Proudhon, confrontée au machinisme et à la force invisible et broyeuse du Kapital.


La richesse passe brutalement du visible – la « terre », la propriété foncière – à l’hyper abstrait, l’argent, pas celui des pièces et des lingots, celui de la Phynance, comme dira Jarry. Et ce n’est pas assez dire : l’argent en tant que déconnecté de son supposé équivalent, quelque marchandise ou encore la mystérieuse quantité de travail correspondant à un salaire. « L’argent, c’est le Réel » a enseigné le psychanalyste Jacques Lacan ; le Réel, pas le Symbolique, non ce qui « vaut pour » et peut se concevoir, mais bien ce qui prolifère et n’est pas représentable[10], ce qui déborde et excède les capacités d’accueil – c’est-à-dire de compréhension. Il est à noter qu’à peine accueilli dans la langue française (aux environs de 1870, apparemment) le mot « vampire » (de l’allemand vampir, emprunté au slave oupir), nommant un « cadavre qui sort la nuit de sa fosse [pour aller] sucer le sang des vivants, s’est vite vu doté d’un fort sens figuré, « personne qui s’enrichit du bien ou du travail d’autrui : Protée livré aux vampires d’agiotage (Fourier) »[11].

En résumé, la bonne société trouve que les barons juifs allemands sont vulgaires et abusent de leur argent pour la déplacer, voire la remplacer, rachetant châteaux, hôtels particuliers et équipages, quand ils ne l’humilient pas en donnant des fêtes somptueuses auxquelles elle se résout mal à ne pas assister ; les « prolétaires » pensent que les capitalistes (= Juifs, les plus en vue, les plus démonstratifs parce qu’ils ont du retard social à rattraper, ou encore = financiers « enjuivés ») qui s’enrichissent « sans rien faire » sont des vampires au sens « figuré » rappelé ci-dessus.


– Le « sang » dont se repaît le vampire est évidemment le signifiant qui va permettre au vieux mythe du « crime rituel » (selon lequel, au moment de la Pâque, les juifs sont censés mettre à mort un enfant chrétien pour recueillir son sang et pouvoir le mêler au pain azyme, ce pain « non levé » qu’ils ont coutume de manger pendant les 8 jours que dure cette fête célébrant la sortie d’Egypte) de retrouver une nouvelle jeunesse et une acception élargie, lui permettant d’enrichir l’imagerie de la Restauration Nationale, pleine de capitalistes arrogants et de « ploutocrates »-sangsues autour de 1930…

Ce mythe qu’on aimerait croire à peu près déconsidéré dans nos contrées sous sa forme primitive… François de Paul-Ulysse, comte de Ratti Menton, consul de France en Syrie dans la première moitié du XIXe siècle a pu lui donner crédit total dans sa guise d’origine lors de l’affaire dite de Damas, la disparition, le 5 février 1840, du père Thomas, supérieur des Capucins (et de son domestique), rapidement attribuée aux Juifs « qui auraient commis sur sa personne un crime rituel » et dont plusieurs mourront après avoir été torturés par la police désireuse d’obtenir leurs aveux[12].



Parallèlement, le sentiment « anti-boche » (l’Alboche, ou « tête épaisse » du lendemain de défaite devenant progressivement le « sale boche »), alimenté par des littérateurs et polémistes de talent (Daudet père et fils, Maurras, Maurice Barrès, etc. ) se généralise, tout comme le culte de la Pucelle d’Orléans, et, pour aggraver les choses, l’explosion du capitalisme et la libération de la formidable puissance de l’argent comme flux débordant – énergie débridée que les appareils de production/circulation ne peuvent canaliser longtemps : les éléments sont en place, dont le précipité (après quelques scandales politico-financiers auxquels sont mêlés certains des barons juifs de la finance, comme celui de Panama en 1889-1892[13]) va donner La France juive, La Cocarde, la glorification du sol, l’Affaire Dreyfus[14], la renonciation au particularisme des élites juives[15], la venue triomphale de Drumont en Algérie, l’élection de députés Drumontistes en cette même Algérie demandant l’abrogation du décret Crémieux, les émeutes anti-juives en cette même Algérie[16] (animées par le socialiste Max Régis, directeur du journal L’Anti-juif, et célébrées en pataouète – le pittoresque (!) parler des pieds-noirs – par le gavroche local, Cagayous[17]), l’illumination de Maurice Barrès découvrant, pendant l’épouvantable 1e guerre mondiale, que les Juifs de vieille souche et les récents naturalisés (Juifs allemands, Juifs polonais, Juifs russes, chassés de leur pays au lendemain de la Révolution des Soviets de 1905) s’étaient engagés en masse pour leur Patrie et contre le Teuton, et s’étaient admirablement comportés sur les champs de bataille[18] (payant un lourd tribut du sang que les survivants et leurs descendants opposeraient en vain, quelque 20 ans plus tard, à la police de Vichy, impassible devant leur qualité d’anciens combattants et leurs médailles), la Révolution Nationale en France métropolitaine, et, ultimement les lois et le zèle anti-juifs du maréchal Pétain et de ses partisans les plus enthousiastes[19] – et tous n’étaient pas de « droite », loin s’en faut.

Tout cela, trop brièvement dit, pour rappeler que les Français, tous les Français, pour autant qu’ils ont pour « ancêtres communs » ces « Gaulois » mythiques des manuels d’histoire d’avant 1975 – ce qu’impliquent et la citoyenneté par naissance et la citoyenneté par naturalisation –, ont à subir le poids de l’héritage, Français « issus de l’immigration » y compris. Se retrancher, par exemple, derrière des caractéristiques « ethniques » visiblement distinctes de celles prêtées à ceux que César a autrefois vaincus pour refuser cette « filiation » et cette charge tout en jouissant de la nationalité française, est très malvenu, est se méprendre gravement sur la nature de celle-ci : un contrat, avec droits et obligations, pas une appartenance bio-politique sans contrepartie. Tous, donc, ont à assumer cet héritage-là : le tort fait aux Juifs de France, privés par Vichy de la citoyenneté, du secours de la loi, de leurs biens et, pour beaucoup, envoyés à la mort. Et reconnaître une faute est toujours difficile, d’autant plus qu’on ne l’a pas commise directement. Quant à admettre qu’il y a l’assumer…



Deuxième volet de l’hypothèse exposée plus haut : le pro-« palestinisme » français a beaucoup à voir avec cet héritage-là – ce qu’on développe plus bas.

A suivre…


*Une première version (écourtée) de ce texte a été publiée dans le n°14 d’Outre-terre (2006), revue française de géopolitique, éditions Erès, sous le titre « Le complexe de Tulkarem ». Copyright © Richard Zrehen, 2006, 2009.


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Notes :

[1] Cité par Jacques Chastenet, La France de M. Fallières, Paris, Fayard, 1949, p. 11.

[2] Emules de ces Juifs lettrés, républicains et universalistes (au nombre desquels les frères Joseph, Salomon et Théodore Reinach, les frères Arsène et James Darmesteter, Salvador Lévi, Gaston Bach, le rabbin Louis-Germain Lévy) qui ont choisi de se nommer « Israélites » (par référence à l’avant conquête du pays de Canaan), de ne plus reconnaître l’autorité du Talmud (sans pour autant abandonner son étude, A. Darmester lui consacrant un brillant essai paru en 1888), de récuser la Loi et ses commandements, de renoncer au gros des pratiques, de se référer aux Prophètes (J. Darmesteter fera paraître en 1892 Les prophètes d’Israël), qui ont inventé un judaïsme du cœur, laïcisé et désorientalisé, le judaïsme libéral, et s’opposent systématiquement aux « Juifs » restés attachés à la Tradition. Cf. Georges Clemenceau, Au pied du Sinaï, op. cit., p. XIII & pp. XV-XXIV.

[3] Cf. Antoine Lefébure, Les Conversations secrètes des Français sous l'Occupation, Paris, Plon, 1993.

[4] « Bien peu destructive, bien peu sanglante auprès de ce que l’univers connu depuis, cette guerre [de 1870] a paru, aux Français contemporains, un cataclysme inouï.

Les souvenirs de 1814 et de Waterloo avaient été oubliés ; on ne se rappelait que les récentes et victorieuses campagnes de Crimée [contre la Russie] et d’Italie [contre l’Autriche] ; des hécatombes révolutionnaires et impériales on n’évoquait que l’idéal français conquérant l’Europe ; on sentait son cœur battre quand on contemplait la Colonne Vendôme ; on était assuré d’être, par les armes comme par l’esprit, la Grande Nation.

La défaite tomba, en coup de foudre, sur ces illusions. La France vaincue, et non pas même par une coalition, mais par de médiocres Etats germaniques, des principautés de Gerolstein élargies ! En dépit de l’évidence, beaucoup, parmi les plus « avancés » politiquement, se refusèrent d’abord à le croire et la Commune parisienne fut, pour une part, la réaction d’un amour-propre atrocement blessé… », Jacques Chastenet, La France de M. Fallières, op. cit., p. 22 – nous soulignons.

[5]« Après 1871, l’émigration vers la France avait vidé le pays de tous les éléments intransigeants, qui refusaient de reconnaître, fût-ce par leur simple présence, l’état de fait créé par le traité de Francfort [signé entre la France et l'Allemagne le 10 mai 1871]…

Pour presque toutes les familles bourgeoises du Haut-Rhin, le refus de tout contact avec les Allemands était un principe dont on ne se départait pas ; et, dans la maison paternelle, aux portes de l’usine, personne n’aurait eu l’idée que cette règle pût être mise en question, si, de la maison d’en face, l’ombre du grand-père, Jean Schlumberger, n’eût pesé sur bien des entretiens à mots couverts. Ce grand-père avait été nommé président du petit parlement, dit Landesausschuss, qui siégeait à Strasbourg et qui conservait à l’Alasace-Lorraine un semblant de représentation politique. Une telle fonction n’impliquait pas un ralliement total […] mais elle manifestait clairement une vocation de bonne entente. On pouvait faire valoir, non sans apparence de raison, que cette attitude conciliante était le seul moyen de sauver l’individualité au sein de l’empire allemand ; qu’une résistance intransigeante n’aurait d’autre résultat qu’une germanisation infiniment plus brutale, avec annexion pure et simple au Palatinat ou à la Prusse. Mais ces arguments ou excuses, quand les enfants en entendaient quelque chose dans les propos, n’étaient guère de nature à convaincre leur esprit ; et comme le vieil homme était peu démonstratif, peu soucieux d’éveiller leur intérêt ou leur tendresse, ils n’étaient que trop disposés à voir en lui le champion d’une cause détestée…

Malgré ses préférences qui l’eussent porté vers les sciences pures, Paul Schlumberger [fils de Jean], le père de Conrad [futur géophysicien et co-fondateur de la Société de Prospection Électrique qui deviendra, après sa mort, Schlumberger LTD, leader mondial des services pour l’industrie pétrolière], s’était laissé pousser vers l’industrie. Il en exprimait souvent son regret et se montrait résolu à ne pas exercer sur ses fils la pression qui avait pesé sur lui. Dans de telles conditions, comment l’ême d’un enfant généreux eût-elle longuement balancé entre les deux pôles d’attraction qui le sollicitaient, celui de France et celui d’Alsace ?…

Ni lui ni ses frères ne se souvinrent d’avoir jamais hésité… Qu’ils partiraient, qu’ils abandonneraient les places qui les attendaient dans le patronat des usines, cela leur semblait aller de soi… », Jean Schlumberger, Conrad Schlumberger, Paris, Copyright © Jean Schlumberger, 1949, pp. 11-12-1314-16-17 – nous soulignons.

[6] Ces pirates de la « Côte Barbare » (ou berbère) faisaient souvent des razzias (ou raids) sur les villes européennes situées au bord de la mer Méditerranée (ils sont aussi allés en Islande et jusqu’en Amérique) pour capturer des chrétiens et les vendre comme esclaves sur les marchés du Maghreb. Du XVIe au XIXe siècles, ils auraient enlevé plus d’un million de personnes. L’Enlèvement au sérail de Mozart fait écho à cela, tout comme L’Indomptable Angélique d’Anne et Serge Golon, portée à l’écran en 1967 par Bernard Borderie, Michèle Mercier incarnant l’héroïne…

[7] Cf. R. Zrehen, « Ecrit au soleil », in Les Pieds-Noirs, Paris, Philippe Lebaud éd., 1982, pp. 104-105 ; Louis Bertrand, St Augustin, Paris, Mame, 1913 et Sanguis Martyrum, Paris, Fayard, 1918.

[8] On connaît encore Drumont, on a oublié Gyp, et c’est grand dommage : la comtesse de Martel (1850-1932), arrrière-petite-nièce de Mirabeau, écrivain enjoué et spirituel proche des milieux boulangistes mais appréciée par Anatole France, a écrit sous ce pseudonyme de très nombreux romans de mœurs, publiés par Calmann-Lévy, qui ont connu un franc succès de son vivant ; elle a aussi publié, dans d’autres maisons d’édition, des romans polémiques tendancieux, par exemple Le baron Sinaï (1897) ou Israël (1898), dans lesquels elle brocarde à l’envi ces Juifs parvenus à l’accent tudesque prononcé, aux manières grossières et à l’ostentation détestable, nantis de maîtresses voyantes et d’épouses amorales et trop richement parées ; dans lesquels elle brocarde aussi ces aristocrates français appauvris qui ne dédaignent pas de fréquenter et flatter les précédents, de courtiser et séduire leurs épouses, dans l’espoir d’en récolter quelque avantage matériel…

[9] « … Durant tout le XIXe siècle, le seul courant antisémite persistant et vigoureux fut de caractère socialiste : Charles Fourier, son disciple Adolphe Toussenel (auteur en 1845 du Juif, roi de l’époque : histoire de la féodalité financière), Auguste Blanqui, Proudhon, le communard Gustave Tridon (auteur du Molochisme juif, ouvrage posthume paru en 1844), Benoît Malon, tous – comme Marx – exécraient dans les juifs les auteurs par excellence du mal social et économique. C’est partiellement dans la ligne de cette tradition socialiste, et en particulier du livre de Toussenel, que Drumont publia en 1886 La France juive... », Michael Sutton, Charles Maurras et les catholiques français, 1890-1914, Nationalisme et Positivisme, tr. G. Mosseray, Paris, Editions Beauchesne, 1994, pp. 48-49.

[10] Combien approprié, ici, de se tourner vers « le » philosophe national pour exposer la différence entre concevoir et représenter : « … quoique suivant la coutume que j'ai de me servir toujours de mon imagination, lorsque je pense aux choses corporelles, il arrive qu'en concevant un chiliogone [polygone régulier possédant 1 000 côtés], je me représente confusément quelque figure, toutefois il est très évident que cette figure n'est point un chiliogone, puisqu'elle ne diffère nullement de celle que je me représenterais, si je pensais à un myriagone [polygone régulier possédant 10 000 côtés], ou à quelque autre figure de beaucoup de côtés ; et qu'elle ne sert en aucune façon à découvrir les propriétés qui font la différence du chiliogone d'avec les autres polygones », Descartes, Méditations métaphysiques, VI.

[11] Nouveau Larousse Illustré, tome 7, Paris, 1900, p. 1 216.

[12] Cf. André Chouraqui, L’Alliance Israélite Universelle, op. cit., pp. 16-18 ; Ronald Florence, Blood Libel, The Damascus Affair 1840, Other Press, New York, 2006.

[13] Impliquant, entre autres, le baron Jacques de Reinach, qui sera retrouvé mort de congestion cérébrale à son domicile en 1892 ; Emile Zola s’en inspirera dans Paris (1898) pour son baron Duvillard. Cf . notre préface à Georges Clemenceau, Au pied du Sinaï (1898), rééd. Les Belles Lettres, Paris, 1999, pp. XI-XII.

[14] Une remarque : le très courageux et très malheureux capitaine Alfred Dreyfus, patriote si peu juif et tellement « israélite », plutôt effacé, était un « traître » par destination. Alsacien, à cheval sur la frontière, entre 2 langues (en fait, 3, parce qu’il y a aussi l’« alsacien »), il ne pouvait pas ne pas être un membre de cette 5e colonne dont on parlerait un peu plus tard, un agent des « boches » honnis. On ne voit pas comment un Juif de Bordeaux ou du Comtat Venaissin aurait pu être amené à jouer ce rôle, comment il aurait pu cristalliser sur lui tant de haine a priori.

[15] Cf. note n° 2.

[16] Cf. Pierre Hebey, Alger 1898. La Grande Vague Antijuive, Paris, Nil, 1996, Abraham H. Navon, Joseph Pérez (1925), rééd. Les Belles Lettres, Paris, 1999 et R. Zrehen, Bad days in Algiers, Constantine, Oran, Chronique des Belles Lettres, 25 janvier 2008, www.lesbelleslettres.com/info/?fa=text204.

[17] « Vous dire Cagayous, quel escroc qu’il était, raciste mais presque sympathique quand même… », Roland Bacri, « Le patouète », in Les Pieds-Noirs, op. cit., p. 91. - Cagayous, petit voyou bagarreur, a été inventé par un pied-noir, Victor Robinet (1862-1930), qui signait Musette.

En 1898 paraît Cagayous antijuif. Extrait de la préface : « Cagayous antijuif ! Certes, il l'est depuis la plante des pieds jusqu'à la racine des cheveux. Il l'est jusqu'aux replis secrets de l'âme ; il l'est d'essence, de religion, de vocation ; il l'est totalement. On ne pouvait, d'ailleurs, concevoir autrement cette fleur sauvage du pavé algérien, poussée dans le salpêtre et le crottin, sous une flambée de soleil. » Cagayous antijuif, Alger, Ernest Mallebay éditeur, 1898, p. 5, cité par Paul Siblot, « 'Cagayous antijuif'. Un discours colonial en proie à la racisation », Persée, 1987, vol. 15, n° 1, p. 61 (http://www.persee.fr).

[18] Ainsi, le rabbin alsacien Bloch, fauché alors même qu’il tendait un crucifix à un soldat agonisant, figure exemplaire retenue par Barrès dans Les familles spirituelles de la France, (Paris, Émile-Paul, 1917), qui reconnaît dans les Juifs, les traditionalistes, les protestants et les socialistes autant de composantes du génie national, à l’opposé de Maurras qui en fait les « quatre États confédérés » de l'Anti-France...

[19] Pour mémoire : « Un statut des Juifs, élaboré par le Gouvernement de Vichy, a fait l'objet d'une loi du 3 octobre 1940, renforcée principalement par celle du 2 juin 1941.

Selon l'article 1er de la loi du 3 octobre 1940 modifiée par celle du 2 juin 1941, est considéré comme Juif :

" 1°- celui ou celle, appartenant ou non à une confession quelconque, qui est issu d'au moins trois grands-parents de race juive, ou de deux seulement si son conjoint est lui-même issu de deux grands-parents de race juive.

" Est regardé comme étant de race juive le grand-parent ayant appartenu à la religion juive ;

" 2°-Celui ou celle qui appartient à la religion juive, ou qui y appartenait le 25 juin 1940, et qui est issu de deux grands-parents de race juive.

" La non appartenance à la religion juive est établie par la preuve de l'adhésion à l'une des autres confessions reconnues par l'Etat avant la loi du 9 décembre 1905.

" Le désaveu ou l'annulation de la reconnaissance d'un enfant considéré comme juif sont sans effet aux regard des dispositions qui précèdent ".

Tous devaient faire apposer la mention " Juif " sur leur carte d'identité.

Les citoyens français Juifs sont exclus de la haute fonction publique. Les autres emplois publics ne leur sont accessibles que s'ils sont titulaires de certaines décorations ou citations militaires.

Ils sont aussi exclus de l'enseignement et de la magistrature.

Les Juifs ne peuvent exercer une profession libérale, commerciale, industrielle ou artisanale que " dans les limites et les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat ", ce qui se traduisait généralement par l'établissement de quotas, etc. », Conclusion du Rapport n° 353 (1999-2000) de M. Jean-Pierre Schosteck, portant sur une « Proposition de loi relative aux Justes de France », fait au nom de la commission des lois, déposé le 24 mai 2000 au Sénat, www.senat.fr



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mercredi 11 février 2009

Un curieux penchant*


Pourquoi les Français sont-ils, dans leur grande majorité, pro-« palestiniens », ce dont semblent convaincus, par exemple, les différents gouvernements qui se sont succédés au pouvoir depuis la mort du général de Gaulle, le grand précurseur ? Aucun, en effet, quelle qu’ait pu être sa couleur « politique », ou la tonalité de ses déclarations publiques, n’a jamais jugé opportun d’amender sa position effective sur le conflit israélo-arabe devenu israélo-« palestinien » (mais aussi israélo-« islamiste »), convaincu, on peut le supposer, qu’à ne pas le faire il ne risquait nullement d’aliéner une part significative de l’électorat – pour s’en tenir à l’élémentaire de la prudence politique – mais que s’il le faisait, en revanche, cela risquerait de lui coûter…

Quelle est la consistance de ce singulier consensus ? Qu’y a-t-il en son cœur ?

La question vaut d’être posée parce qu’il ne semble pas que ce penchant ait reçu une expression autre qu’« hexagonale », les Français ainsi inclinés s’étant plutôt contentés, pour ceux dont c’est le champ de bataille, de livrer depuis plus de trente ans des caricatures rappelant de plus en plus celles de l’avant 2e guerre mondiale ou d’écrire des articles vengeurs dans les journaux, magazines et revues « progressistes » – mais pas exclusivement –, et de projeter le boycott des universités israéliennes, pour les autres, de défiler derrière des banderoles vouant Israël et ses dirigeants aux gémonies ; de désavouer, même avec réticence et retard, ceux qui jugent bon, à l’occasion, de tabasser quelques individus portant kippa, ou de brûler quelques synagogues et écoles juives ; de considérer avec indulgence – sinon compréhension – les débordements d’un « humoriste » bizarrement proche du Front National et d’un ancien idéologue du parti communiste converti à l’Islam, défendus au titre de la « liberté de parole » ; de regretter l’assassinat après torture d’un jeune Juif, au motif de sa « race », par un gang de banlieue « issu de l’immigration », comme il est convenu de dire, mais bien intoxiqué de vieille et jeune sagesse « souchienne » –, sans descendre dans la rue pour autant mais en mettant en garde contre la « condamnation collective » et l’« islamophobie » (!) ; ou encore, plus récemment [voir, dans cet espace, Fausses notes, mis en ligne le 28 janvier 2009], de manifester avec entrain et conviction leur soutien au Hamas sunnite, millénariste et totalitaire dans sa mortelle lutte de prestige avec le Hezbollah chiite libanais, en jetant Juifs et Israéliens (dont 15% ne sont pas des Juifs) dans le même sac « nazi » pour avoir eu l’outrecuidance de vouloir mettre un terme – provisoire, pas plus – à la pluie de roquettes et missiles qui arrose généreusement le sud d’Israël depuis plusieurs années...

Ils parlent de « Droits de l’homme », évoquent volontiers Auschwitz (avec quelques dessins de Plantu, parfois de Siné, en arrière-plan), affrètent des convois humanitaires – que l’Etat d’Israël n’empêche pas d’arriver à destination – mais ne se sont pas rendus en masse dans ces territoires, annexés par Israël en 1967 et évacués partiellement en août 2005, qu’ils appellent naturellement « palestiniens » en référence (!) à un royaume – mieux, une république – autrefois indépendant, que l’ogre sioniste aurait avalé au mépris du Droit international : pas pour y faire du tourisme éthique et équitable à la manière des « activistes » américains, qui n’hésitent pas à risquer leur vie pour que des « activistes » du Hamas à Gaza[1] puissent continuer à creuser librement les tunnels qui leur permettent d’introduire clandestinement des marchandises, des femmes, du bétail, des combattants et des armes, légères et lourdes, dans les dits territoires[2] ; encore moins pour s’y installer et témoigner ainsi de la solidité de la solidarité qu’ils paraissent proclamer.

– Un peu (beaucoup ?) à la manière des sympathisants du Parti-Communiste-Français du temps de Maurice Thorez et de Jeannette Vermesch, que leur bruyant et démonstratif enthousiasme à l’égard de la Patrie du socialisme et du Petit Père des Peuples (d’origine géorgienne), le regretté maréchal panslaviste Joseph Vissarionovich Djougatchvili (1879-1953) dit Staline, n’a jamais incité à se délocaliser en nombre[3], au grand dam des réactionnaires et autres nationalistes chauvins qui, leur disant, à court d’argument : « Pourquoi n’allez-vous pas en Russie, puisque vous semblez tant aimer ce pays et son régime ? », se voyaient retourner un regard incrédule dans lequel se lisait un « Quel rapport ? ».


*

Des psycho-historiens, des sociologues, et nombre d’intellectuels ayant rompu avec le « grand parti de la classe ouvrière », qui au moment du Pacte germano-soviétique, permettant à un Hitler soulagé sur son front Est de se consacrer à l’Europe occidentale, qui de la révolte des ouvriers de Berlin-Est, de l’écrasement de la révolution hongroise ou de l’intervention en Tchécoslovaquie contre les partisans du « socialisme à visage humain » (!), ont fini par nous expliquer que la Russie invoquée par ces sympathisants n’était pas tant la Russie réelle, celle de la censure, des photos retouchées pour faire disparaître des archives les « déviationnistes » ou autres « social-traîtres », des procès truqués, des purges, des exécutions sommaires, des assassinats d’opposants à l’étranger, des millions de Koulaks affamés à mort, des « minorités » maltraitées et déplacées de force, des camps, de la Nomenklatura et des athlètes bioniques, que le « bon » lieu de projection, le territoire où l’égoïsme était pourchassé et la fraternité célébrée, où se construisait le Socialisme, le Royaume – advenu ici-bas – des Prolétaires. De ceux qui « n’avaient rien à perdre mais un monde à gagner »…

En un mot, une image où se perdre en espérant se trouver, fortement codée, « écrite », mieux une icône[4], c’est-à-dire encore un signifiant, matière (graphique-plastique-sonore) sans répondant et embrayeur de tout discours dans lequel l’identité du locuteur est directement impliquée, ayant pouvoir de mise en ordre du pulsionnel erratique – le despote jovial, moustachu et paranoïaque faisant médiation –, qui captait les affects et donnait stature et statut à ceux qui s’y reconnaissaient, qui se reconnaissaient comme « prolétaires », justement, compensant sans mesure l’humiliation, bien réelle celle-là, qu’ils subissaient de la part non seulement des « capitalistes » mais aussi de ces « puissants », que Staline faisait trembler pour leur compte[5] – pensaient-ils…

Un signe au sens non de la linguistique structurale (constitué d’un signifiant et d’un signifié au rapport réputé arbitraire) mais de la théologie chrétienne (pour qui le lien entre signifiant et signifié est substantiel, nécessaire), qui représente (éminemment, c’est-à-dire incarne) quelque chose pour quelqu’un, avec lequel on peut, sinon vaincre (In hoc signo, vinces…), au moins faire corps, corps mystique par conséquent, pas un référent, une image distincte, et à distance, de la réalité, non affectée par elle, en aucune manière, aux yeux de ceux qui, en s’y projetant, croyaient y découvrir leur identité. Une image, un miroir où l’on « reconnaît » ce qu’on désire y voir, une croyance : une image ne se rectifie pas, elle s’affadit ; un signifiant est, par définition, toujours susceptible d’accueillir un supplément de « contenu » ou un nouveau type de « contenu », de valoir pour autre chose que précédemment ; une croyance ne se réfute pas, elle finit par se diluer puis par disparaître, parce que le pulsionnel est inconstant – mais cela est une autre affaire.


*

Pour revenir à notre question, les considérations qui précédent peuvent nous mettre, c’est notre hypothèse, sur la voie d’un début de réponse, étant entendu que la « Russie » de Staline n’est pas la « Palestine »[6] d’Arafat, encore moins celle des prétendants à sa succession, que le panslavisme n’est pas le panarabisme – qui n’est pas tout-à-fait le panislamisme –, que les champions français des premiers étaient solidement formatés par la lutte des classes, situés négativement par les maîtres de l’appareil de production et du codage, ils aimaient, mieux adoraient une image qui les valorisait, alors que les champions des seconds – d’où qu’ils viennent –, déjà affligés et rétrécis par la perte de l’Empire sont, de plus, dé-situés sans ménagement par ce même appareil devenu anonyme – les « 200 familles » ont depuis longtemps cédé la place aux Fonds de pension –, ne cessent d’être douloureusement décodés par une « mondialisation » vécue avant tout comme menace – et non pas comme redistribution opérationnelle de l’espace économique dont l’élargissement promet auto-subsistance et émancipation à nombre d’anciens « Damnés de la Terre » –, comme dilution de l’identité nationale : ils aimeraient donc une image qui les fixerait.

*

Cette hypothèse acceptée – après tout, l’« islamisme » semble bien avoir hérité la ferveur révolutionnaire des Bolcheviques, si on en juge par l’enthousiasme qu’il soulève en Occident, notamment chez les « progressistes » –, une nouvelle question s’impose : pourquoi la « Palestine », pourquoi cette image-ci et non pas quelque autre ? Le Darfour, ses quelque 200 000 morts et ses millions de déplacés, par exemple ? Ou le Rouanda ? Ou le Congo ? Ou l’Indonésie ? Ou la Tchétchénie ?


Et pourquoi les Français d’après 1970, plus ouverts, plus tolérants, plus éclairés que ne l’étaient leurs parents en raison de la généralisation de l’éducation, du développement des médias, de l’ouverture des archives, de l’avancement du travail des historiens, les historiens israéliens dits « nouveaux »[7] par exemple, n’auraient-ils pas pesé avec soin les termes du débat, examinant les mérites des deux camps et conclu, au mieux de leur jugement et de leur compétence, qu’Israël était une puissance illégitime, fille du colonialisme, en son fond étrangère à la région, et que la « Palestine », faible mais authentique, méritait d’être défendue et soutenue contre la force disproportionnée qui s’exerce contre elle, l’empêchant d’exister selon son inspiration et ses aspirations ?

C’est l’opinion prêtée (très abusivement mais significativement[8]) à Michel Rocard, par A-Sharq al-Awsat (Le Moyen-Orient, journal saoudien publié à Londres) qui rapporte que, le 16 juin 2004, l’ancien Premier Ministre français aurait déclaré, dans le cours d’une conférence organisée par la Bibliothèque d'Alexandrie sur le thème « les relations entre l’Amérique, l’Europe et le Proche-Orient » :

« … La déclaration Balfour, par laquelle l’Angleterre accordait aux Juifs l’établissement de l’État d’Israël [a] été une ‘erreur’.

[Il a poursuivi] en affirmant qu’Israël a[vait] été créé historiquement sur un fondement raciste. Il a qualifié l’État juif de cas isolé, créé par une déclaration, où se sont regroupés des millions de Juifs du monde entier et qui est même devenu une menace pour ses voisins.

[Il a redit clairement] ‘sa conviction qu’Israël représentait un cas aberrant dans la communauté internationale, et qu'il était devenu un État surarmé constituant une menace pour la région.’ »[9]


Pourquoi donc ne pas faire crédit à cette opinion informée (!), qui redonne, en la contextualisant plus largement, une certaine vigueur à la position discrètement défendue dès les années 1920 par le Quai d’Orsay qui voyait dans la déclaration Balfour promettant aux Juifs, en 1917, l’établissement d’un foyer national en Palestine, la preuve manifeste d’un complot britannique soutenu par les Etats-Unis [voir dans cet espace « Un homme d’influence », mis en ligne le 26 mai 2008] destiné à gêner la France (qui avait des visées sur la dite Palestine) dans l’exercice de son mandat en Syrie et au Liban[10] ? Comment ne pas tenir compte du fait qu’au nombre de ceux qui, en France, soutiennent la « Palestine » et s’opposent à Israël on compte beaucoup de Juifs qui ne sont pas tous laïques et/ou « progressistes » mais qui se réclament tous de la justice et du droit – beaucoup avec l’autorité morale que donne la souffrance subie par eux, par leurs ascendants ou leurs familles, au cours de la 2e guerre mondiale ? Qui ne sont pas loin de partager, avec quelques nuances tout de même, l’opinion de Tony Kushner, l’un de leurs distants cousins américains modernistes :

« Tony Kushner[11]… (qui est juif)… estime que la création de l’Etat d’Israël a été ‘une calamité historique, morale et politique pour le peuple juif’. Il estime [aussi] que la politique du gouvernement israélien [récent ?] a consisté ‘ en une tentative systématique de destruction de l’identité du peuple palestinien ’. Il estime enfin que faire la paix entre Israéliens et Palestiniens est d’abord de la responsabilité des Israéliens ‘ parce qu’ils sont bien plus puissants ’. »[12]

Ou bien encore celle, « post-moderne », de l’historien anglais (juif), francophone et francophile Tony Judt, Professor in European Studies à New York University :

« Le problème d’Israël, en bref, n’est pas – comme on [on ?] l’a parfois suggéré – qu’il est une ‘enclave’ européenne dans le monde arabe, mais plutôt qu’il est arrivé trop tard. Il a importé un projet séparatiste caractéristique de la fin du XIXe siècle dans un monde qui a évolué, un monde de droits individuels, de frontières ouvertes et de droit international.

L’idée même d’« Etat juif » – d’un Etat dans lequel les Juifs et la religion juive ont un privilège exclusif (!) dont les citoyens non-juifs sont définitivement privés[13] (!!) – est enracinée dans une autre époque, dans une autre terre. En bref, Israël est un anachronisme. »[14]


Autrement dit, pourquoi s’étonner de cet assez grand consensus, sinon par amour de la contradiction ou, pire, par préjugé politique ou automatisme « ethnique » ?

Réponse : ce »préjugé » pris en compte, à supposer que le reproche soit fondé, il faut encore intégrer au tableau, parce qu’ils lui appartiennent de plein droit, la culpabilité française à l’égard des Juifs et des « Arabes », plus ou moins tardivement avouée par les pouvoirs publics[15], la honte qui l’accompagne et le profond ressentiment à l’égard des Américains, tel qu’il se manifeste publiquement, depuis le début de la guerre froide (en fait, depuis la fin de la 2e guerre mondiale[16]), jusqu’à hier – jusqu’à la veille de l’intronisation du président Barack Obama...


A suivre…

* Une première version (écourtée) de ce texte a été publiée dans le n°14 d’Outre-terre (2006), revue française de géopolitique, éditions Erès, sous le titre « Le complexe de Tulkarem ». Copyright © Richard Zrehen, 2006, 2009.

***

Notes :

[1] Rappelons qu’en janvier 2006, le Hamas, branche « palestinienne » des Frères musulmans (organisation panislamiste fondée en 1928 en Egypte par Hassan Al Banna, avec pour objectif d’imposer la Sharia et la restauration du Califat) est sorti vainqueur des élections législatives organisées à Gaza ; qu’en juin 2007, le Hamas, fortement soutenu et armé par l’Iran, a éliminé physiquement ses rivaux du Fatah (dans des conditions qui ne sont pas sans rappeler la façon dont le FLN s’est débarrassé du MNA de Messali Hadj pendant la guerre d’Algérie) et pris le contrôle de tout le territoire. L’égaler à la « cause palestinienne » prête donc à forte contestation, celle du Fatah en premier lieu...

[2] Rachel Corrie (1979-2003), par exemple, militante américaine pour la paix et membre d’un groupe gauchisant, The International Solidarity Movement, originaire d’Olympia (Etat de Washington), écrasée, le 16 mars 2003 à Rafah (Gaza) par des débris tombés d’un bulldozer de l’armée israélienne devant lequel elle se tenait – de telle sorte que le conducteur ne pouvait la voir, selon le communiqué publié, après enquête, par l’armée israélienne, ce que conteste la mère de la militante, qui croit à un geste intentionnel (Cf. Cindy Corrie, « Seeking answers from Israel », The Boston Globe, 18 mars 2004 ) – pour empêcher la destruction de la maison du Dr Samir Nasrallah, sous laquelle débouchait l’un des nombreux tunnels par lesquels passaient les armes en provenance d’Egypte.

– Pour l’anecdote, notons que les deux parents de la militante, en visite chez le Dr Samir Nasrallah, ont bien failli être pris en otages, le 4 janvier 2006, par deux « activistes » palestiniens qui n’ont renoncé à leur projet qu’après avoir appris qui étaient leurs otages potentiels… Tovah Lazaroff, « Rachel Corrie's parents endure brush with Gaza kidnappers », The Jerusalem Post, 5 janvier 2006.

[3] Bien leur en a pris, si l’on en croit ce qu’ont raconté ceux, assez rares, qui ont été séduits et l’ont payé d’un prix exorbitant. Cf. Jacques Rossi, Le Manuel du goulag, Le Cherche Midi, Paris, 1996, ou Qu'elle était belle cette utopie, Le Cherche Midi, Paris, 1997. Né en 1909, Jacques Rossi adhère au parti communiste et se retrouve à Moscou en 1929 ; il parle une dizaine de langues, ce qui lui vaut d’être intégré à la section des liaisons internationales OMS du Komintern. Agent de liaison pendant la guerre civile espagnole, il est rappelé à Moscou en 1937. Accusé d'espionnage au profit de la France et de la Pologne, il est condamné à « huit ans de travaux de redressement » qui dureront vingt ans. Jacques Rossi est mort à Paris en juin 2004.

[4] Dans le monde chrétien orthodoxe, une icône ne représente pas le monde : elle le transfigure et le présente en perspective inversée, prenant le spectateur comme point de fuite...

[5] « Devant la tribune, une à une les sections du parti communiste défilent avec des cris d’enthousiasme pour les dirigeants aimés de notre Parti. Au passage du 19e arrondissement une vieille maman s’approche de la tribune. Elle cherche la main de Maurice Thorez, la serre avec émotion et dit de toutes ses forces, une éclair de joie dans les yeux : Vive Staline ! », L’Humanité, 10 février 1948, citée par Jean Galtier-Boissière, Mon Journal dans la grande Pagaïe, La Jeune Parque, Paris, 1950, p. 208 – nous soulignons.

[6] Les guillemets indiquent qu’il s’agit bien pour nous d’images-signifiants et non de référents.

[7] Les plus connus étant Ilan Pappé, auteur de La guerre de 1948 en Palestine (La fabrique, 2000) et de Le Nettoyage ethnique de la Palestine, (Fayard, 2008) Benny Morris, auteur de Victimes, Histoire revisitée du conflit arabo-sioniste, (Complexe, 2003), ou Tom Segev, auteur de C'était en Palestine au temps des coquelicots (L. Levi, 2000).

[8] Michel Rocard dément avoir tenu ces propos [invraisemblables pour qui l’a un peu fréquenté : nous étions membre du PSU en 1967...], selon le site qui rapporte l’information, upjf. org (site de l’Union des Patrons et des Professionnels Juifs de France). De son côté, Proche Orient Info précise :

« C'est à Louxor que Michel Rocard, député européen socialiste, a appris que le journal saoudien édité à Londres affirme qu'il a parlé de la Déclaration Balfour et de la création de l'Etat d'Israël comme « d'erreurs historiques ».

Joint par téléphone ce matin, samedi 19 juin, l'ex premier ministre français dément auprès de proche-orient.info l'ensemble des propos qui lui sont attribués, en soulignant que sa conférence, informelle, n'était pas écrite. ‘On sait ce que je pense sur ce sujet depuis près de quarante ans et je n'ai jamais varié. Il suffit de reprendre toutes mes déclarations et tous mes écrits. Israël n'est évidemment pas une erreur historique. Ce que j'ai dit, lors de la conférence que j'étais invité à faire à la Grande Bibliothèque francophone d'Alexandrie, c'est que l'erreur historique des Britanniques, après la Déclaration Balfour, a été de ne pas comprendre toutes les conséquences qu'elle aurait et donc, d'avoir mal géré ces conséquences avec les autorités musulmanes. Ceci explique qu'Israël soit né dans des conditions conflictuelles, et les raisons fondamentales pour lesquelles le conflit perdure.

Quant à prétendre que j'aurais affirmé qu'Israël est un état racial ou raciste, je n'ai jamais pu dire cela. Je le démens absolument, formellement et je dis que le journaliste qui écrit ça a de très mauvaises intentions à mon égard.’ ».

[9] © A-sharq Al-Awsat

(www.asharqalawsat.com/default.asp?issue=9334&page=news&article=240075) pour l'original arabe, et upjf.org pour la version française.

[10] « En 1920, Les accords de San Remo placent la Syrie et le Liban sous mandat français, la Palestine et la Mésopotamie sous mandat britannique. La zone d’influence anglaise s’étend par ailleurs sur l’Irak, qui accepte la tutelle mandataire en 1922.

Le régime mandataire est défini en ces termes par l’article 22 du pacte de la Société des Nations : ‘ Certaines communautés qui appartenaient autrefois à l’Empire ottoman ont atteint un degré de développement tel que leur existence comme nations indépendantes peut être reconnue provisoirement, à condition que les conseils et l’aide d’un mandataire guident leur administration jusqu’au moment où elles seront capables de se conduire seules. ’ » André Chouraqui, L’Alliance Israélite Universelle, PUF, Paris, 1965, pp. 232-233.

Les frères Tharaud portent témoignage du vieux différend entre le Foreign Office et le Quai d’Orsay dans L’an prochain à Jérusalem ! (1930), rééd. Les Belles Lettres, Paris, 1999.

[11] Tony Kushner, américain on ne peut plus « politiquement correct », écrivain de théâtre couronné par le prix Pulitzer, est, entre autres, le co-scénariste (avec Eric Roth) du film de Steven Spielberg, Munich, qui raconte (très librement) la chasse menée par une équipe des services spéciaux israéliens chargés par le gouvernement dirigé par Golda Meir, après le massacre des athlètes israéliens par un commando palestinien (appartenant à l’organisation Septembre Noir et dirigé par Ali Hassan Salameh) au Jeux Olympiques de Munich en 1972, de retrouver et « liquider » les responsables de l’opération. – Pour mémoire : Ali Hassan Salameh est mort dans l'explosion de sa voiture le 22 janvier 1979, à Beyrouth…

[12] Bret Stephens, « What’s Wrong with “Munich” ? »The Wall Street Journal, 1er janvier 2006.

[13] A l’exception de l’incorporation obligatoire dans l’armée (pour laquelle ils peuvent se porter volontaires, ce que font les Druzes, par exemple), on voit mal à quelles restrictions, dont souffriraient les citoyens israéliens non-Juifs, qui ont le droit de vote, accès inconditionnel à tous les types de tribunaux, entière liberté de mouvement, d’association, de culte, de représentation politique, – le professeur Judt fait allusion. Comme le rappelait récemment encore le colonel Khadafi lui-même : « Il y a plus d’un million et demi d’Arabes musulmans en Israël, ils ont la nationalité israélienne, et prennent part à la vie politique avec les Juifs, en formant des partis… », Muammar Khadafi, « The One-State Solution », The New York Times, 23 janvier 2009.

[14] Tony Judt, « Israel : The Alternative », The New York Review of Books, 23 octobre 2003. Dans le livre qui rassemble ses articles écrits de 2000 à 2008, Reappraisals: Reflections on the Forgotten Twentieth Century (Penguin Press), Tony Judt n’a pas jugé bon de faire figurer l’article cité ici. – Remarque : estimer qu’Israël est un anachronisme tout en ayant de la sympathie pour l’« aspiration nationale palestinienne » est pour le moins étrange…

[15] Cf. L’« Allocution prononcée par le président Chirac pour le dépôt aux Archives Nationales, dans l’enceinte du Mémorial du Martyr Juif Inconnu, des fichiers de Police constitués sous l’Occupation », le 5 décembre 1997, qui a provoqué de nombreuses réactions négatives chez certains gaullistes « historiques ». Cf. également l’inauguration, le 17 octobre 2001, par le Maire de Paris, Bertrand Delanoë, d’une plaque commémorative à la mémoire des « victimes FLN » de la manifestation organisée le 17 octobre 1961 à Paris, manifestation interdite et réprimée par la police, qui a provoqué aussi beaucoup de remous.

[16] Déjà, Napoléon III avait conçu sa désastreuse expédition mexicaine en ayant explicitement pour but de créer, au Sud de la frontière, un royaume catholique capable de s’opposer à la république protestante du Nord…

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Illustrations :

Ristretto © copyright Patrick Jelin.

Grues... © copyright Alain Zimeray.

Le mystère de la chambre rouge © copyright Alain Rothstein.

Grand Central Station (New York) © copyright Serge Kolpa.

Beaubourg © copyright Patrick Jelin.

Préparation à la prière du matin © copyright Patrick Jelin.

Tel Aviv © copyright Patrick Jelin.