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Coran, sourate 30 Ar-Rum (Les Romains = les Byzantins) : « Les Romains ont été vaincus (30.2), dans le pays voisin, et après leur défaite ils seront les vainqueurs (30.3), dans quelques années (30.4)… » – Le Coran contient les paroles divines transmises pendant 23 ans par l’ange Gabriel au Prophète.
En 614, les Perses conduits par le roi Khosroès Parviz, envahissent la Syrie, détruisent châteaux et églises, brûlent les villes, tuent une partie de la population, emmènent le reste en captivité. En 615, ils prennent Jérusalem, tuent 25 000 hommes et se saisissent de la ‘Vraie Croix’. En 628, les Byzantins, conduits par l’empereur Héraclius reconquièrent la Syrie, tuent Khosroès Parviz, défont les Perses, finissent par les repousser hors d’Asie mineure, et réinstallent la ‘Vraie Croix’ à Jérusalem, reprise en 630…
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Le 29 mai 1453, les troupes du sultan Mehmet II prennent Constantinople : l’empire byzantin appartient désormais au passé, le Turc a entièrement subjugué la Grèce. Le lien géographique avec le berceau du christianisme est coupé, les « Latins » ont enfin gagné – par abandon ! – contre les « Romains », « Rome » enfin dans Rome, va devenir support d’Imaginaire, et l’Italie accueillir les érudits grecs en fuite, futurs accoucheurs d’une Renaissance – toute tournée vers la redécouverte des Anciens…
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En 1821, commence la Révolution grecque, longue guerre (très sanglante) d’indépendance menée par les Grecs contre l’empire ottoman, avec l’appui politico-militaire des « Grandes Puissances » (France, Royaume-Uni et Russie) et la sympathie de l’Europe romantique (Lord Byron, qui prendra les armes contre les Turcs, Eugène Delacroix, notamment) qui s’achève en 1832 par la signature du Traité de Constantinople.
Traité qui reconnaît l’indépendance de la Grèce, premier pays de l’empire ottoman à regagner sa souveraineté, royaume en attente de la majorité de son futur roi, Otto de Bavière, et accorde un dédommagement en numéraire à la Turquie pour la perte d’un territoire. – Le jour de l’indépendance, 21 mars 1821, jour de fête nationale en Grèce, tombe le jour même de l’Annonciation [par l’ange Gabriel à Marie qu’elle porterait le fils de Dieu]…
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En 1833, Alexandros Soutsos (1803-1863), nationaliste grec, héritier d’une famille orthodoxe très en vue et liée au Patriarcat, poète mineur passé par Paris où il a absorbé les « idées avancées » des opposants à Charles X, fondateur de l’Ecole romantique grecque de Poésie, admirateur de Lord Byron, écrit un long poème, Dialogue des Morts, dans lequel est évoquée une possible renaissance des Jeux Olympiques…
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Sauvés du paganisme par le baptême « orthodoxe », les Jeux Olympiques étaient désormais disponibles pour la relève nationaliste qui en ferait le symbole de l’affranchissement et de la souveraineté retrouvée. Manquait le « visionnaire ».
Evangelos Zappas serait celui-là.
Homme d’affaires et philanthrope, Evangelos Zappas (1800-1865), né au nord de l’Epire, combattant de la Guerre d’indépendance, écrit en 1856 au roi Otto de Grèce pour lui proposer d’accepter des actions de sa compagnie maritime, dont les dividendes permettraient de financer le ré-établissement de Jeux Olympiques et d’offrir des prix aux vainqueurs…
Il paie de ses deniers la remise en état du fameux stade Panathénien, tout en marbre blanc, d’une capacité de 50 000 places, où se tenaient dans l’Antiquité des Jeux en l’honneur d’Athéna, la construction, à proximité, d’une salle dédiée à l’athlétisme, le Zappeion [!], et, en 1859, les premiers Jeux Olympiques depuis 393 se tiennent à Athènes, avec la participation d’athlètes grecs et d’athlètes venus de l’empire ottoman – ce qui en fait une manifestation nationale-internationale… – Evangelos Zappas, désireux de payer publiquement sa dette, exigera qu’Alexandros Soutsos et son frère, Panagiotis Soutsos, soient faits membres du comité organisateur des Jeux Olympiques « restitués ».
Evangelos Zappas disparaîtra avant de voir les éditions suivantes de ces Jeux, en 1870 et 1875 ; il léguera une grosse partie de sa fortune au comité organisateur pour que l’aventure puisse continuer.
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Presqu’au même moment, William Penny Brookes (1809-1895), anglais, médecin, magistrat et botaniste exerçant à Much Wenlock (centre ouest de l’Angleterre), commence à s’intéresser aux Jeux Olympiques – dans une optique différente.
En 1841, année où il devient Juge de Paix, W. P. Brookes fonde la Wenlock Agricultural Reading Society, librairie de prêt « pour la promotion et la diffusion d’informations utiles ». Bientôt, la Reading Society offre des cours : arts plastiques, musique et botanique.
En 1850, la Wenlock Agricultural Reading Society décide d’ouvrir une classe, « The Olympian Class », « pour la promotion de l’amélioration morale, physique et intellectuelle des habitants de Wenlock et des environs, spécialement les classes laborieuses [!], par l’encouragement aux activités de plein-air, et par l’attribution de prix, aux termes d’épreuves annuelles, pour accomplissements athlétiques et intellectuels… »
Les premiers « Jeux Olympiens » de Wenlock ont lieu en octobre 1850. Au programme, entre autres, athlétisme, foot-ball et cricket. En quelques années, ces Jeux attireront des participants de Londres et de Liverpool…
En 1859, W. P. Brookes établit le contact avec Envangelos Zappas.
En 1860, la « Olympian Class » devient la Wenlock Olympian Society, adopte une partie du programme des Jeux d’Athènes et les incorpore au sien.
En 1865, W. P. Brookes contribue à la fondation de la National Olympian Association (NOA), basée à Liverpool. Le premier meeting de la NOA attire plus de 10 000 spectateurs au Crystal Palace de Londres, immense bâtiment d’acier et de verre, situé au sud de Londres.
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En 1871, W. P. Brookes, devenu administrateur de la Much Wenlock National School, parvient à introduire l’exercice physique dans le cursus. Convaincu que les métiers dans lesquels trouveraient à s’employer les élèves de l’école seraient physiquement demandeurs, la ferme ou la coupe du bois, le développement de leur force physique lui paraissait donc aussi important que celui de leurs capacités intellectuelles…
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En 1877, W. P. Brookes demande à la Grèce un « prix Olympien » en l’honneur du Jubilé de la reine Victoria. Le successeur d’Otto, le roi George Ier, envoie une coupe d’argent qui figurera en bonne place lors des National Olympian Games de Shrewsbury (près du pays de Galles), l’année suivante. Cet échange avait rapproché W. P. Brookes du gouvernement grec, mais il échouera à organiser un Festival Olympien International en 1881, à Athènes.
En 1889, W. P. Brookes invite à Much Wenlock le pédagogue Pierre de Coubertin (1863-1937), fort désireux de contribuer au « renouveau de la nation française » au lendemain de la défaite de 1870 face aux Prussiens, notamment par la promotion du sport à l’école.
L’année suivante, les Jeux Olympiens de Much Wenlock ont lieu, avec beaucoup de décorum en l’honneur du baron (d’empire) français. Pierre de Coubertin, impressionné, écrit un article intitulé « Les Jeux Olympiques à Much Wenlock », dans lequel il dit : « Si les Jeux Olympiques que la Grèce moderne n’a pas encore été capable de faire revivre [!] survivent aujourd’hui, on le doit non à un Grec mais au Dr W. P. Brookes… »
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W. P. Brookes mourra 4 mois avant les premiers Jeux Olympiques organisés en 1896 par le Comité Olympique International fondé par Pierre de Coubertin.
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Les Jeux autrefois tenus en l’honneur de Zeus, abolis par un empereur chrétien, ont donc retrouvé une curieuse seconde jeunesse au siècle des nationalismes : projection imaginaire et ingénierie sociale.
Exaltation non de l’individu tâchant de se surpasser mais de la Nation ; et Nation non pas unie par une langue et une histoire commune, par un contrat, mais incarnée dans des corps exemplaires – la « race » ne peut être loin.
Exaltation du sport non comme jeu, prouesse ou défi à soi, mais comme ascèse et asservissement : auto-discipline, distraction, i.e. détournement des « classes laborieuses » (« dangereuses » ?), de l’oisiveté, de leurs mauvais penchants – sexuels ?
Les Etats participent, pas des individus. Des hymnes nationaux retentissent à chaque remise de médaille, pas l’Hymne olympique (composé par Spyros Samaras sur des vers de Costis Palamas), joué pour la première fois par le 25 mars 1896, lors de la cérémonie d’ouverture des premiers Jeux Olympiques modernes, et devenu en 1957 l'hymne officiel du CIO.
Comment déplorer que des Etats, pas tous totalitaires, soient tentés de « politiser » les jeux Olympiques ? Ou parler de « dérive » quand des Etats, pas tous totalitaires, entreprennent d’« améliorer » leurs « athlètes » ?
Comment s’étonner que des athlètes, à qui l’on tend un miroir déformant, choisissent, bien avant le temps des gros contrats publicitaires, un destin à la grecque et optent pour médailles et vie glorieuse écourtée par les médicaments plutôt que pour vie longue et anonyme ?
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Sources :
René Grousset, Histoire des Croisades (1934), Perrin, Paris, 2006, t. 1, p. 15.
Steven W Sowards, Twenty-five Lectures on Modern Balkan History (The Balkan in the Age Of Nationalism), (1996), www.lib.msu.edu/sowards/balkan
Olympic Games, Wikipedia.
David C. Young, The Modern Olympics - A Struggle for Revival, Johns Hopkins University Press (1996).
teteamodeler.com/culture/olympisme
Illustrations :
Marbres, copyright Corinne Kalfon.
Un gladiateur s’est échappé, copyright Alain Rothstein.
Nanjing, copyright Alain Zimeray.
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