mercredi 2 juillet 2008

Re-Tare congénitale




Quand, en 393, Théodose Ier, empereur d’Orient et d’Occident qui a beaucoup à se faire pardonner par l’Eglise (notamment le massacre, en 390, de 15 000 habitants de Thessalonique, qui, enflammés par une banale affaire de mœurs, avaient mis en pièces le gouverneur de la ville), cédant à la pression du puissant évêque de Milan, Ambroise, père de l’Eglise, grand pourfendeur de l’arianisme et du paganisme, pionnier en matière de liturgie, fameux pour avoir converti St Augustin, décide d’abolir les très païens Jeux Olympiques, il y a bien longtemps que ceux-ci ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes.
Autrefois marqués par le sacré, ces jeux mimant la guerre et consacrés à Zeus, au cours desquels s’affrontaient les champions (hommes libres et parlant grec) de villes pleines d’animosité les unes envers les autres, ont d’abord été concurrencés, par les Jeux d’Athènes et de Delphes notamment, puis, avec la domination romaine (à partir de - 230), sont progressivement devenus l’affaire d’athlètes « professionnels ». Mais, dès avant cela…
« A partir de l’été - 332, l’affaire d’un athlète athénien du nom de Kallipos mobilisa l’attention [des citoyens d’Athènes] », nous apprend Christian Habicht (in Athènes Hellénistique). « [Kallipos] avait remporté l’épreuve du pentathlon à Olympie mais, par la suite, avait été accusé d’avoir soudoyé ses concurrents ; cela lui valut, à lui comme à eux, une amende de la part des juges du concours. Or, de même qu’une couronne olympique était synonyme de gloire pour la patrie du vainqueur, de même, ici, la souillure de la faute imputée à Kallipos retombait sur la cité tout entière…
… « Les citoyens athéniens, convaincus que Kallipos était victime d’une cabale [!], choisirent Hypéride [grand orateur, homme d’Etat athénien, élève de Platon et d’Isocrate] pour défendre sa cause », sans grand effet... « Athènes refusa de verser l’amende… et les citoyens athéniens se virent interdire la participation aux concours à venir. Ce n’est que lorsque les autorités delphiques firent savoir aux Athéniens que la Pythie ne leur rendrait plus d’oracle tant qu’ils ne se seraient pas acquittés de leur dette qu’ils cédèrent enfin. Avec l’argent de la peine – comme cela avait déjà été le cas en - 388 après une affaire de fraude comparable – on dressa dans le sanctuaire d’Olympie six effigies de Zeus en bronze… assorties d’inscriptions exhortant les athlètes à la droiture [!!]… »

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Un hasard sur-déterminé [!] va, 13 siècles après, ramener Olympie et ses Jeux sur le devant de la scène.
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Retrouvé en 1766 par l’antiquisant anglais Richard Chandler, le site va être l’objet de recherches méthodiques à partir de 1829, menées par les savants français ayant participé à l’Expédition de Morée – du nom du château gardant l’entrée du golfe de Corinthe…

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Retour en arrière.
Le 24 avril 1827, dimanche des Rameaux, la ville grecque de Missolonghi, porte du Golfe de Corinthe, financée et armée par Lord Byron (il y est mort de maladie en 1824), plusieurs fois assiégée depuis le début de la guerre d’indépendance contre les Ottomans (1821), est enfin prise par les Turcs (et leurs alliés égyptiens) : des habitants se font exploser avec leurs poudrières ; les survivants sont massacrés ou vendus comme esclaves ; les Turcs placent 3 000 têtes tranchées sur les remparts…
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A la suite de quoi, France catholique, Royaume-Uni anglican et Russie orthodoxe, improbables alliés, décident d’intervenir aux côtés de la Grèce….
La France envoie ses troupes dans le Péloponnèse ; une Mission scientifique de Morée les accompagne. Les savants réalisent des cartes, font des relevés, des coupes, des plans, tous considérés comme remarquables ; ils font aussi des propositions de restauration de monuments.
Les savants passent plusieurs semaines à Olympie, quadrillent le site, pratiquent des sondages en ligne et parviennent à déterminer l’emplacement du temple de Zeus. Trait caractéristique : les savants se refusent à emporter des fragments des pièces retrouvées…

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En 1846, est créée l’Ecole française d’Athènes pour poursuivre de façon systématique le travail entamé par L’Expédition scientifique de Morée.

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En 1875, l’Allemagne, qu’une rivalité remontant à l’après-Charlemagne au moins, et devenue hostilité armée depuis 1870, oppose à la France, contre-attaque...

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Chaude lutte sur le « front idéologique », dans les termes choisis du regretté président Mao. Face à La France, deux fois héritière de Rome (le latin, l’Eglise catholique, l’empereur), l’Allemagne protestante, souffrant d’avoir longtemps été politiquement inexistante, se cherche fiévreusement une « identité » depuis au moins Leibniz (1646-1716) – qui a fondé l’Académie de Berlin (1700) pour contribuer sinon à lui en donner une au moins pour lui assurer un début de consistance et « visibilité ».
La case « Rome » étant occupée, la case « Athènes » était un « choix » évident : antériorité, autorité culturelle, virilité, amour de l’agôn (assemblée, puis le concours, en particulier sportif ; Agôn personnifié - cf. Pausanias, Description de la Grèce, V, XXVI, 3 - avait sa statue à Olympie, tenant des haltères…), vertu, etc.
L’Allemagne pensante (Herder, Hegel, Fichte, Schelling, D. Strauss, Marx, Jaeger, Heidegger, par exemple), mais aussi politico-délirante (l’auteur de Mein Kampf) se battrait pendant plusieurs décennies pour s’approprier la Grèce. – Remarque : choisir « Athènes » contre « Rome » ne pouvait manquer de faire apparaître, très vite, « Jérusalem » comme enjeu…

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L’architecte et historien Ernst Curtius, frère du philologue Georg Curtius, envoyé spécial de l’empereur Frédéric III (dont il a été le précepteur), obtient des autorités grecques (la dynastie régnante est d’origine bavaroise), au terme d’une longue négociation, que l’accès aux sites archéologiques soit réservé à l’Institut archéologique allemand d’Athènes (sécession, en 1871, de la section « Allemagne » de L’Institut de correspondance archéologique, créé à Rome en 1829 pour rassembler tous les spécialistes de la Rome antique).
Conséquemment, à partir de 1875 l’Institut, sous la direction de Curtius et financé directement par l’empereur, va procéder à l’excavation du site de l’Olympie antique, mettre au jour plusieurs bâtiments, notamment le temple de Zeus et celui d’Héra, et découvrir nombre de sculptures et de bronzes (plus de 14 000 pièces répertoriées), visibles dans un musée construit sur place par ses soins.

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Des excavations, d’ambition plus modeste, sont menées en 1908 et 1929 mais reprennent sur une grande échelle, en 1936, à la veille des Jeux Olympiques d’été qui vont se tenir à Berlin…

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Quant à Pierre de Coubertin, qui ne pouvait pas ne pas participer de ce complexe politico-culturel lourdement chargé, lui qui avait été élevé dans une famille de notables marqués par la défaite de 1870 et la perte de l’Alsace-Lorraine, lui qui avait un temps considéré le métier des armes, une idée bien précise – et bien étroite – de ce qui avait précipité la défaite des Français en 1870 semble avoir motivé son désir, avant même de penser aux Jeux olympiques, de faire du sport d’abord un outil pédagogique puis un outil de reconstruction nationale.
Dans Pédagogie sportive, ouvrage publié en 1919, Coubertin cite « La crise évitable », un de ses articles, écrit en 1911, preuve que la Grande Guerre ne l’a pas fait changer d’avis :
« Le plus grand service que le sport puisse rendre à la jeunesse, c’est d’empêcher chez elle le vagabondage de l’imagination et de la maintenir non dans l’ignorance mais dans l’indifférence à l’égard de ce qui menace d’éveiller en elle un sensualisme prématuré [!]. On fait intervenir à tort ici des considérations climatologiques ou ethniques dont l’influence est minime. La nature a disposé sagement que l’éveil des sens, chez l’éphèbe [!!], serait tardif mais la nature est contrariée de trois manières sur ce point par la civilisation, laquelle tend d’abord à imposer à l’éphèbe une existence trop sédentaire, ensuite lui inflige le redoutable contact d’une littérature imprégnée d’érotisme [!!!] et enfin ne lui fournit pas le moyen de satisfaire son désir normal d’affirmer sa virilité prochaine en imitant l’adulte qu’il est pressé de rejoindre… »


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C’est à un « patriote » comme lui, Dominicain non-conformiste, docteur en théologie, lecteur de Kant et de Hegel, ancien aumônier militaire, ancien sportif convaincu des vertus morales et pédagogiques du sport, ancien lauréat des « Jeux Olympiques du Rondeau » (organisés depuis 1832 par le petit Séminaire catholique du Rondeau à Grenoble), l’abbé Henri Louis Didon (1840-1900), directeur de l’Ecole Albert-le-Grand à Arcueil, que Coubertin emprunte – les deux hommes se connaissent depuis 1891 – la devise de « ses » Jeux Olympiques : « Citius, altius, fortius » (Plus vite, plus haut, plus fort), qui apparaît dans le 1er numéro de juillet 1894 du Bulletin du CIO.






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Sources :

linternaute.com
agora.qc.ca/mot.nsf
Christian Habicht, Athènes Hellénistique (1995), Paris, Les Belles Lettres, 2006, pp. 38-39.
Olympia, wikipedia
Expédition de Morée, wikipedia
Abel Blouet et Amable Ravoisié, Expédition scientifique de Morée, ordonnée par le Gouvernement Français. Architecture, Sculptures, Inscriptions et Vues du Péloponèse, des Cyclades et de l’Attique, Firmin Didot, 1831.
ecole-francaise.it
Encyclopaedia Universalis.
Aurelio Berardi, Coubertin lecteur de Flaubert, sportetlettres.net
Alain Arvin-Bérod, « En France l’idée des Jeux Olympiques a traversé les siècles », Revue Olympique, 1994, la84foundation.org

Illustrations :

Déployé…. copyright Patrick Jelin
Isadora Duncan ? copyright Alain Bellaïche
Equilibre, copyright Patrick Jelin

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