Par la « bouche » du « copain Duboin », la colère face à l'« injustice » s'est clairement exprimée.
Voilà pour ce que j'appelle plus haut : [San-Antonio comme] figure-écran pour l'auteur.
*
III.- Conjectures
« La vie est une tragédie pour ceux qui sentent et une comédie pour ceux qui pensent »
Horace Walpole
Je vais maintenant traiter de [San-Antonio comme] figure de réconciliation pour les lecteurs, et en profiterai pour tâcher de répondre à la question du colloque, San-Antonio et la culture française, que j'entends demandant : « quelle est la place de San-Antonio dans la culture française ? ».
a) Pourquoi San-Antonio ?
En 1949, la guerre est encore très proche, qui a vu l'armée française balayée à Dunkerque, le naufrage du vieillard providentiel choisi par une chambre démissionnaire, longtemps objet d'un quasi culte populaire, l'Occupation, la Collaboration, Laval, Bousquet, Leguay, Darnand, le zèle particulier de la police française dans la chasse aux gaullistes, aux communistes, aux résistants, et aux Juifs – élargie aux enfants que l'Occupant ne voulait pas nécessairement –, le STO, le marché noir et ses B.O.F. (beurre-œufs-fromages) prospères, les corbeaux à l'imagination fertile et leurs millions de lettres de dénonciation ; qui a connu Ouradour-sur-Glane, vu se lever un petit nombre de résistants et quelques rares communautés ou individus se comporter héroïquement. Toutes choses évidemment bien connues, qu'on me pardonnera de schématiser à l'extrême : je n'ai en vue que ce qui concerne notre sujet.
Soumis au rationnement et à l'inconfort, digérant avec difficulté et souvent incompréhension qu'on leur reproche d'avoir suivi leurs chefs défaillants (Daladier, le Maréchal…), alors qu'ils s'en étaient fait gloire jusque-là, les Français « du rang » subissent et souffrent. Devenus tous, ou presque, « gaullistes » – par prudence et/ou par gratitude contrainte, puisque le général a décrété que « seuls quelques milliers d'individus s'étaient rendus coupables de collaboration – ils attendent ce qui leur (re-)donnera vraiment le moral, ceux qui leur renverront une image moins pitoyable d'eux-mêmes...
Posé autrement, dans cet après-coup traumatisant, une « phrase » cherche à se dire, qui présente cette situation et permette de nouveaux enchaînements[1]. Plus exactement, la France d'en-haut, du moins ceux qui croient en faire partie (notables, intellectuels, fonctionnaires, etc.), « veut » qu'une phrase dise cette situation, déroule des raisons et fournisse les arguments d'une plaidoirie. Cette phrase, c'est la droite littéraire qui va l'articuler, notamment ceux que Bernard Frank appellera les « Hussards »[2] : Roger Nimier, Antoine Blondin, Jacques Laurent, auxquels s'ajouteront notamment Michel Déon, Kleber Haedens et Félicien Marceau, écrivains que rapprochent une certaine nonchalance, un individualisme de type aristocratique et, contre Sartre, le refus de l'engagement politique – pour le dire vite et mal.
Ces écrivains, qui vont vite se faire une place dans le monde littéraire assureront les beaux jours des éditions de la Table Ronde, de Grasset et de Denoël, principalement, mais aussi de Gallimard. Gallimard qui, pour se racheter en quelque sorte d'avoir laissé reparaître la Nouvelle Revue Française sous l'Occupation[3], a fondé en 1945 une collection de romans policiers et d'espionnage qui accueillera des « métèques », des gaullistes, des communistes, des Juifs et des anarchistes, la Série noire, dirigée par Marcel Duhamel ; qui accueillera surtout ces auteurs anglais et américains[4], décriés et interdits de séjour dans la période précédente. Avec la Série noire, l'âpreté, la violence, le sexe et l'argot vont faire leur entrée, dûment autorisée, dans la « grande » littérature française.
La France d'en-bas (paysans, artisans, employés, chasseurs[5], pêcheurs, tous ceux dont la parole est hésitante, mal à l'aise quand ils ne sont pas en groupe[6]), nourrie d'images et de syntagmes figés – tradition catholique oblige, qui distingue entre les clercs qui lisent et raisonnent abstraitement et les illeterati, pour qui sont faites les « belles » images, belles d'être dotées de ces éléments qui facilitent l'identification (la couronne pour le roi, la crosse pour l'évêque, la barbe pour le notable, le haut-de-forme pour le gentleman-cambrioleur, la bombe pour l'anarchiste, le couteau-entre-les-dents pour le bolchevique, etc.) et qui permettent d'embrayer sur des récits édifiants – elle, « veut » que cette situation soit figurée : pour s'en échapper et l'oublier bien plus que pour construire excuses, justifications ou éventuelles plaidoiries ; elle a, d'abord, un problème d'identité.
Cette figuration, ce sont les écrivains « populaires » qui la produiront : René Fallet, par exemple, et San-Antonio (publié par Fleuve Noir, qui n'est pas – faut-il le dire ? –, au même niveau que la Série noire), raison de son grand et rapide succès, selon moi, la France d'en-bas (essentiellement masculine[7]), volontiers gauloise, se reconnaissant assez vite dans ces Mousquetaires rafistolés, qui marchent à l'instinct et au système D, ne s'embarrassent pas de bonnes manières, troussent les femmes à qui mieux-mieux – par vanité plus encore que par goût[8] –, écorchent la langue tout comme elle[9], sans façon ni prétention, qui ont des principes (souples !), ont su ne pas se compromettre avec la Collaboration (encore qu'on ne sache pas bien ce que faisaient le Vieux, Bérurier et Pinaud dans cette période), éprouvent un amour navré et sceptique pour leur patrie, mettent le cœur (!) au-dessus de l'argent (…), suivent Le Chef et lui obéissent...
« – San-Antonio, je quitte à l'instant Monsieur le Ministre...
Pompeux, le boss... Monsieur le Ministre ! Rien que ça... C'est d'autant plus marrant que ledit ministre, tout le monde l'appelle Dudule dans les Services...
– Ah vraiment ?
– Oui.
– Ordre d'étouffer l'affaire coûte que coûte. Un scandale de cette envergure serait désastreux pour le prestige de notre pays !
Je ne peux m'empêcher de ricaner :
– Le prestige de notre pays ! Il n'est plus à ça près, le pauvre !
– Que dites-vous là, San-Antonio !
– La vérité ! Si vous alliez à l'étranger, comme moi, chef, vous verriez qu'au-delà de nos frontières, on s'apitoie sur notre sort. On nous plaint à cause de nos malheurs coloniaux, de nos hommes politiques et de notre franc qui maigrit à toute allure... Nous n'avons pas la bombe H ! Tout ce qui nous reste, c'est le French Cancan, le Bourgogne et la Côte d'Azur... Plus Paris, heureusement !... Vous allez me dire qu'il vaut mieux produire le Champagne et avoir des femmes sachant faire l'amour qu'être doué pour la torpille humaine, c'est vrai... Mais, tout de même, nous vivons à une époque où le matérialisme est roi ; où il n'existe plus que la noblesse d'argent. Boussac[10] a remplacé le comte de Paris... Quand nous recevons un chef d'Etat, on lui fait visiter dans la même journée le palais de Versailles et les usines Renault, comme s'il s'agissait de deux hauts-lieux de notre histoire ! Nous voulons sauver la face, alors que nous ferions mieux de sauver les meubles, vous ne pensez pas ?
Il me regarde, intéressé. Puis il se met à jouer la « Marche des Grenadiers de l'Empereur » avec son coupe-papier.
– San-Antonio, je ne pense pas, nous ne sommes pas payés pour penser... »[11].
b) Frédéric Dard contre San-Antonio
J'imagine ceci : cette phrase de justification/rédemption dont je fais l'hypothèse qu'elle demande à être dite/figurée au lendemain de la 2e guerre mondiale, elle « se » cherche des artisans capables de l'articuler/de la peindre au mieux – de façon moins « mystique », on dira que plusieurs s'y sont essayés et que ceux qui ont réussi à s'acquitter de la tâche étaient, d'origine, les plus doués.
Et doué, Frédéric Dard l'est d'évidence, d'abord à ses propres yeux... Aussi – ici, je reconstruis sans m'appuyer sur un témoignage autre que celui qu'apportent les « San-Antonio » –, quand il est « visité », quand cette forte demande désincarnée lui tombe dessus, il est certainement satisfait d'avoir un début d'inspiration mais il ne supporte pas d'être dessaisi, lui qui a une œuvre à construire et à faire reconnaître. Au lieu de se laisser emporter et d'enchaîner sur ce qu'il a espéré et reçu sans vraiment y croire, il résiste, trace ses personnages avec réticence, retarde leur rencontre, se contredit, charge, expédie les histoires, écrit sans soin, quitte à revendiquer ses approximations comme créations intentionnelles (comme on sait, on ne cessera de louer la « langue » de San-Antonio, par la suite), bref ne se « retrouve » pas dans sa « création »[12]. Malgré cela, justement parce qu'il est doué, les personnages séduisent, les trouvailles linguistiques font sourire, et les romans se vendent de plus en plus...
Il résiste, il se défend : il ne veut pas, on l'a indiqué, qu'on le confonde avec son personnage-vedette ; il veut qu'on sache, on l'a aussi souligné, qu'il vaut mieux que « ça ». Mais rien n'y fait ; ces distinctions, ces protestations sont portées au crédit de celui qui signe « San-Antonio », qui y gagne en humour et distanciation – il n'est pas dupe ! –, si grande est la capacité d'absorption de la redoutable machine que l'apprenti-sorcier a mise en route. Et ce succès qui ne se dément pas lui plaît et le désole à la fois. Cadeau empoisonné. Il en est déprimé :
« Ce qu'il y a de chouette dans les cimetières, c'est qu'ils sont à l'écart des agglomérations, dans des coins peinards, tout ce qu'il y a de silencieux.
C'est derrière ces murs, à l'ombre des saules pleurnicheurs qu'on se la fait vraiment construire, la villa ''Mon Repos'' ou le chalet ''Sam'Suffit''...
Cinq mètres carrés de ciment et vous voilà installés aux petits oignons, comme des papes, les gnaces ! Plus de traites retournées, plus de commandements par voie d'huissier, plus de Loys Van Du sur vos écrans de Télé, plus de gardiens de la paix... La paix, on l'a enfin ! La chouette, l'immense, la totale ! On chausse ses pantoufles pour l'éternité et on se laisse moisir doucement, comme des bons bougres, sans plus s'inquiéter si votre gonzesse se fait calcer ou s'il y a des traces de rouge à lèvre sur votre slip ! Les vacheries de l'existence ne passent pas la grille rouillée, de même que la pièce d'un critique dramatique ne passe pas la rampe ! C'est réconfortant d'y penser, au petit trou pas cher. Bien sûr, comme dit Bruant, on vous prend un prix exorbitant pour vous y filer, dans la terre glaise, mais après, le débours est vite amorti ! Plus de notes de gaz et d'électricité ; plus de factures pernicieuses, plus de créanciers ! On installe son petit labo portatif, on se distribue, vachement généreux soudain, y compris les plus radinus ! Et je te refile mon azote à ce bon vieux pissenlit d'en dessus ! Et je lègue mon phosphore au petit rosier nain que ma veuve a planté dans un grand moment de folie ! Le don de sa personne ! Tu parles : à la nature ! Messieurs les asticots, tirez les premiers ! Tirez votre bouffetance de ce brave corps qui fut si encombrant parfois, si difficile à caser dans ce que les gens graves appellent : la Société, et les autres : cette garce de vie !
Je médite en profondeur, comme vous pouvez le constater... »[13].
Il se défend, il contre-attaque ; ces escapades philosophantes se multiplient et les « adresses au lecteur », les invectives dirigées contre lui[14], qui croyait pouvoir se laisser aller innocemment au plaisir de l’identification « gratifiante » et de la complicité, qui s'obstine à ne pas comprendre que San-Antonio n'est que l'ombre portée d'un authentique auteur, prennent un nouveau relief :
« … C'est ça le vrai péché originel. Les hommes, faut toujours qu'ils construisent un roman avec leur minable existence. Ils ont la certitude qu'elle est passionnante. Ils ne comprennent pas qu'ils font tartir tout le monde et que ceux qui les écoutent se préparent tout simplement à raconter la leur.
L'histoire d'un homme, vous parlez d'une chanson de geste ! Une femme, un chef, un percepteur auxquels on se soumet ! Des gosses qu'on gifle ! Une vérole qu'on soigne ! Des larmes qu'on essuie... »[15].
« Par exemple, au cirque, lorsque vous assistez au numéro de l'homme-torpille, vous pensez toujours qu'il va se casser le tiroir... Vous êtes là, ouvert de bas en haut pour ne pas en perdre une miette, et chaque fois le gnace réussit son numéro. Malgré tout, vous lisez un jour dans votre baveux habituel qu'il s'est démonté la colonne Vendôme quelque part à l'étranger et vous ressentez une grande tristesse. Oui, vous êtes triste de n'avoir pas été là au moment où enfin son numéro foirait. Vous y voyez comme une vacherie du sort à votre endroit. Et vous avez raison. Le hasard est dégueulasse avec vous. Depuis que vous êtes au monde, il vous fait passer à côté de la gagne. Vous loupez toujours la femme fidèle, le gros lot, l'avancement... Vous n'avez droit qu'à la vérole honteuse, à la croix de guerre, aux nanas qui font entrée libre devant vos potes et aux films de Martine Carol[16]... C'est la vie... »[17].
« Le monde est plein de gens impressionnables, tous prêts à filer leurs contemporains dans la mouscaille, pour trente deniers ou une mandale bien appliquée... Pas seulement des faibles, mais de salauds...
Surtout croyez pas que je sois sceptique. Au contraire... Si vous croyez que je vais vous bourrer le mou avec un appareil à cacheter les bouteilles d'eau minérale, comptez sur vos dix malheureux doigts le nombre d'amis sûrs que vous possédez... Des amis vrais, de ceux qui sont capables de vous emprunter dix sacs sans changer de trottoir après et sans clamer partout qu'il n'y a aucune différence entre vous et une poubelle de quartier pauvre ! Vous verrez que vous aurez du rab sur vos dix doigts... »[18].
Il espérait échapper à sa condition et à ses limites, ce lecteur, à ses peu glorieuses attitudes et à son comportement étriqué, à sa médiocrité, pour tout dire... mais il va y être ramené. Et continuer d'en rire, parce qu'il ne prend pas ça pour lui mais « sait » – marque sûre du déni –, comme le bourgeois du XVIIe siècle assistant à une représentation du Bourgeois-Gentilhomme, qu'il n'est question que des autres sur la scène...
Et c'est ainsi que, d'excès en outrances vite assimilés par la puissante machine narrative bricolée roman après roman, et en dépit des souhaits du « machiniste », San-Antonio, maître de la vignette, de la description assassine et du persiflage, moins du récit qui est rarement « fouillé », va devenir l'une des grandes voix littéraires de la France d'en-bas, ce qui lui vaudra – plusieurs décennies après – une place incontestée, mais en retrait, dans notre Panthéon culturel.
IV.- Conclusion
Elle sera brève et un peu mélancolique : en considérant rétrospectivement la fortune insolente – 175 romans ! – et l’audience grandissante de ce San-Antonio qu’il a d’abord peu aimé, on pourrait dire que Frédéric Dard a progressivement été dévoré par sa « créature » ; qu’« elle » l'a cantonné dans un genre et a fini par l'absorber, ne lui laissant pas le loisir de produire l'œuvre qui aurait pu lui valoir le Goncourt, par exemple.
Je terminerai sur quelques rappels concernant les Hussards.
Nimier a écrit un D’Artagnan amoureux ou Cinq ans avant[19], publié après sa mort, prouvant – s’il en était besoin – que lui aussi, il fréquentait les Mousquetaires.
Blondin, grand alcoolique (!) et toréro urbain, a longtemps été un de ces journalistes sportifs dont San-Antonio ne cesse de railler le style convenu et l’expression pauvre ; il a ainsi suivi une demi-douzaine de Jeux Olympiques et près de trente Tours de France pour le quotidien l’Equipe – ce grand représentant de la droite littéraire ne dédaignait pas les sports « plébéiens »…
Mais c’est Jacques Laurent qui a eu, en quelque sorte, le parcours rêvé par Frédéric Dard. Journaliste, polémiste, écrivain prolifique, essayiste, directeur de revue, Jacques Laurent s'est illustré dans la littérature « sérieuse », a eu le Goncourt en 1971 avec Les Bêtises, vu l'ensemble de son œuvre couronné par le Grand prix de l’Académie française en 1973, et été élu en 1986 à l'Académie française, où il a succédé à l'historien Fernand Braudel. Parallèlement, il a aussi touché à la littérature plus légère, souvent pour des raisons « alimentaires », écrivant sous différents pseudonymes des romans sentimentaux, policiers, et historiques (dont les plus connus sont les Caroline chérie, signés Cécil Saint-Laurent, qui seront traduits en plusieurs langues et adaptés au cinéma). En 1988, il a publié un essai, son dernier, Le français en cage (Grasset), dans lequel il s'en prend au « zèle excessif que déploient les policiers du langage dès que l'occasion leur est donnée de condamner »[20]...
Notes :
[1] J'emprunte « sauvagement » cette terminologie à Jean-François Lyotard, Le Différend, Paris, Minuit, 1983.
[2] Bernard Frank, « les Grognards et les Hussards », les Temps modernes, décembre 1952.
[3] Après avoir vu son catalogue conséquemment censuré, Gaston Gallimard, violemment attaqué par la presse collaborationniste, accepte en1940 de laisser reparaître la NRF sous la direction de Drieu la Rochelle (ancien membre du PPF de Doriot) qui se dit fasciste, et de Jean Pauhlan, écrivain et résistant : « [Otto] Abetz [ambassadeur d'Allemagne] avait dit à Drieu dès le mois d'août [1940] que s'il faisait une revue littéraire, il lui accorderait toute protection et liberté et qu'il serait son seul censeur... Après quelque hésitation, Drieu accepte la direction de la Nouvelle Revue Française qui avait cessé de paraître en juin. Il note dans son carnet une liste d'écrivains prisonniers avec cette mention : ''Demander la libération des auteurs – contrepartie de mon action journalistique N.R.F.'' », Frédéric J. Grover, Drieu la Rochelle, Paris, Gallimard, 1979, p. 47.
[4] Non sans les tronquer, parfois substantiellement, en supprimant des chapitres entiers : on peut consulter à la BiLiPo (Bibliothèque des Littératures Policières, Paris) les livres en V.O. de Marcel Duhamel, où les parties à omettre sont raturées de sa main... La plus célèbre de ces victimes est Raymond Chandler dont The Long Good-Bye s'est vu traduire sous le nom ridicule de « Sur un air de navaja », en perdant près de la moitié de ses pages – la pénurie de papier au lendemain de la guerre n'explique pas tout. Il faudra attendre 1992 pour que La Noire/Gallimard offre une traduction complète de ce livre au lecteur francophone.
[5] « … Sans l'avoir voulu, nous sommes arrivés en pleine foire du Trône […]
J'ai proposé un carton à Hector et il a accepté […] on s'est fait la valoche au moment où pour la quatrième fois consécutive il balançait sa bastos dans la casquette du patron... Le forain […] parlait d'appeler Police-Secours... Il avait beau grimper après les murs, le cousin Hector s'obstinait à lui cloquer ses plombs dans le chignon ! On a compris pourquoi lorsqu'on s'est aperçu qu'il ne fermait pas le bon œil pour viser... », San-Antonio, Le fil à couper le beurre, op. cit., pp. 14-15.
[6] A vrai dire, c'est plus un sentiment, celui d'appartenance (que n'« expliquent » ni la profession ni le niveau de revenus ni l'opinion politique) que la sociologie qui « constitue » cette France-là qui, à tort ou à raison, estime ne pas peser face au Pouvoir.
[7] Ne pas oublier, et le rapport n'est pas si lointain, que le vote des Françaises résulte d'une ordonnance du 21 avril 1944 prise par le Gouvernement provisoire du général de Gaulle, en Alger, et que les Françaises voteront pour la première fois le Le 29 avril 1945. Quant aux conséquences du sexe « libre »... La contraception ne sera légalisée qu'en 1972 (loi Neuwirth), et l'avortement, dans certaines conditions, ne sera dépénalisé qu'en janvier 1975 (loi Veil).
– Faut-il rappeler que, dans aucun des romans de San-Antonio appartenant à la période que j’examine, jamais un débordement sexuel ne débouche sur un « accident », comme on a longtemps appelé une grossesse non désirée ?
[8] « C'est fou ce qu'un homme normal peut trousser de gonzesses au cours de sa vie ! Des grandes, des petites, des boîteuses [sic], des postières, des qui louchent, des frigides, des autres... La vie ! La vie avec cette interminable séquelle de souris qu'il faut passer au composteur si on veut avoir l'air d'un homme. Et tous les hommes tiennent à avoir l'air d'un homme, y compris ceux qui marchent à la cantharide et ceux qui marchent dans les défilés de la Fête-Dieu.
Pauvres nous !... », San-Antonio, Le fil à couper le beurre, op. cit., p. 79.
[9] Note à l'attention des linguistes : s'exprimer « mal » (syntaxe et/ou lexique) tout en se faisant comprendre n'est pas seulement exploiter l'une des possibilités qu'offre le système de la langue à un moment donné, c'est immédiatement désigner son inscription sociale/catégoriale, voire « ethnique », et, possiblement diminuer le poids de son énoncé quand il est adressé à un locuteur s'exprimant « bien » – ce que les linguistes ont raison de tenir éventuellement pour secondaire du point de vue de leurs descriptions, mais qu'ils ne peuvent ignorer. S'exprimer « mal » peut aussi faire rire, par exemple, ou émouvoir quand il s'agit d'un jeune enfant, et s'exprimer « bien », glacer : l'écart à la norme, car il y en a une, connue, pour toute langue, d'un certain nombre de « native speakers », en ajoutant de l'affect au sens fait sortir, me semble-t-il, du cadre strictement linguistique, d'autant plus qu'ici, il est question de littérature et non pas de communication...
[10] Marcel Boussac (1889-1980), industriel du textile (La Toile d’avion) et éleveur de chevaux de course.
« Sous l'Occupation, il est membre du Conseil national instauré par Vichy. Ses bonnes relations avec nombre d'officiers supérieurs allemands et avec le ministre de la production industrielle de Vichy, Jean Bichelonne, lui permettent de sauver ses usines et les Allemands décident même de les équiper en métiers à tisser flambant neufs. Il fournit ainsi la Kriegsmarine : 110 millions de mètres de tissus provenant de ses usines (Benoît Collombat et David Servenay, Histoire secrète du patronat de 1945 à nos jours, Paris, La Découverte, 2009, p. 41) […]
Une instruction pour collaboration est ouverte à la Libération, mais elle sera close sans suites le 2 juillet 1947. Ainsi, il n'est pas inquiété par l'épuration, notamment grâce aux remerciements des rescapés de la déportation qui découvrent que leurs salaires ont été versés consciencieusement à leurs familles. Il engage Christian Dior et participe grandement à ce que Paris redevienne la capitale de la mode… », Wikipedia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Marcel_Boussac
[11] San-Antonio, Le secret de Polichinelle, Fleuve Noir n°143, 1958, pp. 112-114 – je souligne.
[12] Incidente nietzschéenne : « … c’est également ce trait d’essence, – le Soi comme source pleine et entière de savoir, et cela quand bien même ce savoir n’aurait rien d’intellectuel – qui explique qu’une fois la création accomplie, une fois l’œuvre faite, une fois le résultat visible, le créateur se met à observer ce qu’il a fait – ce qui s’est fait – parfois avec stupéfaction, ou sinon émerveillement, ou peut-être même horreur, en tout cas toujours avec une certaine surprise, comme si pour la première fois il découvrait ce qui a été pensé de tout son corps et mis en forme par la force de l’esprit », Paul Audi, Créer, Introduction à l’esth/éthique, Lagrasse, Verdier, 2010, pp. 142-143 – je souligne.
[13] San-Antonio, J'ai bien l'honneur... de vous buter, op. cit., pp. 146-147 – je souligne.
[14] Par exemple : « … Vous ne pouvez pas piger illico parce qu'il y a la largeur de l'océan Pacifique entre vous et l'intelligence, mais je vais essayer de me mettre à votre portée... », San-Antonio, Le fil à couper le beurre, op. cit., p. 9.
[15] San-Antonio, Du mouron à se faire, Fleuve Noir n° 81, 1955, p. 92.
[16] Marie-Louise Mourer dite Martine Carol (1920-1967), comédienne célèbre pour sa beauté et pour avoir interprété à l'écran le personnage de Caroline chérie, créé par Cécil Saint-Laurent.
[17] San-Antonio, Du mouron à se faire, op. cit., pp. 156-157 – je souligne.
[18] San-Antonio, Fais gaffe à tes os, Fleuve Noir n° 90, 1956, p. 105 – je souligne.
[19] Paris, Gallimard, 1962.
[20] D'après Wikipedia, fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Laurent
San Antonio : auto-portraits (technique mixte) 3 © copyright 2010 Richard Zrehen
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