Au printemps 2005, mon ami Richard Pinhas, musicien, philosophe et grand deleuzien, m’invite à participer à un projet qui lui tient à cœur : un livre destiné à marquer le dixième anniversaire de la disparition de Gilles Deleuze (1925 -1995).
Nous avons tous deux, longtemps suivi le séminaire de Deleuze à Paris VIII-Vincennes, lui plus longtemps que moi, j’ai été sous le charme – qui ne pouvait l’être ? – et, progressivement, j’ai eu mes désaccords avec le philosophe-artiste au phrasé si caractéristique : sur Œdipe et la pulsion de mort, sur l’immanence, sur les Juifs, sur Israël, notamment.
Encore profondément affecté par la mort brutale de Deleuze, j’ai commencé par refuser, me sentant trop ému, incompétent et finalement réticent. Honteux parce que considérablement en dette, j’ai fini par accepter. Un hommage peut prendre plusieurs formes : je ne tairais pas certains de mes désaccords mais leur donnerais voix sur un mode parodique et sérieux…
On trouvera ci-dessous ma contribution (les coupes ont été restaurées) à Deleuze épars – approches et portraits, A. Bernold et R. Pinhas éds, paru chez Hermann à l’automne 2005, livre auquel ont, entre autres, participé : J.-L. Nancy, R. Schérer, J. Colombel, R.-P. Droit, J.-P. Faye, R. Bellour et J.-C. Dumoncel.
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« Un jour, des guerriers armés de lances de silex, se retranchèrent avec leurs femmes et leurs troupeaux, derrière une enceinte de pierres brutes. Ce fut la première cité. Ces guerriers bienfaisants fondèrent la patrie et l’Etat. Ils assurèrent la sécurité publique. Ils suscitèrent les arts et les industries de la paix qu’il était impossible d’exercer avant eux… »
Anatole France, préface au Faust de Goethe
Gilles Deleuze, au début de Différence et répétition, avance qu’un livre de philosophie devrait ressembler à un roman policier et à un roman de science-fiction[1], écrit à la pointe de son ignorance[2] – sorte de réponse à une provocation et à une énigme… La notion d’« enquête », plus vieille encore que la philosophie pourrait, à elle seule, justifier le rapprochement.
Ce n’est pas le fil que je vais suivre : je voudrai plutôt prendre cette proposition par l’autre bout, me demander non pas si le roman policier doit ressembler à un livre de philosophie, ce que tout amateur du genre ne peut que redouter, mais si le roman-comme-investigation peut nous apprendre quelque chose de la philosophie, de sa manière plus que de ses thèmes, avec une préférence pour le roman d’« espionnage », parce que « sonder les cœurs et les reins » est son vrai et constant souci, au-delà de la délimitation de ce qui fait problème. – Le peu de sérieux de l’entreprise a à peine besoin d’être souligné.
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Tout commence, bien sûr, par un désordre, une dyssymétrie, une transgression, un événement.
Le roman policier interroge en vue d’établir l’identité du « perpétrateur », veut savoir qui est responsable du (mé)fait. Il a partie liée avec le manque (de vie, de présence d’une personne ou d’un bien, de preuve, etc.), a pour héros Œdipe (celui de Sophocle) et pour patron St Paul : l’absence comme preuve[3] ; il a aussi affaire avec le mal, et c’est pourquoi Job appartient à son Panthéon. Pour qui interroge dans l’horizon du « qui ? », la production d’un mobile n’est qu’un moment de l’enquête.
Le roman d’espionnage interroge en vue d’établir la raison pour laquelle ce qui a été fait l’a été mais aussi en vue d’en apprécier les effets. Il est d’emblée confronté à la question du sens, et aurait pour héros Joseph et Daniel, grands maîtres en interprétation, et pour patron St Jérôme le traducteur, s’il n’était aussi inscription partielle de l’affrontement de grandes machines, les Etats ; s’il n’avait affaire avec la surabondance, avec la volonté de puissance, en tant qu’elle caractérise un régime-peuple. Pour qui interroge dans l’horizon du « pourquoi ? », interpréter les intentions devrait être évaluer la force ou la faiblesse, mais aussi la « dangerosité » de ce qui s’affirme.
Toutefois, la volonté de puissance ne s’observe pas toujours à l’œil nu, quoi qu’en aient les pervers de la « transparence » : elle « impulse » de grands défilés, certes, mais, plus sûrement, elle se donne et se réserve dans des figures, constitutivement illusoires, encore plus dans la guerre souterraine des grandes machines, guerre des simulacres (phantasmata), peuplée de vraies morts et de faux-semblants, domaine d’Ulysse. Elle demande (re)construction, une science de la mesure sophistiquée, par conséquent. Le modèle du roman d’espionnage est la machine optique et ses maîtres, les perspectivistes de la Renaissance : Brunelleschi, Alberti, Piero della Francesca, Dürer[4].
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Application : The spy who came in from the cold[5], roman de John Le Carré[6] paru en 1963, en pleine guerre froide hantée par la menace nucléaire, que je me propose de reparcourir à grands pas pour y trouver – pourquoi pas ? – une perspective sur l’Etat, sur Œdipe et sur leur interaction, à mettre en regard de celle que proposeront, dix-quinze ans plus tard, Deleuze et Guattari[7], offrant une nouvelle tête de Turc, si l’on ose dire, à un certain gauchisme furieusement demandeur de bâton – pour paraphraser Lacan (lors d’une séance mémorable à l’université « expérimentale » de Vincennes, en juin 1979). Fiction astucieusement bâtie sur une expérience partielle du Renseignement contre fiction alimentée par une expérience « décalée » de la cure analytique[8] et une dogmatique politique…
– Je fais ici une double hypothèse : dans ce roman, l’Etat, menacé, défié, ramassé sur son bord défensif, fonctionnerait comme un « corps » et livrerait un peu de sa « vraie » nature ; Œdipe, clé de maints renoncements, se plaisant à la brume, aux situations troubles et aux relations ambiguës, se laisserait autrement apercevoir.
Face à face, un empire vorace en pleine expansion qui, en Europe, regarde vers l’Ouest, au-delà des territoires gagnés à Yalta, un empire déclinant, en retraite généralisée, rongé par le doute et la défection spectaculaire de certains de ses plus brillants sujets. Le point de contact et de friction, Berlin, la ville coupée en deux[9] par un mur après avoir subi le blocus de l’URSS au lendemain de la guerre.
I.- Leamas, Mundt, Control
Alec Leamas, chef de station des Services de Renseignement britanniques à Berlin, la cinquantaine, divorcé, père de deux adolescents avec lesquels il n’a pas de contact – la pension qu’il leur doit est servie par une banque privée –, a refusé un poste sédentaire à Londres par amour du « terrain ».
« Leamas n’était pas un spéculatif, encore moins un philosophe »[10].
C’est un homme brisé : en deux ans, il a perdu tous ses agents est-allemands, assassinés ou exécutés après des procès sommaires. Le livre s’ouvre sur la mort de son dernier agent, Karl Riemeck, membre des instances dirigeantes de la RDA, qui tombe sous les balles des VoPos en tentant de franchir la frontière à bicyclette.
Hans Dieter Mundt, la quarantaine, ancien membre des jeunesses hitlériennes devenu fonctionnaire obscur de l’Abteilung (Services de Renseignements est-allemands). En 1959, il quitte précipitamment Londres, où il était officiellement membre de la Mission Sidérurgique est-allemande, et s’enfuit en RDA après avoir – selon son dossier – tué deux de ses propres agents pour « sauver sa peau ». Réapparu au QG de l’Abteilung à Leipzig, après une disparition d’un an, à la tête du département « Logistique » responsable du financement, de l’équipement et du personnel nécessaires aux « opérations spéciales », l’année d’après il est sorti grand vainqueur d’une lutte interne homérique : les officiers de liaison soviétiques ont vu leur nombre sérieusement diminuer – signe qu’un empire et ses satellites ne vont pas toujours nécessairement du même pas – et la vieille garde du Service, idéologiquement incertaine, a été éliminée. Il occupe depuis le poste envié de directeur-adjoint des Opérations.
Son ascension a coïncidé avec la descente de Leamas :
« Curieux comme Leamas s’était vite rendu compte que Mundt était pour lui le signe du Destin »[11].
Et Control, le maître de la machine impériale fatiguée, le chef des Services Secrets britanniques, qui n’a ni vraiment d’âge ni de nom, et dont l’épouse croit qu’il siège au Conseil des Charbonnages, est-il un grand prêtre, un contempteur de la vie ? C’est ce que semble penser Leamas :
« Bon sang, se disait Leamas, j’ai l’impression de travailler pour un foutu curé »[12].
Sans prétendre à la délicatesse, Control estime plutôt être une sentinelle, un veilleur :
« Nous faisons des choses désagréables pour que les gens normaux, un peu partout, puissent dormir tranquillement dans leur lit »[13].
Gardien du sommeil, pare-excitation, ayant pour tâche l’atténuation des nuisances, la suppression des bruits, la production de rêve : filtrage, condensation, déplacement et rationalisation secondaire. Une sorte d’artiste mais au service d’une cause, dont la gloire serait de ne pas être reconnu : un manipulateur, par conséquent, producteur de rêve éveillé. Mais Control n’est pas autrement intéressé au sommeil des gens normaux : pour autant qu’ils ont décidé de dormir, délice de la démocratie, sa tâche – celle qui lui a été confiée par les Autorités et qu’il a librement acceptée – est de leur assurer les conditions du bon exercice, c’est-à-dire confortable, de leur choix.
La machine impériale fatiguée s’accommode très bien du désengagement de ses sujets (rien n’indique qu’elle ait intérêt à ce que ses sujets s’absentent, comme le prétendent les libertaires complotistes), et à ses opérateurs il est juste demandé compétence (relative) et suspens du jugement moral sur les fins pour se concentrer sur la mécanique de la fonction : domestication/canalisation des affects et ascèse, c’est-à-dire mouvement vers une limite.
C’est que cette machine-là est impériale, pas totalitaire, contrairement à celle qui la menace : n’ayant pas en vue la « religion », encore moins la suture du réel, elle ne désire pas nécessairement que ses opérateurs intermédiaires, les agents, soient d’efficientes petites machines cybernétiques, des « robots » ; elle s’arrange de leurs faiblesses. Elle sait que l’« humain », le trop humain si l’on veut, résiste :
« Dans notre vie, il n’y a pas de place pour les sentiments, n’est-ce pas ? Evidemment, c’est impossible. On se joue tous la comédie de la dureté, mais on n’est pas vraiment comme ça, il me semble… On ne peut pas être sur la brèche [one can’t be out in the cold] tout le temps, on a parfois besoin de chaleur humaine [one has to come in from the cold]… Vous voyez ce que je veux dire ? »[14].
Et si, comble de ce cynisme qu’on a envie de lui prêter et dont on espère qu’il l’anime – parce qu’on suppose que c’est l’affect requis pour mener la tâche à bien, parce qu’il faut qu’elle le soit, parce que la vie occidentale-décadente, la nôtre, est, tout bien considéré, trop douce et vénéneusement plaisante pour ne pas être défendue, férocement si besoin est –, la faiblesse de certains de ses agents était aussi une partie de sa force ? Comment ne pas le soupçonner à voir Control offrir une « dernière chance » à Leamas, lui qui a reconnu le doigt du destin là où d’autres, moins impliqués « personnellement », auraient pu s’étonner de l’insolente perspicacité de Mundt et, peut-être, commencer d’entr’apercevoir sino une trahison au moins une mystification ? Un Leamas certainement convaincu de mériter ce qui lui arrive puisqu’il supporte mal qu’on le lui rappelle, mais jusqu’à quel point ?
« – Qu’avez-vous ressenti ? Quand Riemeck a été tué, je veux dire. Vous étiez là, n’est-ce pas ?
Leamas haussa les épaules :
– J’étais bougrement embêté ! dit-il.
– Ca a dû tout de même vous faire plus d’effet que ça, non ? Ca a dû vous bouleverser… Rien de plus naturel.
– J’étais bouleversé. Qui ne l’aurait pas été ?
– Est-ce que vous appréciiez Riemeck ? En tant qu’homme, je veux dire.
– J’imagine… A quoi bon remuer tout ça ?
– Comment avez-vous passé la nuit, enfin ce qu’il en restait, après que Riemeck eut été tué ?
– Dites-donc, fit Leamas, agressif, où voulez-vous en venir ? »[15]
Un Leamas au jugement entravé, par conséquent. Que le chagrin, l’amour, la (com)passion fassent perdre le sens commun : la belle affaire ! Que la culpabilité n’ait pas de limite, qu’elle soit un sentiment a priori, pas la conséquence d’un jugement synthétique, est autrement important :
« – Riemeck est le dernier de la série… d’une longue série. Sauf erreur, il y a d’abord eu la fille descendue à Wedding devant le cinéma ; ensuite, le type de Dresde et les arrestations à Iéna. Comme les dix petits nègres[16]. Et puis Paul, Viereck, Landser… tous morts. Et pour finir, Riemeck. Il eut un sourire amer. Plutôt lourd comme bilan. Je me demande si vous n’en avez pas assez.
– Comment ça ‘assez’ ?
– Je me demande si vous n’êtes pas trop fatigué ; brûlé même.
Il y eut un long silence.
– A vous de juger, finit par dire Leamas. »[17]
La question qui se pose est donc la suivante : culpabilité et efficacité peuvent-elles faire bon ménage ? Autrement dit : Œdipe, grand coupable, est-il spontanément au service de l’Etat, son auxiliaire, mieux son complice, ce que soutiennent Deleuze-Guattari ? Est-il agent de répression, rabattement, nécessaire au fonctionnement de l’appareillage, de ce qui, autrement, fluerait librement et innocemment ? Control ne semble pas le penser, lui qui semble savoir qu’une existence n’a pas seulement à être gagnée mais à être justifiée, lui qui traite Œdipe comme un bug de la machine impériale, comme une insistance ou une viscosité, comme un reste à traîner ou à recycler : si Œdipe sert alors la machine, ce sera malgré lui.
Recycler, c’est-à-dire ici reprendre dans une méta-configuration, ce que Control va proposer à Leamas après s’être assuré que celui-ci ne nourrissait plus aucun espoir mais aussi qu’il savait exactement à quoi s’en tenir – cruauté froide de qui ne peut que rappeler à la responsabilité :
« – … J’estime qu’il faudrait essayer de se débarrasser de Mundt… Oui, vraiment, nous devrions nous débarrasser de lui si nous le pouvons.
– Pourquoi ? Il ne nous reste plus rien en Allemagne de l’est. Vous venez de le dire : Riemeck était le dernier. Il ne nous reste rien à protéger…
– Ce n’est pas tout à fait exact… mais je ne crois pas nécessaire de vous ennuyer avec les détails…
– Dites-moi, reprit Control, en avez-vous assez d’espionner ? Excusez-moi de vous reposer la question. Vous savez, c’est un phénomène que nous comprenons bien ici. Chez les ingénieurs aéronautiques, il y a un terme pour ça… fatigue du métal, je crois. Si vous en avez assez, dites-le… Si c’était le cas, il faudrait trouver une autre façon de s’occuper de Mundt. Ce que j’ai en tête sort un peu de l’ordinaire. »[18]
S’occuper de Mundt, en la circonstance, n’est pas l’éliminer physiquement – ce qui serait l’ordinaire de ce monde trouble – mais, apparemment, l’atteindre dans ses œuvres vives :
« – Il faut absolument que nous réussissions à discréditer Mundt... Que savez-vous de Mundt ?
– C’est un tueur. Il était ici il y a un an ou deux et il travaillait à la Mission Sidérurgique est-allemande… Il chapeautait un agent, la femme d’un bonhomme des Affaires Etrangères. Il l’a assassinée.
– Il a aussi essayé de tuer George Smiley. Et, bien entendu, il a tué le mari de cette femme[19]. Très déplaisant, le bonhomme. Ancien des Jeunesses hitlériennes et de ce qui va avec. Rien d’un intellectuel communiste. Un technicien de la guerre froide.
– Comme nous…
Control ne sourit pas.
– George Smiley connaissait bien le dossier. Il n’est plus chez nous mais vous devriez pouvoir le dénicher. Il s’intéresse à l’Allemagne du XVIIe siècle. Il habite Chelsea… Guillam était aussi sur l’affaire…Vous devriez passer un jour ou deux avec eux. Ils savent ce que j’ai en tête. »[20]
Control propose donc à Leamas un rôle dans une machination : faire passer Mundt pour un agent anglais. Il s’agirait de livrer « adroitement » aux Services de Renseignement est-allemands – à ceux de ses membres qui pourraient nourrir de la rancœur à son endroit – des indices, des fragments d’information leur permettant de conclure en ce sens. Quel meilleur messager qu’un agent brûlé et mal traité ?
« – … J’aimerais me colleter avec Mundt.
– Parfait… Parfait. Incidemment, si d’ici là, il vous arrivait de rencontrer de vieilles connaissances, inutile de discuter de tout ça… Laissez-leur entendre que nous vous avons traité de façon scandaleuse. Autant commencer comme ça quand on a l’intention de continuer, n’est-ce pas ? »[21]
Ne pas accepter que la partie soit finie, le prouver en jouant un nouveau coup et renverser ainsi le sens et la valeur de ce qui a été obtenu. Tour sophistique : il s’agit de gagner, pas d’avoir égard à la Vérité. Changer les perspectives, amener les joueurs, dont la survie est engagée, à regarder autrement les éléments déjà identifiés. Faire de l’ombre une lumière. Et pour cela, souffrir encore un peu plus, comme il convient à qui veut devenir acteur d’un tableau vivant :
« – Que voulez-vous que je fasse ?
– Je voudrais que vous restiez encore un peu sur la brèche.
Leamas ne dit rien…»[22]
A suivre…
Notes :
[1] « Un livre de philosophie doit être pour une part une espèce de roman policier, pour une autre part une sorte de science-fiction. Par roman policier, nous voulons dire que les concepts doivent intervenir, avec une zone de présence, pour résoudre une situation locale… », Gilles Deleuze, Différence et répétition, Paris, PUF, 1968, p. 3.
[2] « Comment faire pour écrire autrement que sur ce qu’on ne sait pas, ou ce qu’on sait mal ? C’est là-dessus nécessairement qu’on imagine avoir quelque chose à dire. On n’écrit qu’à la pointe de son savoir, à cette pointe extrême qui sépare notre savoir et notre ignorance, et qui fait passer l’un dans l’autre… », Gilles Deleuze, op. cit., p. 4 – souligné par l’auteur.
[3] « 1 Le premier jour de la semaine, Marie Madeleine se rend au tombeau de grand matin… Elle voit que la pierre a été enlevée du tombeau. 2 Elle court donc trouver Simon-Pierre et l'autre disciple, celui que Jésus aimait, et elle leur dit : ‘ On a enlevé le Seigneur de son tombeau, et nous ne savons pas où on l'a mis. ‘ », Evangile de St Jean 20 : 1-2. « Si Christ n'est pas ressuscité, votre foi est vaine, vous êtes encore dans vos péchés », St Paul, 1 Corinthiens 15 : 17.
Même quand l’identité du « perpétrateur » est connue, la place vide continue de faire problème – et de vivement stimuler l’imagination théorique – comme l’a abondamment démontré Jacques Lacan, en se penchant sur la préhistoire du roman policier dans le Séminaire sur « La lettre volée » d’Edgar Poe in Les Ecrits, Le Seuil, Paris, 1966, pp. 11-61.
[4] Dans un autre registre, on pourrait également mentionner Leibniz, grand calculateur et grand espion, qui a profité de son séjour en France pour discuter science et théologie, s’informer des techniques dont il pensait qu’elles pourraient bénéficier à ses compatriotes, et proposer à Louis XIV de lancer une grande expédition en Egypte, dans le but de le détourner de faire la guerre à la Hollande… Suivre cette piste demanderait des développements trop longs pour cet article.
[5] Publié par Gallimard en 1964, sous le titre L’espion qui venait du froid, traduction Marcel Duhamel et Charles Robillot. L’espion sorti du placard serait moins connoté mais plus juste. – La traduction française étant approximative et tronquée, je m’appuierai sur l’édition Pocket Books (Simon & Schuster), New York, 2001, avec une préface de J. Le Carré de 1989.
[6] John Le Carré est le pseudonyme de David Cornwell, né en 1931, entré dans la diplomatie britannique à la fin des années 50, après des études en Suisse puis à Oxford. Posté en Allemagne en 1959, il se lie avec plusieurs figures politiques de premier plan, dont le chancelier Konrad Adenauer ; plus tard, il sera consul à Hambourg. Le fait que l’agent double Harold « Kim » Philby (1912-1988) l’ait désigné nommément au KGB laisse penser que Le Carré a appartenu aux Services de Renseignement britanniques. The spy who came in from the cold (dont un film, à l’intrigue simplifiée par rapport au livre, a été tiré en 1965, dirigé par Martin Ritt, avec Richard Burton – Leamas, Cyril Cusack – Control, Peter Van Eyck – Mundt et Oskar Werner – Fiedler ) est le troisième livre de J. Le Carré – écrivain loué pour l’esprit de ses dialogues et la sophistication de ses intrigues – et son deuxième roman d’espionnage. Son immense succès a permis à David Cornwell d’abandonner la Carrière et de se consacrer exclusivement à l’écriture.
[7] Cf. Gilles Deleuze & Félix Guattari, Capitalisme et schizophrénie - L’anti-Œdipe I, Minuit, Paris, 1972, et Id., Mille plateaux – L’anti-Œdipe II, Minuit, Paris, 1980.
[8] A la Clinique de La Borde, Loir-et-Cher, fondée par le Dr Jean Oury en 1953, où se pratiquait la psychothérapie institutionnelle, et où Félix Guattari travaille depuis son ouverture – il y restera en activité jusqu’à sa mort, en 1992.
[9] Cf. Jean-Pierre Faye, L’écluse, Le Seuil, Paris, 1964 : « Une ville qui n’est pas nommée – mais dont le nom est sur toutes les lèvres – une ville coupée en deux… Une moitié comme surexposée et toute en reflets ; l’autre enfoncée en soi et engloutie : la ville traversée par une frontière admet une ‘écluse ’ en son milieu. »
[10] The spy…, p. 9.
[11] L’espion…., p. 16. « It was odd how soon Leamas had realised that Mundt was the writing on the wall », The spy…, p. 9. L’allusion est au Livre de Daniel, chap. 5 :
« (1) Le roi [de Babylone] Belschatsar donna un grand festin à ses grands…
(4) Ils burent du vin, et ils louèrent les dieux...
(5) En ce moment, apparurent les doigts d'une main d'homme, et ils écrivirent… sur la chaux de la muraille du palais royal.
(6) Alors le roi changea de couleur…
(7) [Il] cria avec force qu'on fît venir les astrologues…
(8) Tous les sages du roi entrèrent; mais ils ne purent pas lire l'écriture.
(10) La reine… entra dans la salle du festin, et prit ainsi la parole :
(11) Il y a dans ton royaume un homme qui a en lui l'esprit des dieux saints ; et du temps de ton père [Nabuchodonosor], on trouva chez lui…
(12)… un esprit supérieur, de la science et de l'intelligence, la faculté d'interpréter les songes, d'expliquer les énigmes, et de résoudre les questions difficiles...
(13) Alors Daniel fut introduit devant le roi. Le roi prit la parole et dit à Daniel… : (16)… si tu peux lire cette écriture et m'en donner l'explication, tu seras revêtu de pourpre, tu porteras un collier d'or à ton cou, et tu auras la troisième place dans le gouvernement du royaume.
(17) Daniel répondit… : Garde tes dons… je lirai néanmoins l'écriture…
(18)… le Dieu suprême avait donné à… ton père, l'empire, la grandeur, la gloire… ;
(20) Mais lorsque son cœur s'éleva et que son esprit s'endurcit jusqu'à l'arrogance, il fut précipité de son trône royal et dépouillé de sa gloire ;
(21) il fut chassé du milieu des enfants des hommes, son cœur devint semblable à celui des bêtes, et sa demeure fut avec les ânes sauvages ; on lui donna comme aux bœufs de l'herbe à manger, et son corps fut trempé de la rosée du ciel, jusqu'à ce qu'il reconnût que le Dieu suprême domine sur le règne des hommes et qu'il le donne à qui il lui plaît.
(22) Et toi, Belschatsar, son fils, tu n'as pas humilié ton cœur…
(23) Tu t'es élevé contre le Seigneur… les vases de sa maison ont été apportés devant toi, et vous vous en êtes servis pour boire du vin… ; tu as loué les dieux… qui ne voient point, qui n'entendent point, et qui ne savent rien, et tu n'as pas glorifié le Dieu qui a dans sa main ton souffle et toutes tes voies.
(24) C'est pourquoi il a envoyé cette… main qui a tracé cette écriture.
(25) Voici l'écriture qui a été tracée : Menè, Menè, Tekel Ouparsin (Compté, compté, pesé, et divisé).
(26) … [Menè] Compté : Dieu a compté ton règne, et y a mis fin.
(27) [Tekel] Pesé : Tu as été pesé dans la balance, et tu as été trouvé léger.
(28) [Perès] Divisé : Ton royaume sera divisé, et donné aux Mèdes et aux Perses.
(29) Aussitôt Belschatsar donna des ordres, et l'on revêtit Daniel de pourpre...
(30) Cette même nuit, Belschatsar, roi des Chaldéens, fut tué.
(31) Et Darius, le Mède, s'empara du royaume… »
– Pour l’anecdote, l’expression « writing on the wall » a été introduite dans la sphère anglophone, avec cette connotation, par Jonathan Swift dans son poème « The Run Upon The Bankers », pubié en 1720. (Miscellaneous works, 1720) : « A baited banker thus desponds,/ From his own hand foresees his fall,/ They have his soul, who have his Bonds;/ ’Tis like the writing on the wall. » D’après phrases.org.uk/meanings.
[12] L’espion…, p. 23.
[13] Ibid., p. 22 – traduction modifiée.
[14] Ibid., p. 21 – traduction modifiée.
[15] Ibid., pp. 20-21 – traduction modifiée.
[16] Les dix petits nègres, comptine et célèbre roman d’Agatha Christie paru en 1939, dans lequel les personnages, rigoureusement seuls sur une île, sont éliminés un à un jusqu’au dernier, laissant le lecteur perplexe : ou il y avait une personne de plus sur l’île ou bien il y a eu tricherie…
[17] L’Espion…, p. 21 – traduction modifiée.
[18] L’Espion…, p. 22 – traduction modifiée.
[19] Les lecteurs du premier roman de J. Le Carré publié en 1961, Call for the Dead (que l’on peut traduire par L’Appel [téléphonique] pour le mort, mais aussi comprendre comme [R]Appel pour les morts) savent que cela n’est pas tout-à-fait exact : dans ce livre, on fait d’abord connaissance avec George Smiley, espion lettré et mari bafoué, posté en Allemagne avant la guerre puis en Suède, qui lui a servi de base pour opérer derrière les lignes ennemies jusqu’en 1943, date à laquelle il a quitté la « profession », et qui a repris du service au début de la guerre froide. On apprend ensuite que si c’est bien H. D. Mundt qui, pour protéger un agent contre son propre mari devenu suspicieux, a tué le dit mari, Samuel Arthur Fennan – étoile montante du Ministère des Affaires Etrangères ayant flirté avec le communisme pendant ses années d’étude à Oxford – et a essayé de tuer George Smiley pour la même raison, c’est Dieter Frey, ancien agent anglais devenu agent est-allemand après la guerre – que G. Smiley avait connu étudiant lorsqu’il enseignait la littérature et la poésie anglaise dans une petite université allemande – qui a tué Elsa Fennan, parce qu’elle risquait de « craquer » au cours de l’enquête sur la mort, insuffisamment maquillée en suicide, de son mari.
[20] L’Espion…, p. 23 – traduction modifiée.
[21] Ibid., p. 25 – traduction modifiée.
[22] Ibid., p. 21 – traduction modifiée.
Mauvaises fréquentations © Copyright 2005-2011 Richard Zrehen
1 commentaire:
Dans ces quelques lignes que vous citez, il y a deux énormes erreurs de traduction: "be out in the cold" signifie "être exclu » ( et non pas « être sur la brèche ») et « come in from the cold » signifie « rentrer en grâce » et non pas « sortir du froid ». Des erreurs franchement inadmissibles. Il y en a d’autres dans ce roman.
Bon nombre d’autres traductions (comme celle de FINDERS KEEPERS de Stephen King) sont truffées d’erreurs, inexactitudes, lourdeurs, etc. ce qui ne peut que desservir les auteurs des romans.
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