dimanche 6 juillet 2008

Récits, pailles, poutres, etc.




Le 2 juillet 2008, Al-Jazeera diffuse l’information suivante sur son site : « Un palestinien [!] a tué au moins 3 personnes et blessés une trentaine d’autres en jetant son bulldozer de 20 tonnes sur un bus bondé et sur des voitures, dont l’une a été entièrement détruite, dans Jaffa Road (Jérusalem-ouest) avant d’être abattu par 2 policiers et un agent de sécurité…
Mickey Rosenfeld, porte-parole de la police israélienne a décrit l’incident [!!] ainsi : [Il s’agit d’]un attentat ‘terroriste’ commis par un homme de 30 ans, résidant à Jérusalem-est occupée. »


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Dans la journée, une correspondante anonyme fait part de sa réaction au MPAC (Muslim Public Affairs Committee) du Royaume-Uni, qui la met en ligne sur son site.

Extraits :

« Je ne suis pas vraiment surprise quand je vois des reportages biaisés sur Fox, Sky ou même la BBC, mais je ne suis pas revenue de ce que j’ai vu sur Al Jazeera English cet après-midi.
Depuis son lancement, Al Jazeera English est devenue sans difficulté ma source d’information préférée – un champion (« crusader ») de la vérité dans la masse fangeuse des médias sous influence sioniste.
… Aujourd’hui, la bulle a éclaté. J’ai été a abasourdie par le manque flagrant d’équilibre dans le ‘‘flash’’ de 17 heures à propos de l’attentat palestinien au bulldozer à Jérusalem-ouest…
Pas d’interviews en direct avec des représentants palestiniens.
Il faut voir le reportage pour comprendre pleinement [!] mes sentiments [!!]. J’étais vraiment triste de cette perte inutile de vies humaines – 3 civils israéliens tués, des douzaines d’autres blessés… La suite du reportage m’a choquée par son parti-pris pro-Israël : il y avait même une interview avec un représentant du Jerusalem Post.
Il n’a été donné à aucun représentant palestinien la possibilité de nier les accusations de ‘terrorisme’ palestinien ; pas de référence non plus dans ce reportage aux centaines de palestiniens qui ont été tués depuis le début de l’année, pour donner le contexte. Et y a-t-il même un décompte officiel des morts palestiniennes ou bien ne sont-elles que ‘dommages collatéraux’ ? Pour seule présence palestinienne dans ce ‘‘flash’’, un communiqué du Hamas… déclarant que l’attaque ‘est la conséquence naturelle de l’agression israélienne permanente et des crimes contre notre peuple en Cisjordanie et dans Jérusalem occupée’.
Ainsi, les sionistes ont le droit de donner des interviews et de continuer leur propagande en faisant passer cet attentat pour le genre de choses qui se passent quotidiennement, et les Palestiniens, qui sont occupés et sont l’objet d’attaques quotidiennes de la part des Israéliens, n’ont pas celui d’avoir leur position mise sur le même pied…
Peu de changement dans les ‘‘flashes’’ suivants.
Après les avoir vus, je n’ai pas changé d’avis : alors que le représentant du Jerusalem Post est autorisé à se servir de cette tragédie pour susciter la pitié des spectateurs à propos d’autres attentats commis cette année, sans rapport avec celui-ci, Al-Jazeera ne met pas en balance le nombre croissant de palestiniens qui ont été tués pendant la même période – plusieurs centaines.
Même la BBC s’est rachetée [!] à cette occasion, en rappelant dans son ‘‘flash’’ de 18 heures le nombre de palestiniens et d’israéliens tués cette année, 29 Israéliens et 400 Palestiniens, ce qui met à peu près en contexte le communiqué du Hamas… »


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Le 3 juillet 2008, T. H. rapporte, en la commentant, la même information que celle diffusée par Al-Jazeera la veille, dans El Watan, « le quotidien indépendant », sous le titre : « Attaque palestinienne à El Qods ».

Extraits :

« Conséquence de la désillusion des Palestiniens, née du blocage du processus de paix par Israël, ou plus simplement poursuite des actions de la résistance palestinienne contre l’occupant israélien, la scène [!] proche-orientale a enregistré, hier, l’apparition d’un nouveau mouvement par la force des armes [!!] et en plein centre de la ville sainte d’El Qods [!!!], puisqu’il en est à sa deuxième opération depuis le mois de mars dernier.
Il s’agit des Brigades des hommes libres de la Galilée. En effet, un Palestinien [!] au volant d’une pelleteuse a tué hier au moins trois Israéliens et blessé plus de 45 autres dans le centre de cette ville sainte ravagée par le processus de colonisation. Selon la police, l’auteur de cette opération était un homme âgé de 30 ans, habitant du village de Sour Baher [!!], marié et père de deux enfants. L’attentat s’est produit à midi précise dans l’une des rues les plus passantes de la ville, sur le chantier du tramway actuellement en construction, provoquant un mouvement de panique. Un tramway très controversé [!!!] avec des implications internationales [!!!!]…
Un groupe palestinien peu connu, ‘‘Les Brigades des hommes libres de la Galilée’’, a affirmé, hier, être responsable de l’attaque. Ce groupe avait également revendiqué l’attentat meurtrier contre une école talmudique le 6 mars à El Qods [!]… Huit étudiants israéliens d’un institut d’études talmudiques d’El Qods ouest [!!] avaient été tués par balles par un Palestinien qui a été abattu peu après…
L’attaque d’hier intervient alors que le mouvement islamiste Hamas et Israël ont signé une trêve des violences dans la bande de Ghaza. Le mouvement islamiste qui contrôle la bande de Ghaza a qualifié cette attaque de ‘‘réponse naturelle aux agressions israéliennes’’, mais a indiqué n’avoir aucune information sur ses auteurs… »

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Le 3 juillet 2008, à propos du même « incident », on peut lire ceci dans Ha’aretz :
« Le terroriste responsable de l’attentat à Jérusalem [hier]… Hussam Tayisir Duwiyat, 30 ans, habitant le village de Sur Baher, au sud-est de Jérusalem, était marié et père de 2 enfants, âgés de 5 et 4 ans…
Il a été abattu par les forces de sécurité après qu’il eut volé un bulldozer sur le chantier où il travaillait et l’eut lancé sur un bus et plusieurs voitures dans Jaffa Street, au centre de Jérusalem. 3 personnes ont été tuées, des dizaines d’autres, blessées.
L’avocat de la famille a déclaré que Duwiyat n’était pas un terroriste, et que l’attentat ne pouvait donc pas être qualifié de ‘terroriste’’ : ‘‘un groupe qui revendiquerait la responsabilité [de cet acte] le ferait, en la circonstance, uniquement pour gagner en notoriété…
C’est un événement tragique. La famille et moi-même présentons nos condoléances aux familles endeuillées et souhaitons un prompt rétablissement aux blessés’’, a ajouté Shimon Kokush. ‘‘C’était un homme jeune qui avait fait de la prison pour viol… et un drogué’’.
L’avocat a indiqué qu’il essayait de laver la famille de tout soupçon et d’empêcher la destruction de sa maison, ce que le premier ministre, M. Ehud Olmert, a décidé d’ordonner.
‘‘Et il n’y a aucune raison pour que [la famille] ne touche pas la prime d’assurance, à moins que les Arabes israéliens ne fassent l’objet de discrimination…’’
Un représentant de la famille a… accepté qu’une autopsie soit pratiquée pour démontrer que Duwiyat était sous l’influence de la drogue quand il a pris le volant de son bulldozer…
Kokush, avocat à Tibériade, a précisé qu’il représentait la famille parce que ‘‘chaque citoyen a droit à une représentation légale. C’est une famille de citoyens, avec les mêmes droits que les autres, et une telle représentation est d’autant plus impérative qu’il est question d’acte terroriste’’…
La famille a évité tout contact avec les représentants de la Presse.
Après le départ des forces de sécurité… une des tantes [de Duwiyat] est montée sur un toit, a ululé et crié le nom du terroriste en l’appelant ‘shahid’ (martyr)… »

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Le même jour, peu après l'anniversaire de la mort de Mohamed Boudiaf (1919-1992), assassiné quelques mois sa nomination à la présidence de l’Etat algérien par un sous-lieutenant du Groupe d'Intervention Spécial, Ali Bahamane signe un éditorial nostalgique, vengeur et plein de « double-entendre » (comme disent les Amerlauds), dans El Watan, sous le titre : « Le voile honteux ».

Extraits :

« Sans cesse, il faut parler d’histoire à nos enfants, sans arrêt leur dire que l’Algérie est née dans le sang et les larmes et que la liberté [!] d’aujourd’hui a été arrachée par le sacrifice et le martyre. C’est la connaissance de ce passé qui irriguera leur mémoire et les aidera à se forger une conscience patriotique [!!]. Toutefois, celle-ci ne saurait être saine et complète si elle occulte l’autre histoire, celle-là beaucoup plus proche, celle qui a trait à la lutte conte l’intégrisme armé : les années 1990 furent marquées par une guerre totale livrée contre la population, comme le fut la décennie 50 qui a vu les troupes coloniales françaises s’acharner contre les Algériens révoltés.
La dissolution du FIS fut le point de départ d’une aventure insurrectionnelle savamment coordonnée par une poignée de politiciens islamistes ivres de pouvoir visant à faire changer de visage à l’Algérie, lui ôter son caractère républicain [!] au profit d’une autocratie moyenâgeuse. Le projet visait à dénier son algérianité à l’Algérie comme s’y est attelée la politique du colonialisme français. Des milliers de fanatisés furent entraînés dans cette expédition qu’ils menèrent avec une incroyable sauvagerie, n’épargnant aucune couche de la population, ne se souciant ni de l’âge ni du sexe de leurs victimes.
Ce fut le temps des égorgeurs et des destructeurs. Il a fallu un mouvement de résistance populaire des plus remarquables [!], digne de celui de Novembre 54 [!!] pour stopper la barbarie intégriste. Le prix le plus fort fut payé en victimes et en traumatismes, l’Algérie en sortit presque indemne. Mais aujourd’hui, de cette terrible parenthèse, peu de choses se disent, comme si un voile honteux devait la couvrir. Les commémorations des événements importants et les cérémonies de recueillement à la mémoire des victimes du terrorisme se raréfient d’année en année. Lorsqu’elles existent, elles n’attirent pas foule.
Peu de gens, surtout les jeunes, savent qui est Boudiaf, qu’il est revenu d’exil en Algérie pour répondre une nouvelle fois au devoir et qu’il a fini par tomber en martyr, criblé de balles assassines…
L’Etat ne célèbre aucune mémoire et rares sont les institutions, les lieux ou les endroits qui portent des noms de victimes du terrorisme… Le pouvoir politique a couvert la décennie 1990 du voile [!] de la Réconciliation nationale faisant fi de son apport historique à l’Algérie combattante, républicaine, patriotique et démocratique [!!]… »


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Sources :

« Deaths in Israel bulldozer attack », english.aljazeera.net, 2 juillet 2008.
mpacuk.org, 2 juillet 2008.
T. H., « Attaque palestinienne à El Qods », El Watan, « le quotidien indépendant », 3 juillet 2008.
Ali Bahmane, « Le voile honteux », El Watan, « le quotidien indépendant », 3 juillet 2008.
Jonathan Lis, Avi Issacharoff et Eli Ashkenazi, « Jerusalem terrorist's family told to take down mourners' tent », Ha’aretz, 3 juillet 2008.

Illustrations :

To the Wall, copyright Alain Bellaïche.
La mouche, copyright Patrick Jelin.
Colosse de Memnon, copyright Patrick Jelin.

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