samedi 15 décembre 2007

O tempora

Alain Rothstein, Portrait (1993) - copyright Alain Rothstein.

Novembre 2007 : Mokhtar Tabet s’entretient avec des journalistes du Daily Mail.

En 2002, année de grandes manifestations en Kabylie, violemment réprimées par les autorités, Mokhtar Tabet, ressortissant algérien, a fui son pays – il était alors âgé de 25 ans –, après avoir été arrêté par la police et incarcéré pendant un mois : il avait refusé de « prêter » son appartement à l’armée, qui voulait l’utiliser comme planque pour surveiller les allées et venues des supposés terroristes de sa ville…

A peine libéré, il s’est rendu en Tunisie et a embarqué sur un vol à destination de l’Angleterre, avec un visa de touriste. Une fois à Londres, il a demandé l’asile politique et s’est vu rapidement accorder, par les Services de l’immigration, un appartement, de la nourriture et une carte lui permettant d’utiliser gratuitement les transports en commun, en attendant que son cas soit examiné.

L’asile politique lui a été refusé en 2004 et le « sans-papier » est, depuis, en instance d’expulsion. Souffrant du diabète, d’une infection de la rétine et des reins, il soutient – dans un entretien en date du 17 novembre 2007 – qu’il devrait être autorisé à rester dans le pays pour continuer à bénéficier de soins gratuits :
« Le ministère des Affaires étrangères dit que je pourrai me faire soigner à mon retour [en Algérie], mais ce ne sera pas possible… je n’ai pas de travail ».
Mokhtar Tabet reconnaît que « personne ne [lui] a rien demandé depuis que l’asile [lui] a été refusé » mais un porte parole de la police des frontières estime qu’il doit toutefois s’attendre à être expulsé : « Le délai entre le refus d’asile et l’expulsion varie en fonction des individus… mais chaque cas est traité conformément à notre politique de rapatriement ».

M Mokhtar Tabet n’aime pas l’Angleterre et estime avoir été maltraité par la mairie de Croydon (grand centre commercial situé au sud de Londres), qui l’a pris en charge depuis 2002 :
« La mairie m’a expulsé de mon logement en septembre et m’a relogé à Streatham (banlieue populaire de Londres) que je n’aime pas », dit-il. « Le nouvel appartement est petit et la cuisine ferme à 21h, de sorte que je peux pas manger la nuit. Ils ont bafoué mes droits ».
La mairie de Croydon précise :
« M. Tabet était installé à Norbury Crescent [depuis 2002], et la mairie payait le loyer, la taxe d’habitation et les factures d’électricité et de gaz. En juillet dernier, son propriétaire lui a envoyé un préavis, lui demandant de quitter les lieux sous deux mois. La mairie a proposé un appartement situé à Anerley Road à M. Tabet, qui n’en n’a pas voulu parce qu’il n’était pas en bon état. La mairie a fait effectuer les travaux de première nécessité, mais M. Tabet n’a pas plus voulu de cet appartement. On lui a alors fait savoir qu’avec ce refus il devenait un ‘sans-abri intentionnel’ et qu’on l’installerait dans un ‘garni’ – ce qu’il a accepté ».

Mokhtar Tabet a d’autres griefs envers la mairie de Croydon :
« La mairie de Croydon ne me donne que des coupons [d’un montant de 32 livres par semaine (= 44 euros)] pour acheter de la nourriture, et pas d’espèces. Je veux du liquide… Je ne peux pas m’acheter des vêtements, il faut que j’aille dans un centre pour réfugiés et s’il n’y a rien de bien, on repart les mains vides… Je veux que la mairie me donne un plus grand appartement et du liquide, pas des coupons ».

Il en a aussi à l’égard des anglais, qu’il trouve grossiers et inamicaux :
« Je pensais que je m’étais fait des amis à Croydon mais quand je leur demande de l’argent, ils ne m’en donnent pas. Je sais qu’ils ne sont pas mes amis ».
Mokhtar Tabet avoue que « l’Algérie lui manque ». Il veut y bien retourner – mais pas sur ses deniers :
« L’Angleterre devra payer si elle veut que je m’en aille »…

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Janvier 2007 : le Groupement Salafiste pour le Prédication et le Combat change de nom pour devenir al-Qaïda au pays du Maghreb islamique.
Avril 2007 : al-Qaïda au pays du Maghreb islamique revendique les attentats commis au cœur d’Alger, qui font une vingtaine de morts et plus de deux cents blessés.
Décembre 2007 : al-Qaïda au pays du Maghreb islamique revendique les deux attentats commis au cœur d’Alger, l’un contre le Conseil constitutionnel, l’autre contre la mission locale de l’ONU, qui font une soixantaine de morts et près de deux cents blessés.

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Le Sentier, hiver 1956 :

- Maurice : « Combien tu m’le fais, ce lot de pantalons ? »
- Nathan : « J’peux pas descendre au-dessous de cent mille francs ! »
- Nick : « Nathan, fais un effort. Faut qu’on vive ! »
- Nathan : « Et moi, j’vis pas ? Avec ma femme malade et mon fils au chômage… »
- Maurice : « Cesse de shnorrer et décide-toi ! »
- Nathan : « J’peux aller jusqu’à 95 000 francs, mais c’est le bout du monde… »
- Maurice « : « Viens, Nick. Il m’a pris pour Moïché Pépé. On s’en va ! »
- Nathan : « Tout de suite sur les grands chevaux. Attends. On discute ! »

Une heure après :

- Nathan : « Tu m’as eu à l’usure… »
- Maurice : « Oui ? »
- Nathan : « A l’u-su-re !! »
- Nick : « Elle est bonne !… Alors, on est d’accord pour 55 000 francs ? »
- Nathan : « Oui, c’est d’accord. Maurice, il m’a usé… »

Dans la rue, plus loin :

- Nick : « Dis-moi, Maurice, pourquoi t’as négocié autant avec Nathan, puisque, de toute façon, t’as pas l’intention d’le payer ? »
- Maurice : « Pour qu’il perde moins… »
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Sources :
- Mark Steyn, National review On line, « The Corner » 17/11/2007.
- Daily Mail, 16/11/2007 : « Illegal immigrant demands to be flown home because Britons are ‘rude and unfriendly’ ».
- www.Algeria-Watch.org
- www.Libération.fr
- Folklore familial.

samedi 1 décembre 2007

Machine à coudre, table de dissection, parapluie

Gant - copyright Patrick Jelin.

Le 7 novembre 2007, l’Université de Leyde (Pays-Bas) annonçait officiellement qu’elle allait confier sa chaire d’Islamologie (financée à hauteur de 2 500 000 € par le Sultanat d’Oman) à Tariq Ramadan, professeur de philosophie, théoricien de l’Islam et essayiste suisse. Le ministre hollandais de l’Education et de la Culture, M. Ronald Plastek ayant « soutenu le choix de l’Université en affirmant qu’il s’agissait de la liberté académique, que l’Université était indépendante et que le gouvernement donc n’avait pas à intervenir », cet engagement dans une université étrangère aurait dû aller à son terme, contrairement au précédent : début 2004, l’Université catholique américaine Notre Dame (Indiana) avait proposé à l’administrateur du Centre Islamique de Genève de devenir « Henry R. Luce professor of religion, conflict and peacebuilding » à la rentrée suivante. Mais, fin juillet 2004, la Sécurité Intérieure américaine avait révoqué son visa, en invoquant son soutien à des « entreprises terroristes ».
Soutien public : au Dr. Hassan 'Abd Allah al-Turabi, par exemple, politique et religieux soudanais, à l’origine de l’application de la Shâria dans le nord du pays, proche d’une milice impliquée dans le conflit du Darfour, et plutôt compréhensif envers les membres égyptiens d’Al-Qaeda, menés par Mustafa Hamza, et leurs alliés du contre-espionnage soudanais qui avaient tenté d’assassiner en 1995 le président égyptien, Hosni Moubarak - pendant son séjour en Ethiopie. Dr. Hassan 'Abd Allah al-Turabi qui, en retour, ne tarit pas d’éloges à l’égard de l’universitaire suisse.

Soutien moins public : par exemple, selon les services de renseignement français, il aurait laissé à Djamel Beghal, condamné en 2004 à 10 ans de prison pour tentative d’attentat contre l’ambassade des Etats-Unis à Paris, le soin de préparer ses discours dans les années 1990 ; ou encore il aurait, avec son frère Hani, organisé en 1991 une rencontre à Genève entre l’égyptien Ayman al-Zawahiri (second d’Oussama Ben Laden à la tête d’Al-Qaeda) et Omar Abdel Rahman (le sheikh aveugle, cerveau du 1er attentat contre le World Trade Center de New York en 1993, depuis emprisonné à vie au Minnesota). Toutes charges que l’intéressé conteste avec énergie.

Tariq Ramadan, l’un des « 100 penseurs qui comptent » selon Time Magazine d’avril 2004, ancien conseiller de Tony Blair, alors premier ministre britannique, nommé au lendemain des attentats de Londres en juillet 2005, est notamment l’auteur de Jihâd, violence, guerre et paix en Islam, Arabes et musulmans face à la mondialisation : Le défi du pluralisme, Islam : Le face à face des civilisations - Quel projet pour quelle modernité ? et Muhammad, Vie du Prophète. Enseignements spirituels et contemporains.

Trois semaines plus tard, le théologien suisse annonçait qu’il déclinait l’invitation, et précisait sur son site : « La presse a prématurément annoncé cette décision avant même que celle-ci ne soit officialisée. Aux réactions positives, se sont mêlées quelques voix critiques [« Au parlement néerlandais, conservateurs et populistes ont contesté l'engagement de Tariq Ramadan, qualifié par ses adversaires de ‘risque pour la sécurité nationale’ », selon Le Temps] mais celles-ci n’ont eu aucune influence sur ma décision (…) Le prestige des Etudes Islamiques de l’Université de Leiden de même que la nature et l’étendue du travail proposé étaient particulièrement attractifs et intéressants. Il me fallait contrebalancer cela avec une situation de famille, d’autres projets académiques importants et d’autres propositions aussi sérieuses. Après mûres réflexions, j’ai dû, avec regrets, prendre la décision de renoncer à occuper [cette] Chaire ».
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Tariq Ramadan, petit-fils d’Hassan al-Banna, fondateur (1928) en Egypte, des Frères musulmans, est bien connu en France : pour son éloquence et son militantisme radical ; pour un débat mémorable (le 20 novembre 2003, dans l’émission 100 minutes pour convaincre, en présence de J.-M. Le Pen) avec N. Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, au cours duquel il avait déclaré – sans convaincre le ministre de son libéralisme – qu’il était partisan d’un « moratoire sur la pratique de la lapidation des femmes adultères » telle que préconisée par son frère Hani Ramadan, suivant la Shâria ; également pour ses polémiques en 2005, à propos de « leur vision négative de l’Islam et leur soutien automatique à Israël », avec ceux qu’il appelle « les nouveaux intellectuels communautaires », A. Adler, A. Finkielkraut, A. Glucksman, B. Kouchner B.-H. Lévy et P.-A . Taguieff. « Nouveaux intellectuels communautaires » (faut-il rappeler ici que P.-A. Taguieff n’est pas juif ?) qui le tiennent, en retour, pour un antisémite. Charge que l’intéressé conteste aussi avec énergie.
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En revanche, l’Université de Leyde – où enseigne depuis 2004 le Dr Frits Bolkestein, qui a donné son nom à une célèbre directive - est moins connue…
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On a certainement oublié chez nous qu’un « cousin » hollandais des professeurs qui peuplaient la IIIe république, selon Albert Thibaudet, y a, en 1933, affirmé des principes qui semblent aujourd’hui démonétisés. Ainsi, en juillet 2007, Columbia University (New York) invitait le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, à débattre librement de son projet d’« effacer Israël de la carte »... Columbia University qui, en 2000 déjà - et dans un registre moins grave -, avait estimé que le geste d’un de ses enseignants-vedettes, le défunt orientaliste pro-palestiniste Edward W. Said – photographié en juillet 2000 dans le Liban-sud, en train de lancer une pierre en direction d’une position israélienne – n’était pas critiquable et relevait de la « liberté académique » - selon le doyen de l’époque, Jonathan R. Cole.

Johan Huinzinga (1872-1945), le célèbre historien d’art, l’un des fondateurs de l’Histoire culturelle, l’auteur de Homo Ludens, alors recteur de l’université de Leyde a décidé, en avril 1933, d’annuler l’invitation faite (par son université) à Johannes von Leers (1902-1965) d’assister à une conférence internationale : il venait d’apprendre que von Leers, universitaire nazi, avait écrit un pamphlet antisémite, Juden Sehen Dich An (Les Juifs vous surveillent) dans lequel le « crime rituel juif » (« assassinat d’enfants chrétiens par les Juifs pour ‘récupérer’ son sang, nécessaire à la confection du pain azyme pour la Pâque ») était présenté comme un fait avéré.

Huinzinga a tenu bon, a résisté à toutes les pressions, a eu des problèmes avec les éditeurs suisses et allemands qui publiaient ses livres et, ultimement, est mort en captivité aux mains des Nazis, mais van Leers n’aura pas été l’hôte de son université.
Pour l’anecdote, van Leers, un protégé de Goebbels qui appréciait ses talents de propagandiste, chaud partisan de la « solution finale », allait, après quelques années passées dans l’Argentine de Peron, se convertir à l’Islam dans les années 1950 et entrer au service du président égyptien G. A. Nasser – rejoignant ainsi nombre de ses camarades d’un combat qui, pour eux, n’avait pas cessé avec la défaite de l’Allemagne nazie. En 1953, il parlera avec émotion de « l’émouvant accueil plein d’humanité que des centaines de ‘réfugiés allemands’, des milliers peut-être, ont reçu des musulmans du Moyen-Orient après la guerre » (Wiener Library Bulletin, XI, 1-2, 1957).
Mais dès 1934, van Leers vantait la grande tolérance de l’Islam dans Der Kardinal und die Germanen (“Le Cardinal et les Allemands”). En, 1936, dans Blut und Rasse in der Gesetzgebung (“Sang et Race dans la Législation”) il exprimait son admiration pour « l’Islam impérieux et guerrier de peuples qui ont une claire composante raciale nordique ». De 1938 à 1942, il s’est beaucoup intéressé aux relations (mauvaises) entre le Prophète et les Juifs à Médine. Et, en 1957, il expliquera ainsi le choix de son « nom de baptême » au nazi américain H. Keith Thompson : « J’ai embrassé l’Islam et pris pour nom Omar Amin, Omar, pour le Calife Omar (Omar Ibn Al Khattab, 2e calife de l’Islam, mort en 644) implacable ennemi des Juifs, Amin, en l’honneur de mon ami Hadj Amin el Husseini, le Grand Mufti (de Jérusalem, célèbre pour son « Izbah Al-Yahud ! » (« Egorgez les Juifs ! ») ayant provoqué les massacres de Hebron et Safed en 1929, « invité spécial de Hitler » à Berlin de 1941 à 1945, organisateur de l’assassinat du roi Abdallah de Jordanie en 1951, oncle de Mohammed Abdel-Raouf Arafat As Qudwa al-Hussaeini, aka Yasser Arafat, entre autres) ».
A la veille de sa mort, van Leers s’était fait l’avocat d’une expansion de l’Islam en Europe dont la jonction avec l’Islam du Maghreb et celui de certaines républiques d’URSS ( !) devait, à terme, constituer un bloc uni et puissant, pouvant traiter d’égal à égal avec l’Ouest et l’Est.
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Leiden University : Then and now...
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Sources principales :
Andrew G. Bostom, Appointing an Islamist, Frontpagemag.com, 8 novembre 2007.
Daniel Pipes, Why Revoke Tariq Ramadan’s Visa ?, Frontpage.com, 27 août 2004.
Le Temps, www.letemps.ch, 10 novembre 2007
Tariq Ramadan, A propos de la Chaire d’Etudes Islamiques de l’Université
de Leiden, tariqramadan.com, 28 novembre 2007.


Présentation de Richard Zrehen

Richard Zrehen, est né en 1949, en Alger-la-blanche... Philosophe de formation, à l’école de Lacan, Lyotard et Deleuze, il est passé par l’enseignement (Paris I, Paris VIII, Valenciennes), la communication (Publicis, Havas, RSCG), le marketing (Sorgem, BBA), l’automobile (Citroën, Opel, Carex, Eldorauto) et la librairie. Il se consacre depuis 14 ans à l’édition : une collection aux Belles Lettres (Figures du savoir), depuis 4 ans, une collection chez Klincksieck (Continents philosophiques) et une collection orpheline depuis peu (L’Arbre de Judée) .

Il aime la littérature « populaire » (romans feuilletons, policiers, d’espionnage, de science-fiction, etc.), les essais et romans réactionnaires de 1850 à 1945, le cinéma américain d'avant 1975, les péplums, le film noir, et s’intéresse à la « chose juive » sous toutes ses formes (Loi, liturgie, commentaires, histoire, sociologie, fiction, bande dessinée, film), à la psychanalyse, au politique et au géo-politique.

Il a un faible pour Miles Davis (d’avant la période « électrique »), Bill Evans, John Coltrane, Charles Mingus, Thelonious Monk, les opéras de Mozart, le Beethoven des derniers quatuors, la musique de chambre de Brahms, Schoenberg, Berg, les Quatre Barbus, Mireille, Dario Moreno, les vieilles voitures anglaises, les Pall Mall sans filtre (devenues introuvables en France depuis janvier 2011) et les malts clairs.

Il a traduit Israël Zangwill ('Had Gadya) et co-traduit Art Spiegelman (Breakdowns) avec P. Lévy-Soussan.

Enfin, il est l’heureux grand-père de deux garçons qui l’appellent « papy » : Léo, 14 ans (Paracha Bô), et Noam, 11 ans.

Photo : portrait de Richard Zrehen, copyright Alain Zimeray.