jeudi 29 mai 2008

Auto-Promotion de printemps

Voici des livres récents, auxquels j’ai prêté la main…

1) Je vois la musique, de Patrick Jelin, français/anglais (photos P. Jelin, Textes P. Jelin & R. Zrehen, traduction E. Singer), Ateliers Private Images, 2007. Ou : comment un photographe, qui est aussi musicien, célèbre la Nature dans/par un objet technique de son invention, le Technochrome, en moulinant sons et couleurs, en machinant des transferts de vibrations, en décontextualisant des formes. Métamorphoses.


Extraits :

De l’abstract au Technochrome

L'idée d'« abstract », s'est imposée à moi en 1980, du temps où je trempais dans la mer des photocopies coloriées de photographies. Je les sortais de l'eau et je les installais sur le sable pour les photographier.

Un abstract est « une Présentation abrégée reprenant l'essentiel du contenu d'un texte, d'un discours, d'un document, d'un film » ; mes abstracts étaient des condensés d'histoires intimes, mais je ne le savais pas encore.

A l'époque, j'agissais par impulsion, par jeu, par plaisir, et cette célébration innocente de la nature, cette jouissance irréfléchie de l'élément, me procuraient un grand sentiment de liberté, d'ivresse, même.

Progressivement, j'ai pu déplier le processus et reconnaître mes abstracts pour ce qu'ils étaient depuis le début : non seulement des condensés de récits de passages de seuil - degrés de réel, de reflets, de reflets de reflets, de charge, surcharge et décharge d'énergie chromatique - mais aussi des condensés des réponses embarrassées que je tentais, en résistant-succombant à son emprise, de donner à la question de la Technique, depuis mon « lieu » d'exercice…

Je touche la couleur, je respire l'espace, je vois la musique, j'entends le silence : perception réglée-déréglée d'impressions flottantes, qui se croisent, se superposent, se désagrègent et ne subsistent qu'à l'état de traces. Mémoire trouée.

Technochromes : avec ces objets techniques, j'essaie de figurer les mécanismes aléatoires-sélectifs qui machinent la mémoire, ménageant à chacun une entrée dans la langue et singularisant sa Parole.

Mécaniquement, d'un état à l'autre, il y a de la perte. Pour résister à l'érosion, à l'oubli, à la « tentation pédagogique », je recharge en couleur, je rehausse les traits, j'accuse les contrastes. Façon de remonter le temps : redonner aux masques toute leur puissance…


Prix : 104 € (http://www.ateliersprivate.fr/editions.html)

*

2) Israel on Israel, Michel Korinman & John Laughland eds, Vallentine Mitchell, London, 2077. Traduction de l’essentiel du numéro n° 9 d’Outreterre, revue française de géopolitique animée par M. Korinman, (octobre 2004, « Israël en Israël »), auquel ont participé, entre autres, Ariel Sharon, Shimon Peres, Shlomo Ben-Ami, Emmanuel Sivan, Illan Pappé, Avi Primor et Pierre-André Taguieff.

Ma contribution, intitulée « Emergence of Shas », est consacrée à ce parti « religieux » dirigé par un rabbin charismatique, le rav Ovadia Yossef, qui a donné d’abord une visibilité, ensuite une identité politique aux juifs séfarades, plus généralement aux juifs orientaux d’Israël : parti qui irrite fort l’Establishment israélien, plutôt laïque, et reste une énigme pour les élites post-voltairiennes en Occident – où « religieux » est toujours synonyme d’intégrisme et de jusqu’au-boutisme.


Extraits :

« Le Shas (Sfaradim Shomréi Torah = Gardiens Séfarades de la Torah) est né en 1984, à l’initiative du rav Eliezer Menahem Shach, ancien dirigeant du Conseil des sages de la Torah, assemblée de plusieurs rabbins constituant l’instance dirigeante de l’Agoudat Yisrael, l’un des deux grands partis politiques du judaïsme ashkénaze en Israël (l’autre étant le Parti National Religieux, qui a succédé au Mizrahi).

Le rav Shach, homme à l’influence très large, héritier de la grande tradition lituanienne (par opposition à la tradition hassidique), celle du Gaon Elyahou de Vilna et de ses disciples, chef incontesté du monde dit « ultra-orthodoxe » et de ses yechivot (centres d’enseignement de la Tradition : Torah, Talmud, codes, midrachim, etc.), très rigoureux en matière de halakha, considéré comme un prince de la Torah… a toujours eu une attitude différente de celle des autres membres d’Agoudat Yisrael vis-à-vis des juifs séfarades.

Alors que la plupart des autres yechivot n’acceptaient qu’avec difficulté d’admettre en leur sein des élèves originaires du bassin méditerranéen (principalement du Maroc), le rav Schach, lui, les accueillait volontiers dans sa très réputée yechiva de Bnéi Brak, dès le début des années 70 : pour les sortir d’un environnement dangereux (les juifs séfarades et orientaux arrivant en Israël après l’indépendance avaient été reçus avec une certaine suspicion par les autorités et envoyés dans des villes nouvelles - où régnaient pauvreté, chômage et délinquance - situées assez loin des grands centres urbains), pour les arracher au sionisme séculariste de l’école publique et les ramener (ou les maintenir) dans la voie de la Torah.

mais parrainer un petit parti séfarade qui s’était fait connaître localement en 1983, en gagnant 3 sièges aux élections municipales de Jérusalem… et chercher à lui donner une audience nationale ? Qu’est-ce qui a pu pousser le rav Schach à prendre cette voie, sinon la conviction que c’était un bon moyen d’ajouter à « la gloire de la Torah », c’est-à-dire de redonner du lustre au judaïsme séfarade…

Prêter des calculs politiciens au rav Schach est prendre la conséquence pour la cause, est ne pas comprendre comment fonctionne le monde de l’observance juive : un homme comme lui se préoccupe d’abord non pas de faire ou défaire des gouvernements mais d’accroître le nombre (et la compétence halakhique) des Talmidéi Khakhamim (disciples des Sages)… C’est cela qui explique son intervention dans le champ politique, qui donne accès aux dotations budgétaires et permet de peser sur l’élaboration des lois « civiles » - et donc de maintenir vivant l'ethos juif dans un Etat qui s’est d’abord construit en s’y opposant, comme chacun le sait…

… Sans le rav Ovadia Yossef, ancien Rishon Le Tsion (titre porté par les grands rabbins séfarades de la Palestine sous mandat ottoman et remis en vigueur par l’Etat d’Israël après 1948) et Aryeh Derhi, ancien élève de la yechiva Hebron de Jérusalem, le rav Schach n’aurait peut-être pas estimé possible ou justifiée son ambitieuse opération…

Prix : 18 £ (environ 24 €).


lundi 26 mai 2008

Un homme d’influence


En 1882, l’empire austro-hongrois, dont la langue officielle est l’allemand, se décide en faveur d’un enseignement bilingue, pour tenter de calmer les impatiences nationalistes qui se manifestent alors dans les (très) différents pays qui le composent. En conséquence, écoles, collèges, lycées et universités vont être traversés par une ligne de démarcation linguistique : allemand d’un côté, langue nationale de l’autre.
A Prague, par exemple, les scientifiques, au premier rang desquels le président de l’université, Ernst Mach (physicien célèbre pour ses travaux et calculs sur la vitesse du son), sont très opposés à cette nouvelle disposition. Les nationalistes, qui espèrent disposer d’un socle pour ancrer l’identité qu’ils revendiquent, et nombre d’enseignants de « Sciences humaines » (les 2 peuvent se recouper), espérant obtenir l’ouverture de nouveaux postes, y sont favorables.
L’un de ceux qui vont ainsi être nommés est un professeur de philosophie et de sociologie, Thomas G. Masaryk, le futur fondateur de la Tchécoslovaquie et son premier président – élevé en allemand et qui parlera toujours le tchèque avec un assez fort accent, qui vient de publier sa thèse de doctorat (en allemand) : « Le suicide comme phénomène social de masse dans la civilisation moderne ».

*

Thomas G. Masaryk (1850-1937), enfant adultérin d’un très riche juif autrichien, Nathan Redlich, chez qui sa mère, Terezie Kropacov, servait en qualité de cuisinière, est officiellement le fils de Joseph Mazaryk, cocher hungaro-slovaque catholique de la famille Redlich. – Nathan Redlich pourvoira généreusement à l’éducation de Thomas Masaryk.
Il a étudié la philosophie à Brno, à Vienne, où il a suivi les cours de Franz Brentano, puis à Leipzig, où il a suivi ceux de Wilhelm Wundt. – A Leipzig, il rencontre la fille d’un industriel américain, descendant de huguenots, et d’une descendante d’un des passagers du Mayflower, Charlotte Garrigue. Il l’épouse en 1878, aux USA, adopte Garrigue comme « middle name », est introduit dans le monde fermé de l’industrie et de la finance américaines. Après quoi, le couple revient en Europe et s’installe à Vienne.

*

En 1883, Mazaryk fonde une revue, l’Athenaeum – en hommage à celle, portant le même nom, lancée en 1798 à Iéna par les grands théoriciens du Romantisme allemand, les frères Schlegel –, consacrée à la culture et à la science tchèques. Elle lui servira de tribune pour contester les fondements mythiques du nationalisme tchèque (notamment en prouvant que des manuscrits, prétendument anciens, attestant de la maturité de la culture tchèque médiévale, sont des faux) et lui opposer une connaissance rationnelle de l’histoire et de la culture, dans la lignée des Lumières…
La « doctrine » de Mazaryk est un composite : rationaliste, humaniste, influencé par les utilitaristes « anglo-saxons » raillés par Nietzsche, par le XVIIIe siècle français, très opposé à l’Idéalisme allemand et à Marx (pour cause d’« internationalisme » et de « lutte des classes »), Mazaryk est un admirateur de l’anti-kantien Herder – qu’on peut considérer comme le père du nationalisme culturel.

*

De 1891 à 1893, Mazaryk siège au Parlement autrichien avec les Jeunes Tchèques, désireux de s’engouffrer dans la brèche politique ouverte par l’empire par l’empire – ils viennent de faire sécession d’avec les Vieux Tchèques, qui préfèrent une approche plus traditionnelle, l’alliance avec la noblesse pour faire pression de l’extérieur.
En 1896, par l’intermédiaire de sa femme, il rencontre à Prague le patricien de Chicago habité par le démon de la politique internationale, Charles R. Crane [voir, dans cet espace, « Signifiant flottant », mis en ligne le 12 mai 2008]. Rencontre décisive pour les deux hommes : dans l’après-coup, Mazaryk, qui a commencé de publier des ouvrages sur la Question tchèque, va se trouver confirmé dans sa vocation de politique « artiste » – avec l’Europe centrale comme matériau – et s’inventer un destin hors du commun, ce qui aura des conséquences pour tout le continent ; Charles R. Crane va s’intéresser encore plus au monde slave et entreprendre de peser sur la marche du monde.

*
En 1899, Mazaryk porte son combat contre le nationalisme tchèque mythique et ses préjugés à un degré supérieur en prenant fait et cause pour Leopold Hilsner, jeune juif de Bohême, vagabond plutôt simple d’esprit, accusé du meurtre d’une jeune catholique tchèque, Anežka Hrůzová, retrouvée égorgée dans une forêt.
Crime « rituel », dit la rumeur – c’est-à-dire assassinat d’un chrétien par un juif dans le but de récupérer son sang afin de pouvoir le mêler au pain azyme de la Pâque –, relayée par le Deutsches Volksblatt de Vienne, édité notamment par August Schreiber (qui sera condamné à la prison pour diffamation), le Vaterland, le principal organe de l'Eglise, des parlementaires, et l’avocat de la famille Hrůzová.
Mazaryk, s’appuyant sur un grand nombre d’irrégularités juridiques, en appelle à la Cour suprême qui ordonne un nouveau procès. – Cet engagement lui vaudra, en 1907, une belle réception dans la communauté juive de New York, organisée par Louis D. Brandeis, juge à la Cour Suprême.
Mazaryk aura affirmé un principe, mais peu après le procès, Hilsner est persuadé par certains de ses co-détenus de se dénoncer et d’impliquer des complices. Une autre jeune femme, Marie Klímová, ayant aussi disparu, Hilsner est accusé de son meurtre sans preuve, est condamné à mort en 1900, et voit sa peine commuée en détention à perpétuité par l’empereur en 1901. – Il sera pardonné par Karl Ier d’Autriche, successeur de François-Joseph, peu avant la fin de la 1e guerre, en mars 1918.

*


En 1902, il se rend à Chicago pour y faire une série de conférences sur le monde slave, invité par Charles R. Crane, russophile convaincu, qui avait, dès 1900, proposé à l’université fondée par John D. Rockefeller de financer des conférences « ouvertes » en Etudes slaves, à faire assurer « autant que possible par des Slaves éminents, spécialement des Russes » : dans le but de donner à un public large (les auditeurs libres sont bienvenus) « une vue générale du monde slave, de sa géographie, de son ethnographie, de son histoire, de ses institutions et de ses sectes religieuses ».
– C. R. Crane, tombé sous le charme de la Russie lors de sa première visite, en 1887, où il avait rencontré Petr Semenov (président de la Société Impériale Russe de Géographie et ancien secrétaire du Comité pour l’Emancipation des Serfs Russes) et, grâce à lui, un groupe de propriétaires terriens, nobles éclairés, influents, « progressistes », voulait combattre l’opinion, alors prévalente [et tout-à-fait fondée] en Amérique, selon laquelle régnait un despotisme borné dans la Russie de Nicolas II, « empereur et autocrate », et de Raspoutine, « terre d’attentats à la bombe, de pogromes, de knout cosaque, [de servage], de terreur… »
C. R. Crane sera notamment l’ami de Nijinsky, Pavlova, Stravinsky et de Pavel Miliukov, historien (rencontré en 1901 aux Etats-Unis, où Miliukov, fraîchement libéré de prison, donnait une série de cours), leader de l’opposition à Nicolas II au sein de la Douma, ministre des Affaires étrangères du gouvernement provisoire en 1917, qui, désavoué par le soviet de Petrograd, se rapprochera des Russes blancs et finira ses jours en exil, en France.
*

De 1907 à 1914, Mazaryk siège de nouveau au Parlement autrichien, au sein du Parti réaliste qu’il a fondé, en 1889, avec Karel Kramář – qui sera le premier président du conseil de Tchécoslovaquie. Après l’annexion de la Bosnie-Herzégovine (1908), il critiquera la politique étrangère de l’empire, notamment l’alliance avec l’Allemagne, et défendra les slaves du sud contre les accusations du Pouvoir.
Quand la guerre éclate, à la suite de l’assassinat par un nationaliste serbe de l’héritier du trône d'Autriche-Hongrie, l'Archiduc François-Ferdinand, à Sarajevo, le 28 juin 1914, menacé d’arrestation pour trahison, Mazaryk s’enfuit, se rend à Genève – avec un passeport serbe – où il commémore le 500e anniversaire de la mort au bûcher du Réformateur tchèque germanophobe Jan Huss (6 juillet 1415) auquel il a déjà consacré un ouvrage, puis en Italie, et enfin à Londres, où il commence à militer pour l’indépendance de la Tchécoslovaquie.
En 1915, il inaugure à Londres la School of Slavonic and East European Studies, alors département du King’s College – intégrée depuis à University College of London – et devient Professor of Slav Research au King's College, où il fait cours sur « La question des petites nations ».

*

Mazaryk n’en reste pas moins actif sur le plan politique et même militaire. En liaison avec le contre-espionnage américain, il met sur pied un réseau d’espionnage qui s’étend à la quasi totalité de l’empire austro-hongrois, fort de plusieurs dizaines de tchèques qui mettent sous surveillance les diplomates autrichiens et allemands et fournissent de précieux renseignements aux Alliés.
En 1916, Mazaryk vient en France pour tenter de convaincre le gouvernement de la nécessité de démembrer l’empire austro-hongrois, et propose d’organiser des légions composées de prisonniers de guerre autrichiens d’origine tchèque pour combattre les troupes de l’empereur. Même proposition est faite à la Russie. Les généraux français et russes sont, en majorité, opposés à la formation de ces légions, contraires aux stipulations des conventions de La Haye. Clemenceau tranche, le gouvernement russe le suit : les légions sont créées. En 1917, Mazarick se rend en Russie pour organiser la « résistance slave » aux Autrichiens et crée les Légions Tchecoslovaques.
Survient la Révolution d’octobre, les Bolcheviques signent un traité de paix séparée avec l’Allemagne et l’Autriche, les Légions Tchécoslovaques se replient vers l’est de la Russie en suivant les rails du Transsibérien et, chemin faisant, se livrent à des pillages et… capturent une importante portion des réserves d’or de la Russie. – Evacué par des navires britanniques, l’or des Tsars se retrouvera dans les coffres de la toute nouvelle Tchécoslovaquie, après la guerre.

*
Toujours en 1917, les Etats-Unis, restés neutres jusque-là, entrent en guerre contre l’Allemagne, à la suite du torpillage du Vigilentia, le 19 mars, par un sous-marin allemand, ravivant le souvenir du Lusitania, torpillé le 7 mai 1915. Mazaryk envoie depuis Kiev un télégramme de soutien au président Wilson.
En 1918, il se rend à Chicago pour y faire une nouvelle série de conférences sur le monde slave, toujours à l’invitation de Charles R. Crane.
En juin 1918, grâce à C. R. Crane, Mazaryk obtient une entrevue avec Thomas Woodrow Wilson, et, lui citant des morceaux entiers de ses propres discours, parvient à convaincre ce président presbytérien, progressiste, idéaliste (il pensait que les USA devaient lutter pour répandre la démocratie dans le monde et a milité pour l'établissement de la Société des Nations...), de revenir sur sa position – telle qu’il l’avait fait connaître au Congrès en janvier 1918 – et d’envisager le démembrement de l’empire austro-hongrois, une fois la guerre gagnée.
Ce serait chose faite à l’automne 1918, les Alliés étant tombés d’accord avec le président américain pour considérer comme Gouvernement Tchécoslovaque de facto le Conseil National Tchèque (fondé par Mazaryk avec Edvard Beneš et Milan Štefánik en 1917).
Le 18 octobre 1918, Mazaryk annonce, à Washington, la création de la Tchécoslovaquie, rassemblant des « pays » disparates (comme le prouverait l’éclatement du pays après la chute du mur de Berlin en 1989), Bohème, Moravie, Slovaquie, Silésie et Ruthénie, dans lesquels plusieurs millions d’Allemands sont installés – l’une des causes de la 2e guerre… Le nouvel Etat, dont les frontières seront fixées au cours de la conférence de St Germain, en 1919, allait devenir le 6e Etat le plus étendu d’Europe, après l’Allemagne, l’Espagne, la France, l’Italie et le Royaume-Uni, avec une monnaie forte, garantie par l’or russe et Wall Street, et une Constitution modelée sur celle des USA…

*

Pour l’anecdote, Mazaryk qui semble avoir progressivement développé une grande aversion à l’égard de l’empire, de sa langue, de sa famille régnante et de sa religion officielle, se convertit au protestantisme, et l’une de ses premières mesures sera d’établir une Eglise nationale, modelée sur l’Eglise d’Angleterre…
*

Mazaryk devenu président, la famille de Charles R. Crane n’est pas oubliée.
Les billets de banque du nouvel Etat, dessinés par Alphonse Mucha, sont à l’effigie de Joséphine Crane Bradley, la première fille de C. R. Crane. L’aîné des fils, Richard Teller Crane, secrétaire du Secrétaire d’Etat Robert Lansing de 1915 à 1919, sera le premier ambassadeur des USA à Prague, de 1919 à 1922 ; son cadet, John Oliver Crane, deviendra secrétaire de Mazaryk en 1922 ; Jan Mazaryk, fils de Thomas, anciennement employé par les établissements Crane à Chicago et futur ambassadeur de Tchécoslovaquie à Londres (il le restera jusqu’en 1939), épousera la sœur de Joséphine, Frances Anita.

*

Quant à Charles R. Crane lui-même, l’Europe centrale remodelée avec son soutien multiforme, il avait déjà porté ses regards sur un autre empire défait, en puissance de recomposition, l’empire ottoman que Nicolas II avait rêvé d’annexer pour reconstituer l’empire byzantin…
A suivre…

***
Sources :

David J. Krus & Joan M. Brazelton, « Trans-temporal cognitive matching », visualstatistics.net
Yurij Holowinsky, « Promoting Russian Liberalism in America », Russian Review, Vol. 49, No. 2 (Apr., 1990).
Karl Hausner, « Was Mazaryk The Mastermind Of Wilson’s Fourteen Points, Maneuvering The United States Into World War I ? The Profile Of A Humanist, Philosopher, Revolutionary, Traitor, Stateman, Or Opportunist », prepared for presentation at the Twenty-Sixth Annual Symposium of the Society for German-American Studies, Amana Colonies, lowa, April 18-21, 2002, sudetengermans.freeyellow.com
Olivier Dekens, Herder, Figures du Savoir n° 32, Les Belles Lettres, Paris, 2003.
S. Freud & William C. Bullit, Le président Thomas Woodrow Wilson - portrait psychologique (1938), tr. fr. Marie Tadié, Albin Michel, Paris, 1967.
P. Lacoue-Labarthe – J.-L. Nancy, L’absolu littéraire, Le Seuil, Paris, 1978.
Wikipedia, Charles Richard Crane.

Ilustrations :

Er Mostro, copyright Alain Rothstein.
Tsunami, copyright Patrick Jelin.
Zèbre, copyright François Bensimon.

lundi 19 mai 2008

Pré-Science...



Le 22 avril 1970, le sénateur Démocrate du Wisconsin Gaylord Nelson (1916-2005), secondé par Denis Hayes, écologiste, partisan de l’énergie solaire, organise la première « Journée de la Terre », ensemble de manifestations sur tout le territoire des USA, pour donner à l’Environnement un statut politique. – La Journée de la Terre est, depuis, observée le 22 avril dans l’hémisphère Nord.
De nombreux débats sont organisés dans les universités, la presse quotidienne et les magazines en rendent compte et consacrent cahiers spéciaux et éditoriaux à l’événement et au domaine.

Extraits :

« … En raison de l’accroissement de la masse des particules de poussière, de la couche nuageuse et de l’évaporation… la planète va se refroidir, la vapeur d’eau, descendre, geler, et un nouvel Age de Glace, naître », Newsweek magazine, 26 janvier 1970.

*

… Les scientifiques ont une base expérimentale et théorique solide pour soutenir que… dans une décennie, les habitants des villes devront porter des masques à gaz pour survivre à la pollution… qu’en 1985, la pollution de l’air aura réduit de moitié l’intensité des rayons du soleil atteignant la terre… », Life Magazine, janvier 1970.

*

« Nous exploitons au maximum nos ressources et consommons des ‘‘choses’’ non renouvelables beaucoup plus vite que nous n’en découvrons de nouvelles », Martin Litton, directeur du Sierra Club [organisation écologique fondée en 1892 par l’écrivain écossais John Muir (1838-1914)], Times, « Special environmental Report », 2 février 1970.

*

« Si la tendance se poursuit, en l’an 2000, nous consommerons du pétrole en quantité telle… qu’il n’y en aura plus… On ira à la pompe, on demandera le plein, et le pompiste répondra : ‘‘Désolé, il n’en reste plus une goutte’’ », Kenneth Watt, Times, « Special environmental Report », 2 février 1970.

*

« ... la Civilisation finira d’ici 15 à 30 ans si on n’agit pas immédiatement pour régler les problèmes qui menacent l’humanité », George Wald, biologiste, Harvard University, 19 avril 1970.

*

Le monde sera « plus froid de 11 degrés en l’an 2000. C’est environ deux fois plus qu’il ne faut pour nous faire entrer dans un âge de glace… Il nous reste encore cinq ans pour faire quelque chose… », Kenneth Watt [écologiste], dans une intervention à Swarthmore University le 19 avril 1970.

*

« L’Homme doit arrêter la pollution et conserver ses ressources, non pour améliorer l’existence mais pour sauver l’espèce humaine de dégradations intolérables et d’une possible extinction », éditorial du New York Times, 20 avril 1970.
*

« Vers 1995… entre 75 et 85% de toutes les espèces animales vivantes auront disparu », Gaylord Nelson, citant le Dr Dillon Ripley [ornithologue et naturaliste], Look Magazine, avril 1970.
*

« Nous sommes au cœur d’une crise environnementale qui menace la survie de cette nation, et [même] du monde comme d’un endroit habitable par l’homme », Barry Commoner, biologist, University of Washington, dans un article publié par Environment en avril 1970.

*

« [L’accroissement de la] population va inévitablement absorber les petits surplus de nourriture que nous parvenons à produire… Le taux de mortalité [!] va augmenter jusqu’au point où de 100 à 200 millions de personnes mourront de faim chaque année pendant la prochaine décennie », Paul Ehrlich, biologiste, Stanford University, entretien avec Peter Collier, Mademoiselle, avril 1970.

*
« Il est déjà trop tard pour éviter les famines de masse », Denis Hayes, The Living Wilderness, printemps 1970.

*
« En l’an 2000… le monde entier, à l’exception de l’Europe de l’ouest, l’Amérique du Nord et l’Australie, sera en proie à la famine », Peter Gunter, North Texas State University, The Living Wilderness, printemps 1970.
***



21 janvier 1981. Darrell E. Levi écrit au Tallahassee Democrat (Floride) pour faire de son grand souci : « … la dévastation accélérée des forêts tropicales et surtout la possibilité de changements climatiques majeurs ».
Et il ajoute : « Ces 20 dernières années, une chose est devenue de plus en plus claire : la plus grande, la plus inexorable des menaces qu’affrontent les humains n’est ni un conflit politique ni un conflit idéologique, n’est pas la désintégration sociale ou le chaos économique – quelque réelles et importantes que ces éventualités soient – mais la destruction du fondement biologique [!] même de la vie [!!]. »

***

Sources :

Ronald Bailey, « Earth Day, Then and Now », Reason Magazine, Reasononline, mai 2000.
James Taranto, « Night Times », The Wall Street Journal, 2 avril 2008.
« Earth Day 2008 : Predictions of Environmental Disaster Were Wrong », Washington Policy Center, washingtonpolicy.org, 22 avril 2008.
John Hinderaker, « Endless Winter », Part 2, Power Line blog, 26 avril 2008.
David ? « Je me souviens », Antagoniste.net, 2 mai 2008.

Illustrations :

Copyright Alain Bellaïche.
Copyright Patrick Jelin.

lundi 12 mai 2008

Signifiant flottant


En juillet 1922, la Société des Nations accorde un Mandat au Royaume-Uni sur la Palestine avec pour mission de « mettre le pays dans des conditions politiques, administratives et économiques telles qu’y soit rendu possible l’établissement du Foyer national Juif [selon les termes de la « Déclaration Balfour » de 1917] ». Peu après, le gouvernement britannique décide de retirer 78% du territoire couvert par son Mandat [dont la moitié, à peu près, est « destinée » à ce Foyer national Juif] et crée la Transjordanie qui deviendra, en 1946, la Jordanie… Le 16 septembre 1922, la Société des Nations, suivant les recommandations de Lord Balfour [!] avalise cette décision…
En 1947, le gouvernement britannique renonce à son Mandat, se disant « incapable de parvenir à une solution acceptable par les Arabes et les Juifs », les Arabes, menés par Haj Amin Al-Husseini, le Grand Mufti de Jérusalem, ne voulant pas entendre parler de souveraineté juive sur une quelconque partie de la Palestine et l’ayant démontré violemment, dès avant l’octroi du Mandat (en 1920, à Jérusalem, en 1921, à Jaffa, en 1929, à Hébron, Jérusalem, Safed et Tel-Aviv, en 1936, etc.).
L’Organisation des Nations Unies, qui vient d’être créée pour prendre la suite de la Société des Nations, discréditée, accepte de mettre un terme au Mandat britannique, nomme une commission « neutre » pour étudier le problème et, après ajustement, vote le 29 novembre 1947, en assemblée générale, la « résolution 181 » qui prévoit la division du pays en 2 Etats, l’un Arabe, l’autre, Juif, Jérusalem devant devenir « ville internationale » directement administrée par les Nations Unies, division qui doit prendre effet au jour même du retrait britannique, le 15 mais 1948.
33 Etats approuvent ce plan : Afrique du Sud, Australie, Belgique, Bolivie, Brésil, République socialiste de Biélorussie, Canada, Costa-Rica, Danemark, République Dominicaine, Equateur, France, Guatemala, Haïti, Islande, Libéria, Luxembourg, Nouvelle-Zélande, Nicaragua, Norvège, Panama, Paraguay, Pays-Bas, Pérou, Philippines, Pologne, Suède, Tchécoslovaquie, République socialiste d’Ukraine, USA, URSS, Uruguay, Venezuela.
13 Etats le rejettent : Afghanistan, Arabie Saoudite, Cuba, Egypte, Grèce, Inde, Iran, Irak, Liban, Pakistan, Syrie, Turquie, Yémen.
10 Etats s’abstiennent : Argentine, Chili, Chine, Colombie, Ethiopie, Honduras, Mexique, Royaume-Uni (et Irlande du Nord), Salvador, Yougoslavie.
La Thaïlande ne prend pas part au vote.


*

Le 14 mai 1948 (5 Iyyar 5708), David Ben Gourion proclame l’indépendance de l’Etat d’Israël.
*

Dans la nuit, les armées de 5 des Etats membres de la Ligue Arabe (Egypte, Irak, Liban, Syrie, Transjordanie), formée à l’initiative des Britanniques en 1945, renforcées par des contingents saoudiens et yéménites, envahissent le tout jeune Etat …

***

8 mai 2008, l’Etat d’Israël s’apprête à célébrer le 60e anniversaire de son indépendance.
Dans un article non signé [reproduisant mot pour mot une dépêche Reuters écrite à Gaza, le 6 mai 2008,
par Rebecca Harrison], intitulé « Moshe et Akram, les deux visages d’Israël », Nice-Matin écrit : « Comme l’Etat d’Israël, Moshe Feist et Akram al Chamall fêtent cette année leurs 60 ans. Mais leur communauté de destin s’arrête pratiquement là.
Pour Moshe, un israélien, cet anniversaire est l’occasion de s’enorgueillir des réalisations de l’Etat juif. Pour Akram [de nationalité non précisée à cet endroit de l’article], c’est le moment de se souvenir de la Nakba (Catastrophe) qui a vu la création d’Israël s’accompagner de l’exode de plus de 700 000 Palestiniens. »
Nakba ? Catastrophe ? Nom « palestinien », adopté par tout le monde arabe, de la naissance de l’Etat d’Israël ?

***


Le terme de « Nakba » apparaît pour la première fois dans un livre de George Habib Antonius, The Arab Awakening : The Story of the Arab National Movement, publié à Londres par H. Hamilton, en 1938, pendant la « révolte arabe » (1936-1939), soulèvement conduit par le Haut Comité Arabe (présidé par le Grand Mufti de Jérusalem) contre les Britanniques – et protestation contre l’émigration juive dans la Palestine du Mandat.
De parents grecs orthodoxes, George Habib Antonius (1891-1941), élevé en Egypte et ayant fait ses études en Angleterre, est le premier a avoir consacré un ouvrage au nationalisme arabe, ce qui a longtemps fait de lui l’« historien » de référence sur le sujet pour le monde « académique » anglais et américain.
George Habib Antonius a commencé sa carrière comme fonctionnaire du Mandat britannique en Palestine, au département « Education ». Il semble avoir découvert la « grande » politique au milieu des années 1920, lors d’un séjour officiel en Arabie en tant qu’interprète d’un diplomate, sir Gilbert Clayton, envoyé par le gouvernement britannique pour « sonder » les dirigeants du pays.
Bientôt, pourtant, un désaccord avec son Administration l’amène à envisager d'abandonner ses fonctions. Le journalisme le tenterait mais avec une audience qui dépasserait la région, ce pourquoi il refuse de rejoindre le grand quotidien du Caire que dirige son beau-père : devenir correspondant pour la presse étrangère lui conviendrait.
En janvier 1930, Vincent Sheean, journaliste américain, lui suggère plutôt de « couvrir » le Moyen-Orient pour le nouvel Institut de Relations Internationales fondé en 1925 par Charles R. Crane, The Institute of Current World Affairs, qui a pour objectif « d’offrir à des personnalités prometteuses la possibilité d’acquérir une connaissance approfondie d’un sujet, d’un pays ou d’une région hors les USA et de faire partager cette connaissance à un public large » : « C’est… financièrement, mais pas seulement, bien plus intéressant qu’un travail de correspondant : c’est digne, important et le travail est utile…

*

Charles Richard Crane (1868-1939), richissime américain, philanthrope, patron des Arts (il a, par exemple, subventionné l’Epopée slave d’Alphonse Mucha, suite de 20 toiles immenses dépeignant l’histoire des Tchèques et des Slaves, solennellement offertes à la ville de Prague en 1928), fils d’un magnat de l’Industrie (Plomberie) de Chicago, rêvant de jouer un rôle dans les Affaires Mondiales, entré en politique en 1912 aux côtés du Démocrate Thomas W. Wilson. Charles R. Crane qui utilise sa fortune à promouvoir les « révolutions » dans le monde, intéressé par le nationalisme slave, la Tchécoslovaquie, la Russie, le Moyen-Orient (il a financé les premières explorations pétrolières en Arabie et au Yémen et œuvré décisivement pour que les USA obtiennent leurs premières concessions dans ces pays), la Chine (il y sera ambassadeur de 1920 à 1921).
En 1919, Charles R. Crane et Henry C. King (théologien et président du Oberlin College) sont nommés par le président Wilson pour diriger une commission chargée d’enquêter sur la situation des parties de l’Empire ottoman promises à partition. La Commission Crane-King visite notamment le Liban, la Palestine et la Syrie et, après s’être entretenue avec les notables locaux conclut, dans les termes de Henry King, que « le Moyen-Orient n’est pas prêt pour l’indépendance mais qu’une administration coloniale ne serait pas une bonne solution. Mieux vaudrait que les USA prennent le contrôle de la région, seule puissance en qui on puisse avoir confiance pour conduire les peuples vers l’auto-subsistance et l’indépendance…
Et encore : « La majorité des “Syriens’’ [c’est-à-dire les habitants de la “Grande Syrie’’, comprenant aussi le Liban et la Palestine] est opposée à l’établissement d’un Etat juif… Seule la force permettrait d’en fonder un viable… Aussi faut-il écarter cette hypothèse… »
Wilson malade, bientôt mourant le rapport est vite enterré par le Département d’Etat ; il ne sera rendu public qu’en 1922 – et ses recommandations ne seront pas suivies... Entre-temps, le Royaume-Uni aura reçu un Mandat sur la Mésopotamie (Palestine et Irak), et la France, un Mandat sur la Syrie et le Liban (Traité de Versailles, 28 juin 1919).

*

Début 1930, George Habib Antonius se met en disponibilité, se rend à New York, rencontre Charles R. Crane et devient « Fellow » du ICWA. Ses obligations : faire des recherches, écrire un livre et accompagner C. R. Crane dans ses tours annuels du Moyen-Orient.
Les années qui suivent, G. H. Antonius s’informe, entretient une correspondance avec des historiens et des orientalistes, donne des conférences à l’université, projette d’éditer un Lexique arabe ou encore de fonder un Institut d’Etudes Arabes, et met son livre en chantier.
En 1936, C. R. Crane apprend que Columbia University a un poste à pourvoir, Richard Gottheil, professeur d’Etudes sémitiques, venant de décéder. Il écrit aussitôt une lettre à Nicholas M. Butler, président de l’Université, dans laquelle il propose la candidature de G. H. Antonius.
Extraits : « … Il vient d’une bonne famille grecque mais dit… avoir toujours parlé arabe et français… Il est diplômé d’Oxford et de la Sorbonne. Son anglais est pratiquement du meilleur Oxford… Et, n’étant ni juif ni arabe, il n’est pas influencé par des considérations raciales et ses appréciations sont objectives… »
G. H. Antonius n’est pas diplômé de la Sorbonne ou d’Oxford, au plus a-t-il un baccalauréat en Sciences Mécaniques de Cambridge… Néanmoins, Nicholas M. Butler le nomme « visiting professor » pour l’année universitaire 36-37. G. H. Antonius se fait tirer l’oreille, la vie universitaire ne l’attire pas, la veuve de Gottheil, appuyée par certains de ses anciens élèves juifs, fait valoir auprès de N. M. Butler qu’il a la réputation d’être un propagandiste arabe dans les cercles sionistes, et le président de Columbia finit par retirer son invitation.
En 1938 paraît enfin le grand œuvre, The Arab Awakening : The Story of the Arab National Movement. Extrait de la préface : « J’ai entrepris de mener ma tâche à bien dans un esprit d’équité et d’objectivité et, bien qu’approchant le sujet sous un angle arabe, de parvenir à des conclusions non partisanes ».
En janvier 1939, G. H. Antonius arrive à Londres, pour servir de Secrétaire à la Délégation arabe devant participer à la Table-Ronde sur l’avenir de la Palestine…
En 1941, on le retrouve à Bagdad, où il évolue dans l’entourage du Grand Mufti de Jérusalem, pour lequel il ne cache pas son admiration, et qui a déjà noué des contacts avec l’Allemagne nazie ; Bagdad, où il finira bientôt ses jours.

*

Retour à « Nakba », quasi universellement accepté comme synonyme de « création de l’Etat d’Israël en 1948 » : qu’en dit G. H. Antonius, voix on ne peut plus politiquement autorisée, dans son livre de 1938 ?
Page 312, il écrit : « L’année 1920 porte un nom maudit dans les Annales arabes : c’est l’année de la Catastrophe (Am al-Nakba). L’année du premier soulèvement armé pour protester contre les conditions d’après-guerre imposées par les Alliés aux Pays Arabes, année où des émeutes sérieuses ont eu lieu en Syrie, en Palestine et en Irak ».

Quelles conditions, précisément ?

La séparation entre la Syrie et le Liban, sous contrôle français, et la Palestine, sous contrôle britannique. En effet, le gros des arabes de Palestine avait émigré du Liban et de Syrie au cours des 50 années précédentes, attiré par l’accroissement de l’activité économique entraîné par l’arrivée d’immigrants juifs. Ces « émigrés de l’intérieur » se considéraient comme des Syriens – les Syriens aussi les considéraient comme tels –, et ces arabes de Palestine étaient enflammés à l’idée qu’une frontière, tracée par des puissances coloniales au milieu de leur patrie, puisse séparer les Syriens du Nord des Syriens du Sud – qu’on appellerait, dans les années 1960, « Palestiniens »…

***

Le 6 mai 2008, on pouvait lire ceci sur le site de la chaîne de télévision franco-allemande Arte :
« 60 ans d’Israël. Le 14 mai 1948 (!) l'ONU décida de créer l'Etat d’Israël – contre la volonté des Palestiniens (!!). Ce fut le début des conflits (!!!) au Proche-Orient. ARTE propose une programmation exceptionnelle à l'occasion des 60 ans de la création de l'Etat d'Israël. »
***

Sources :

Jacques Derogy & Hesi Carmel, Histoire secrète d'Israël, Olivier Orban, 1978.
Michel Gurfinkiel, Le Roman d’Israël, Editions du Rocher, 2008.
Steven Plaut, « How 'Nakba' Proves There's No Palestinian Nation », Front Page Magazine/The Jewish Press, 6 mai 2008.
« Moshe et Akram, les deux visages d’Israël », Nice-matin, 8 mai 2008.
Khaled Abu Toameh, « Jordan bans 'Nakba' commemorations », The Jerusalem Post, 10 mai 2008.
The Insitute of Current Affairs, The Crane-Rogers Foundation, icwa.org
Martin Kramer, « Ambition, Arabism, and George Antonius » in Arab Awakening and Islamic Revival: The Politics of Ideas in the Middle East, ed. Martin Kramer (New Brunswick: Transaction, 1996), martinkramer.org
George Antonius, Wikipedia.
Charles R. Crane, Wikipedia.
Arte, arte.tv

Illustrations :

To the Wall, copyright Alain Bellaïche.
Mobile, copyright Patrick Jelin.

samedi 3 mai 2008

Re-Déchirant




Associated Press consacre une de ses dépêches (New York, 1er mai 2008) aux difficultés de la classe moyenne américaine confrontée au ralentissement de l’économie et à l’inflation.

Extraits :

Aux prises avec des dettes qui s’accumulent et des prix qui grimpent… les Américains vendent leurs objets précieux, en ligne ou aux brocanteurs, à un rythme accéléré.
« Il ne s’agit pas de faire de la place mais de pouvoir payer l’essence », dit Nancy Baughman, fondatrice de eBizAuctions, site de vente aux enchères qu’elle anime depuis son garage de Raleigh (Caroline du Nord). Un de ses anciens clients... maintenant au chômage, a été obligé de se séparer de ses blousons Hermès, de ses jeans Versace et de ses chemises en soie…
Christine Hadley, 53 ans, infirmière à Reading (Pennsylvanie) explique qu’elle a toujours été une « folle de fringues », spécialement des sacs (coûteux) de Dooney & Bourke [catalogue :
http://www.dooney.com/]. Mais son petit ami l’a quittée l’année dernière et a elle a du mal à trouver du travail.
Un tas de factures impayées l’a forcée à vendre plus de 80 articles, les sacs y compris, qui sont partis pour plus de 1 000 $ sur AuctionPal.com…
« J’ai besoin de l’argent pour l’essentiel : payer mes factures et manger »…



*



Ce que Marti Tracy déteste le plus faire le dimanche ? Découper des coupons [de réduction]. Mais le mois dernier, cette habitante de Bowie [à 18 km de Washington DC] âgée de 34 ans a estimé qu’elle n’avait plus le choix. Elle avait déjà abandonné la viande « bio » et décidé de ne plus acheter du lait « bio » pour toute la famille mais seulement pour son fils de 2 ans.
Marti Tracy et son ‘partenaire’ ont aussi cessé d’acheter les céréales qu’ils aiment pour n’acheter que celles qui sont en promotion ; cessé d’acheter les jus de fruit, l’eau ou les biscuits d’apéritifs à l’unité, ce qui est pourtant bien pratique ; et, pour économiser l’essence, évitent d’aller dans plusieurs magasins. « C’est bien pénible, mais j’ai atteint le point critique », dit Marti Tracy, fonctionnaire spécialisée dans les ‘Ressources humaines’, qui attend un deuxième enfant. « Il est clair que je peux encore nourrir ma famille. Mais je ne peux pas la nourrir comme j’aimerais »…



*



Le 2 mai 2008, The Peninsula, quotidien anglophone du Qatar rapporte qu’une habitante de Doha, la capitale, vient d’être condamnée à mort pour avoir torturé à mort son employée de maison ; son mari, reconnu coupable de complicité, a été condamné à trois ans et demi de prison.
Appelée il y a quelques mois pour constater le ‘suicide’ de l’employée de maison, la police avait trouvé suspectes les marques que portait le cadavre – blessures, brûlures, ongle arraché –, et décidé d’interroger le couple et ses deux enfants.
Le fils de 5 ans a déclaré aux enquêteurs que sa mère avait l’habitude de battre la femme de ménage : « elle la battait tout le temps avec une canne en plastique, une corde ou un fer à repasser brûlant ».
Lors de son interrogatoire, le père, invité à confirmer le récit de son fils, a dit que son fils ne mentait pas, être lui-même au courant de ce qui se passait avec l’employée de maison mais qu’il ne pouvait rien faire : témoigner publiquement en sa faveur aurait provoqué la colère de sa propre famille…
Son épouse, quant à elle, a admis avoir frappé l’employée de maison parce qu’elle avait levé la main sur sa propre fille, volait la nourriture des enfants… et avait l’habitude de laver ses vêtements avant de laver ceux de la famille.
« Tout ça m’a forcée à la battre avec une canne en plastique et à l’inonder d’eau bouillante »…
Le rapport du médecin légiste, lu au cours de l’audience, précise que, lors de sa mort, l’employée de maison [dont la nationalité n’a pas été révélée], n’avait pas mangé depuis plusieurs jours et ne pesait que 39 kilos…
La condamnée a fait appel.



*



Sources :

James Taranto, « The World’s smallest Violin », Wall Street Journal, 1er mai 2008.
Anne d’Innocenzio, AP Business Writer, « Americans unload prized belongings to make ends meet », AP, 1er mai 2008.
Jane Black, Washington Post Staff Writer, « Clipping, Scrimping, Saving. Egg prices are up 35 percent, with milk and bread not far behind. Consumers are scrambling to find ways to cope », Washington Post, 1er mai 2008.
« Death penalty : court finds woman guilty of torturing maid », The Peninsula, 2 mai 2008.

Illustrations :

Art moderne, copyright Patrick Jelin.
Assouan, copyright Patrick Jelin.