mercredi 13 octobre 2010

Corroborations


On a récemment souligné dans cet espace [voir A rose is a rose is a rose…, mis en ligne le 10 mars 2010] l’existence d’un différend, et pas seulement d’une grosse divergence, entre Perses et Arabes à propos du détroit séparant l’Iran de la péninsule arabique et s’incarnant dans des dénominations concurrentielles : Golfe persique vs golfe arabique.

Dans « Arab League: The house is a mess », article publié par Al-Jazeera[1] le 9 octobre 2010, revenant sur la conférence de la Ligue arabe[2] qui s’est tenue le 8 octobre 2010 à Syrte (Lybie), et qui avait pour principal objet d’adopter une position commune à propos du futur des pourparlers de paix (!) entre Palestiniens et Israéliens » Hashem Ahelbarra reconnaît de façon très oblique que ce différend, sérieux, existe bel et bien mais il en déplace l’assise, le délocalisant dans ce qu’il appelle « la nature divisée de la Ligue », et tâche d’en faire une divergence « politique », c’est-à-dire pouvant éventuellement être résorbée au terme d’un dialogue – « musclé » au besoin.

Après avoir déploré que la position de la Lybie, la Syrie et le Yémen, qui estiment que « l’initiative de paix arabe[3] n’est plus d’actualité et que les Arabes devraient adopter une attitude plus ferme à propos de l’expansion des colonies en Cisjordanie » n’ait pas été retenue en raison de l’opposition de l’Arabie saoudite, de l’Egypte et de la Jordanie, qui estiment, elles, que la seule façon d’obtenir un soutien international pour l’effort de paix au Moyen-Orient, est d’inviter les Etats-Unis à jouer un rôle plus agressif, compte tenu de leur stature d’agent influent en faveur de la paix », laissant la place à une formulation – qu’il juge floue – mentionnant quelques alternatives – dont il laisse entendre qu’elles lui paraissent peu convaincantes – , Hashem Ahelbarra écrit :

« Mais c’est une proposition du charismatique (!) secrétaire de la Ligue arabe, Amr Moussa, qui a produit le plus d’étincelles. Amr Moussa est convaincu que la Ligue arabe devrait inviter des acteurs-clés de la région – principalement l’Iran et la Turquie – à prendre part aux sommets arabes et leur donner une voix quand il s’agit de certaines décisions d’intérêt commun.

La proposition a été tuée dans l’œuf. La Ligue arabe est composée de pays majoritairement sunnites, sceptiques à l’égard de l’Iran. L’Arabie saoudite, tout comme l’Egypte, a accusé l’Iran, à plusieurs reprises, de répandre le chiisme au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.

En 2009, le Maroc a rompu ses relations avec l’Iran après avoir porté la même accusation ».

Autrement dit, une proposition d'allure stratégico-politique du « charismatique (!) secrétaire de la Ligue arabe », proposition à la rationalité évidente sous un certain rapport, aurait été rejetée pour un motif à la rationalité plus fuyante, semblant indiquer que la Ligue arabe est plus un curieux chaudron dans lequel bouillonnent identités nationales, ethniques et religieuses que le lieu institutionnel de délibération politique que les « modernistes » la Lybie ? La Syrie ? Le Yémen ? Amr Moussa ? en son sein, et leurs champions, attendent qu’elle soit…

Reconnaissance oblique du sérieux et profond différend entre Perses et Arabes, par conséquent, équivalant à une dénégation : on constate en effet que la Turquie a disparu de la liste des acteurs, probablement afin de maintenir la supposée pertinence de l’opposition sunnisme/chiisme. Plus, Hashem Ahelbarra semble avoir une idée très élastique de ce que recouvre une dénomination déterminante dans le contexte, écrivant :

« Le sommet s’est ouvert en fanfare et s’est terminé avec peu de résultats. Mais en évitant les débats sérieux à propos de la réforme [de la Ligue], en se contenant d’émettre des communiqués et de créer des comités de suivi, la Ligue arabe pourrait bien suivre une voie dangereuse. Souffrant déjà d’un large déficit de crédibilité, elle risque d’aliéner encore plus des millions d’Arabes du Maroc à l’Arabie saoudite qui veulent voir du vrai travail et pas seulement des finasseries de détail ».

Millions de musulmans, certes, mais d'« arabes » ? Au Maroc, en Algérie, en Tunisie ? Au Soudan ?

Ce que Hashem Ahelbarra veut dire d’évidence, mais ne dit pas – de façon non pas délibérée, sans doute, mais parce que ce ne lui est « psychologiquement » pas possible, parce qu’il est pris dans le différend –, c’est : musulmans (péri-méditerranéens) arabes – le Perse n’est pas arabe, pas plus que le Turc, ou le Bosniaque, d’ailleurs...

Il y a donc différend entre Arabes et non Arabes (ne pas se laisser distraire par quelques alliances de circonstance impliquant la très duplice Syrie, par exemple) de la partie sud du bassin méditerranéen, se réclamant du même Livre, différend qui se lit/s’entend dans les à-peu-près du langage et s’incarne dans une « réalité » ethnique : autant dire un fantasme racialiste, surdéterminant et commandant le conflit d’apparence religieuse entre 2 branches opposées de l’Islam.

Déjà, la guerre Iran/Irak…

Observons que cette invitation à participer aux débats et à avoir « une voix quand il s’agit de certaines décisions d’intérêt commun » qui n’est pas venue de la Ligue arabe, le Perse l’a officiellement reçue du gouvernement libanais, lui donnant ainsi l’occasion d’inspecter ce qu’il estime être « sa » frontière avec Israël :

« Le président iranien, M. Mahmoud Ahmadinejad, a été accueilli [au Liban] mercredi 13 octobre [2010] par des milliers de Libanais – principalement des partisans du Hezbollah… »[4].

Rappelons aussi que les Etats-Unis ont décidé, il y peu, de vendre « 84 F-15 fighters, 70 hélicoptères Apache, 72 Black Hawk et 36 Little Bird à l’Arabie saoudite, l’équivalent du quart de la flotte actuelle du pays… et d’aider l’Arabie saoudite à améliorer son système de défense anti-missile… », rapporte le Telegraph, qui commente ainsi l’information :

« Le contrat va augmenter les craintes à propos de la militarisation des Etats du Golfe et du Moyen-Orient… en partie suscitée par le développement du programme nucléaire iranien… »[5].

Le différend persiste, s'aggrave même, et le chaudron bout.

*

Notes :

[1] Hashem Ahelbarra, « Arab League: The house is a mess », Al-Jazeera, 9 octobre 2010, http://blogs.aljazeera.net/africa/2010/10/09/arab-league-house-mess

[2] La Ligue arabe (officiellement la Ligue des États arabes), créée, avec le soutien du Royaume-Uni, le 22 mars 1945 au Caire par l'Égypte, l'Arabie saoudite, l'Irak, la Jordanie, le Liban, la Syrie et le Yémen du Nord pour affirmer l'unité de la « nation » arabe et l'indépendance de chacun de ses membres, compte aujourd’hui 22 membres : outre les membres fondateurs, la Lybie, le Soudan, le Maroc, la Tunisie, le Koweït, l’Algérie, le Bahrein, le Qatar, les Emirats arabes unis, le sultanat d’Oman, la Mauritanie, la Somalie, Djibouti, Comores, la Palestine (??).

Les 22 pays membres de la Ligue arabe sont également membres de l’Organisation de la conférence islamique. D’après Wikipedia.

[3] L’Initiative de paix arabe’ a été dévoilée au Sommet de la Ligue arabe 2002 de Beyrouth par S.A Royale le prince Abdallah ben Abdelaziz Al Saoud, Prince héritier du Royaume d’Arabie saoudite (devenu roi en 2005) et confirmée au Sommet de la Ligue arabe 2007 de Riyadh.

Elle demande notamment à Israël :

(a) de se retirer intégralement des territoires arabes occupés, y compris le Golan syrien, jusqu’à la ligne du 4 juin 1967, et des territoires du Sud-Liban qui sont encore occupés (?) ;

(b) de parvenir à une solution juste et agréée au problème des réfugiés palestiniens conformément à la Résolution 194 (III) de l’Assemblée générale des Nations unies ;

(c) d’accepter la création d’un État palestinien indépendant et souverain dans les territoires palestiniens occupés depuis le 4 juin 1967 en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, avec pour capitale Jérusalem-Est ;

[… De son côté, la Ligue arabe] s’engage alors à ce que les États arabes :

(a) considèrent que le conflit israélo-arabe a pris fin et participent à un accord de paix entre eux et Israël tout en assurant la sécurité de tous les États de la région ;

(b) établissent des relations normales avec Israël dans le contexte de cette paix globale ;

[… La Ligue arabe] garantit le rejet de toutes les formes de réinstallation (?) de Palestiniens qui [seraient incompatibles] avec la situation particulière dans les pays d’accueil arabes (??) ;

[… La Ligue arabe] exhorte le gouvernement israélien et tous les Israéliens à accepter l’initiative susmentionnée afin de sauvegarder les perspectives de paix et éviter toute nouvelle effusion de sang, permettant ainsi aux États arabes et à Israël de vivre côte à côte dans la paix et assurant aux générations à venir un avenir sûr dans lequel la stabilité et la prospérité pourront régner… » D’après Wikipedia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Initiative_de_paix_arabe, et Réseau Voltaire, http://www.voltairenet.org/article11390.html

[4] Avi Issacharoff, Amos Harel and The Associated Press, « Ahmadinejad welcomed by thousands in Lebanon », Ha’aretz, 13 octobre 2010, http://www.haaretz.com/print-edition/news/ahmadinejad-welcomed-by-thousands-in-lebanon-1.318751

[5] Alex Spillius, « US secures record $60 billion arms sale to Saudi Arabia », Telegraph, 13 septembre 2010.

Désillustration :

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