lundi 23 août 2010

Ecrit au soleil 3


On tenait là l'indication d'un glissement littéraire vers le thème du corps, qui sera au centre de l'inspiration de la postérité « méditerranéiste », le mouvement littéraire qui prendra progressivement la suite, mais pas tout à fait la place, de l'Algérianisme.

Dérives

Plusieurs livres avaient glorifié la Méditerranée, depuis le début du siècle : représentations plaisantes entre le pastel et la carte postale, faites de sensualité légère et d'insouciance. Mais, progressivement, le « sens » de ce motif de dépliant touristique (qui plaisait tant aux métropolitains[1]) va évoluer et se développer : la Méditerranée se verra promue au rang d'inspiratrice centrale, et deviendra fort dénominateur idéologique et littéraire, vers la fin des années 1930.

De la terre à la mer, le glissement marque un changement assez net de préoccupations par rapport à l'Algérianisme. Nouveau « héros », le corps des émotions va relayer le corps du labeur et de l'effort.

Dans l'ombre de la littérature pionnière, cependant, quelques femmes perspicaces avaient anticipé. Elles savaient que le thème du corps est profondément ambivalent : qu'il n'est pas seulement potentiel de convivialité ou de plaisirs, comme le pensent les enthousiastes et les rêveurs inspirés... Les combinaisons humaines concrètes (alliances, mariages, amitiés) dans lesquelles il entre pour sa production/reproduction sont parfois fragiles, ou bien sources de déstabilisation : la « chimie sociale » est toujours complexe, demande des dosages de subtilité, délicatesse et doigté, encore plus en terre de conquête, vulnérable.

Plusieurs femmes l'ont senti, ont su s'en aviser : on leur doit l'affirmation d'une écriture inquiète et intuitive, féminine par ses choix. Les Juives, fortes de leur nouvelle nationalité, se préoccupaient de faire connaître et réhabiliter leur communauté ; ces femmes-là se souciaient d'établir leur statut social — de femmes et de Françaises en Algérie : il est assez révélateur qu'elles l'aient fait de biais, par comparaison avec la femme algérienne musulmane, sur laquelle elles ont choisi de se pencher.

Laissant à d'autres femmes le soin d'épauler les hommes en marchant sur leurs pas (Anna Colnat, avec Virginie Duparc, terrienne d'Algérie, Lucienne Jean-Darrouy, avec Le Mariage de Mlle Centhectares, par exemple), elles ont préféré, plus modestement, traiter du quotidien, et notamment du mariage mixte : Magali Boisnard, Maâdith, L'Enfant taciturne ; Jeanne Faure-Sardet, Deux femmes, Hélia, une Française en Algérie ; Lucienne Favre, Orientale 1930. Marie Bugéja (Nos sœurs musulmanes, Visions d'Algérie, Séduction orientale, etc.) soutenait, pour sa part, qu'il valait mieux, pour les musulmans, se marier avec des jeunes filles musulmanes (élevées dans le vif des traditions), plutôt qu'avec des étrangères...

Thèse rétrospectivement peu exaltante, mais qui avait l'indéniable mérite de la sagesse pragmatique. La suite n'a que trop prouvé que le volontarisme était risqué dans le domaine des mœurs, que les obstacles à l'assimilation n'étaient pas seulement politiques, que la psychologie des « partenaires » était prépondérante en la matière...

C'était prendre acte d'une sorte de limite intérieure à l'homogénéisation de l'ensemble social disparate, suggérer que la tentative d'affirmer l'identité nouvelle de l'Algérie par la langue et la terre était dans une impasse, qu'elle butait sur la question de la nationalité « algérienne »[2] : quelque chose, en effet, faisait limite, résistait aux perspectives d'unification par l'imaginaire néo-berbère de Louis Bertrand, quelque opacité des corps incertains colons/francisés/colonisés/non assimilés), au creux de leur intériorité culturelle, peut-être religieuse et « raciale »[3].

Au-delà, la littérature ne pouvait que céder le pas à la politique : elle peut proposer, et elle ne s'en est pas privée, mais il ne lui appartient pas de disposer... Partant, vouloir persister dans sa vocation qui est d'offrir une aire de jeu à l'imagination, la conduisait à délaisser ce qu'elle avait contribué à éclairer pour ses lecteurs, et à changer de cadre. Mais se détourner d'une résistance ou d'une opacité comme thèmes, c'est souvent se condamner à les voir revenir comme événements (infiniment moins malléables) dans la réalité... Le Parti Populaire Algérien de Messali Hadj avait mis l'indépendance à son programme dès juillet 1937[4].

Dans cet « évitement », le thème de la terre d'appel perd de sa vigueur et de son attrait, en s'intériorisant : perspective proposée, espace à conquérir, il s'est transformé en acquis. Devenu donnée et point de départ de la génération montante, il va infiltrer l'écriture comme son élément naturel, se mêler à sa substance comme sa marque propre : il fera, désormais, l'unité de ton de la littérature « pied-noir », son commun implicite.

Dans ce mouvement de bascule, l'attention littéraire, autrefois explicitement tournée vers la terre, va se trouver libérée. Et, se détournant progressivement de l'Afrique, blanche et noire, elle va se laisser séduire par la mer... Autre façon de revenir aux origines : le Romain païen, le Numide chrétien, ainsi que la puissance assoupie des hérétiques antiques vont être remplacés par la Méditerranée et les Grecs vagabonds, mâtinés de Phéniciens hâbleurs.

La guerre de 39-45 retardera quelque peu la concrétisation de cette évolution, mais finira par l'amplifier de façon décisive : la transformation d'Alger en capitale de la France Libre (lieu d’affrontement entre les partisans du général Giraud et ceux du général de Gaulle), où se retrouvent nombre de politiques, de réfugiés et d'écrivains repliés avait favorisé la circulation des idées et des goûts, en même temps qu'elle rapprochait provisoirement dans la communauté de l'épreuve. L'après-guerre fera le reste, et accentuera la délocalisation — annonçant la dispersion ? Et, tout en se donnant les signes formels d'une maturité atteinte et d'une élection de résidence définitive, tels que maisons d'éditions (Edmond Charlot, ami des peintres, libraire et éditeur de la France libre, de Giono, de Camus, de Roblès, de Fréminville ; Fontana, Baconnier, Fouque, etc.) et revues (Rivages d'E. Charlot, Fontaine de Max-Pol Fouchet, L'Arche de Jean Amrouche et Jacques Lassaigne, La Nef, Soleil, Simoun, etc.), les Méditerranéistes vont prendre le large : au sens propre, s'installant hors d'Algérie ; au sens figuré pour, déplaçant le théâtre des actions comme au XVIIIe siècle, mieux voir les choses et les êtres les plus proches, les plus familiers. L'édification de solides fondations, la délimitation de frontières sûres, laisse la place aux recommencements des voyages et à l'expérience de la démesure — Sisyphe et Caligula...

Le soleil que craignent les élégantes (!), qui favorise les cultures et récompense le labeur va (re)devenir le soleil qui aveugle et rend fou. Ambivalence tragique. La nouvelle sensibilité littéraire y fait droit, interrogeant le monde et le sens de notre présence, avec inquiétude : l'humanité peut se dévoyer, on l'a appris de ces millions de morts récentes de la grande guerre ; l'espace peut perdre son assise, la terre être frappée d'amnésie, le temps perdre la superbe continuité de la conquête et basculer dans le fragile. Le déchirement intérieur, la guerre intestine, n'est pas loin.

L'Ecole d'Alger (selon une expression de Gabriel Audisio) saura éloquemment rendre ces tensions, ces ruptures, le bonheur, la précarité et l'opacité insondable des passions, mais elle aura assez grand mal à comprendre la revendication nationale des « rebelles » algériens :

— Albert Camus, prix Nobel écartelé, qui meurt dans un accident de voiture (en compagnie de l'éditeur Gallimard), au moment où lui manquent les mots pour dire le drame qui meurtrit sa chair et son pays, qui étaient presque une même chose — sa mère, tout de même[5]... Noces, L'Etranger, Le Mythe de Sisyphe, La Peste, Le Malentendu, Caligula, L'Exil et le Royaume, etc. La liste est trop connue de ces œuvres où le sens est présent sur le mode du défaut – l’absurde… –, où le désarroi des êtres rend les choses étranges, où la parole des autres vient trop tard pour arrêter la chute, où l'intolérable silence, enfin, ne cesse de faire parler sans que l'obscurité se dissipe pour autant, dans la hâte de rire avant que de pleurer ;

— Emmanuel Roblès, l'« Espagnol », qui connaît la grandeur et la servitude du soleil et de l'ombre, la noblesse du devoir, la folie et la noirceur des hommes. L'Action, La Vallée du Paradis, Nuits sur le monde, Montserrat, Cela s'appelle l'aurore, Les Hauteurs de la ville, etc. Il a eu le Grand Prix littéraire de l'Algérie, le prix Fémina et le Concourt ;

— Gabriel Audisio, le poète venu de Marseille : Hommes au soleil, Jeunesse de la Méditerranée, Le Sel de la mer, Ulysse ou l'intelligence, Le Hautbois d'amour, Antée, etc. Contre la terre, il avait choisi la mer pour patrie, et la voulait oublieuse des frontières ;

— Jean Grenier, professeur au lycée Bugeaud (Albert Camus lui dédiera son discours d’acceptation du prix Nobel de littérature) : Iles, Inspirations méditerranéennes ;

— Claude de Fréminville : Poèmes 1936-1942, Méditerranée, Bufioz ;

— Jean Bogliolo, élève de Jean Grenier : Broussailles, Les Nouveaux Débarqués, L’Algérie de papa, Petit Jésus de Bab-el-Oued ;

— Jean Pélégri : L'Embarquement du lundi, Les Oliviers de la justice ;

— Jules Roy, militaire puis écrivain qui aura le prix Renaudot, le Grand Prix littéraire de Monaco et le grand prix de littérature de l’Académie française : Ciel et terre, La Vallée heureuse, Le Navigateur, La Femme infidèle, La Guerre d'Algérie ;

— René-Jean Clôt : Fantômes au soleil, Empreintes dans le sel, Le Poil de la bête ;

— Jean Senac, le poète, qui rompra avec Camus, tranchera douloureusement le problème de l'identité, en optant tôt pour la « nation algérienne » mais en ne sollicitant pas la nationalité algérienne après l'indépendance, et mourra assassiné en 1973 dans son pays de choix — on ne sait toujours pas par qui : Matinale de mon peuple.

Il y en a eu beaucoup d'autres, qui ne relevaient pas tous de cette inspiration, ou bien, pas au même titre : Paul Bellat, René Cathala, André Rosfelder, Jean-Pierre Millecam, Evelyne Stumph, Roger Curel (frère d’André Rosfelder), Jean Brune, par exemple ; il n'est pas possible de les citer tous, mais tous, ils ont raconté la saveur du jour et les ombres du soleil nord-africain, les joies et les incertitudes, les difficultés et les petites satisfactions ; par-dessus tout, ils ont transmis la sensation aiguë du provisoire (et à cela, même la maladresse d'expression peut contribuer), la montée et la force des frustrations et des raidissements dans le sillage de la quiétude coloniale. Ils la savaient menacée. Certains s'en réjouissaient, d'autres le redoutaient ; mais, tous, ils souffriront quand le feu de la guerre intérieure, monstrueuse auto-chirurgie, entreprendra de séparer sans anesthésie, des chairs, des mots, des souvenirs, des travaux, des plaisirs et des pleurs inextricablement mêlés, malgré les divisions et les haines : Cette haine qui ressemble à l'amour(Jean Brune, 1961), C'étaient nos frères (maréchal Juin, 1962), deux « romans ».

Final

Restituer un mouvement, avec ses divergences, rappeler des éléments significatifs, fixer des images et des idées, proposer des noms propres (d'auteurs, d'œuvres) comme repères, telle était l'ambition, limitée, de cet article : on réclame beaucoup d'indulgence pour les inévitables lacunes, oublis (et d'abord, les écrivains « algériens », musulmans ou pas, d'expression française), et simplifications.

Ce mouvement s'est, d'une certaine façon, brisé net. Bien sûr, les auteurs évoqués continueront de produire après l'indépendance de l'Algérie, mais dans une dimension radicalement différente pour l’écrasante majorité d’entre eux : celle de l'exil contraint (et, pour certains, redoublé par la politique), c'est-à-dire dans l'absence définitive de leur terre de référence.

Entre parler ou se taire, entre langue et pays, il avait « fallu » choisir son lieu, dramatiquement : pour faire son nécessaire travail de deuil, pour que l'écriture ait une suite.

La littérature « pied-noir » allait vers ce destin, elle n'était pas sans le pressentir, et c'est dans cette lumière singulière qui l'éclaire rétrospectivement, qu'elle nous apparaît, désormais, dotée d'un supplément de sens qui la fixe et la surdétermine.

Vingt ans après, il est devenu difficile de l'apprécier selon la seule esthétique mais il serait injuste de ne pas le faire[6]...


Indications bibliographiques :

Jean Déjeux, La Poésie algérienne de 1630 à nos jours, Paris, Mouton, 1963 ; Bibliographie de la littérature « algérienne » des Français, Paris, C.N.R.S., 1978 ; La Littérature algérienne contemporaine, Paris, P.U.F. collection « Que Sais-je ? » n° 1604. — Gabriel Audisio, Les Écrivains algériens, « Visages de l'Algérie », Paris, Horizons de France, 1953. — Jean Pomier, Chronique d'Alger (1910-1957) ou le temps des algérianistes, Paris, La Pensée Universelle, 1972.


Notes :

[1] Mystérieuse puissance de la littérature et des images qu’elle propage… Le ressentiment à l’égard des Pieds-Noirs des métropolitains — qui ont parcouru le « dépliant touristique » ou en ont entendu parler et qui y ont volontiers cru — n’en sera que plus grand quand, la 2e guerre mondiale finie, ils compareront leur sort pendant l’Occupation avec celui, tenu pour bien moins inconfortable, de leurs compatriotes d’outre-Méditerranée – qui auront vu, eux, débarquer les Alliés dès 1942.

Outre cela, et plus souterrainement, en répudiant massivement l’Algérie française le jour venu, donc les Pieds-Noirs — tous identifiés à de gros propriétaires terriens uniquement préoccupés de faire « suer le burnous » (!) —, nombre de métropolitains, ployant encore sous le poids de leur embarrassant amour pour le maréchal Pétain, tardivement transféré sur un général de Gaulle qui les avait absous, contre toute attente, à la Libération, s’emploieraient à leur faire porter presque tout le poids du pétainisme, que leur patriotisme renouvelé, leur attachement à la terre et aux valeurs traditionnelles avaient « naturellement », pour un imaginaire collectif en mal de défausse, rapproché des thèmes de la propagande de Vichy — ce qui était certainement vrai pour beaucoup mais pas pour tous. Une des raisons pour lesquelles les rapatriés ont été si bien accueillis à leur « retour »… [Ajouté en août 2010]

[2] Question qui n’avait jamais émergé du temps de la domination ottomane (orientale ? musulmane ?) mais que la présence française (occidentale ? chrétienne ?) avait fait venir au jour et, probablement, suscitée… [Ajouté en août 2010]

[3] Les guillemets sont là pour indiquer qu’il s’agit de fantasmes et de représentations plus que de douteuse « biologie » : ainsi, les harkis, « indigènes » musulmans ayant choisi la France, seront violemment combattus par les indépendantistes algériens, laissés sans protection au moment du retrait des troupes françaises au lendemain de l’indépendance de l’Algérie et massacrés par milliers par les vainqueurs ; ceux qui auront réussi à s’échapper et à passer en France seront très mal accueillis et parqués dans des conditions scandaleuses, comme on sait ou devrait savoir [Ajouté en août 2010].

[4] Peu avant, en janvier 1937, les 300 maires d'Algérie, réunis en congrès en Alger s’étaient prononcés à l'unanimité contre le timide projet de loi Blum-Violette, « visant à ce que 20 000 à 25 000 musulmans puissent devenir citoyens français tout en gardant leur statut personnel lié à la religion », estimant « que le corps électoral français (!) pourrait se retrouver en minorité dans certaines communes algériennes, ce qui donnerait comme résultat l'accession d'un maire et d'un conseil municipal musulman (!!) dans ces mairies, ce qui pourrait mettre en danger selon eux, la souveraineté française (!!!) dans ce pays… ». Quant à Messali Hadj, il était lui aussi hostile à ce projet, mais pour des raisons diamétralement opposées, « y [voyant] un nouvel instrument du colonialisme, appelé, selon les méthodes habituelles de la France, à diviser le peuple algérien (?), en séparant l'élite de la masse ». D’après Wikipédia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Projet_Blum-Viollette, qui cite Charles-André Julien, L'Afrique du Nord en marche, Paris, Omnibus, 2002 (rééd.), pp.113-114. Camus, lui, avait signé l’année précédente une série de reportages, effectués pour le journal Alger républicain, intitulée La grande misère de la Kabylie, ce qui lui avait valu quelques problèmes avec les autorités… [Ajouté en août 2010]

[5] Voir, dans cet espace, « Un rendez-vous manqué : Camus et la phénoménologie », mis en ligne le 7 juillet 2009.

[6] Cinquante ans après, il se confirme que les premiers écrivains pieds-noirs ou assimilés, trop centrés sur leur terroir en grand bouleversement ont, pour l’essentiel, raté les révolutions esthétiques (expressionisme, dada, surréalisme, etc.) que connaissait au même moment la métropole, et que les auteurs peu connus ou inconnus d’alors le sont quasiment tous restés : même les plus en vue ont rapidement connu l’oubli. Ceux qui leur ont succédé, d’avoir le regard plus panoramique, n’ont pas eu la même infortune en partage, et si leur origine « pied-noir » est généralement connue, leur œuvre ne souffre pas d’être cataloguée comme telle.

Néanmoins, faisant un pas de côté pour considérer l’ensemble sous un autre angle, on ne peut qu’être frappé par ceci : en inventant, sous le coup d’une énigmatique visitation-révélation, un paradigme esthétique-culturel au sens (élargi) de l’épistémologue américain Thomas Kuhn (1922-1996), une fenêtre au travers de laquelle regarder/voir ce qui est à tenir pour vrai — car c’est bien à ça que revient l’invention fantasmatique de l’Algérie latine, puissante construction paranoïaque —, Louis Bertrand se met en position (et tous ceux, quelle que soit leur qualité ou « capacité », qui adoptent ce paradigme, mieux, se laissent dessaisir par lui, c’est-à-dire font comme s’ils l’attendaient et acceptaient par avance que leurs actions et pensées fussent prescrites par lui) de produire un récit fortement persuasif, donc de l’histoire et du politique ; du concret, par conséquent, et pas seulement de l’art – du moins si, négligeant l’inquiétante leçon de Nietzsche réfléchissant au pouvoir de manipulation des affects, à la capacité à capter/convaincre des opéras de Wagner, par exemple, on continue de s’en faire une conception « agrément/distraction/idéalisation »…

Oblitération d’une part du réel, certes, entrainant hyper-activité et activisme — car les premiers colons sont courageux et durs à la peine — mais aussi certitude de passion folle et de complaisance totalitariste, de part et d’autre de la « frontière » ainsi instituée entre colons et colonisés, le jour où le déni de réalité ne tiendrait plus devant la soudaine émergence de ce qui avait été non refoulé mais forclos — parce qu’il n’y a jamais eu de pays « Algérie » (il suffit de regarder une carte et de s’arrêter au tracé épuré de l’incroyable frontière sud pour s’en convaincre) ni de nation algérienne « indigène » du temps du Turc mais des groupes ethniques distincts coexistant tant bien que mal. Du même geste, mise en évidence de l’« Islam » comme d’un problème « politique » majeur dans l’Algérie en devenir français, ce que très peu aperçoivent fin XIXe-début XXe siècles.

L’« Islam », non comme foi commandant une religion, dont les textes seraient suivis avec plus ou moins de fidélité sous le contrôle de prêtres et théologiens autorisés, mais ce pour quoi il vaut pour le plus grand nombre, ce qui est le lot de toutes les religions, monothéistes ou pas, qu’il le pratique ou pas : condensation complexe d’ethnie, de généalogie de groupe ou familiale, de coutumes (y compris culinaires), de langue, de récits folkloriques par conséquent, pouvant varier d’une région à l’autre (et soutenir d’éventuelles et fortes incompatibilités, pouvant aller jusqu’à la franche hostilité, entre des individus se référant pourtant à la même Révélation) et d’identifications imaginaires. L’« Islam » comme signifiant opaque même à ceux qui s’en réclament, c'est la règle pour toute religion, comme obstacle à l’assimilation « civique » — les politiques et militaires français partisans de la colonisation sont plutôt assimilationnistes au XIXe et au début du XXe siècles —, non seulement du point de vue des ultras de l’Algérie française mais aussi, mais surtout comme ce qui serait un jour le « lieu » où l’identité de l’Algérie indépendante se chercherait, le tiers-mondisme laïque puis l’« Arabité » n’ayant pas vraiment marché, ou bien comme l’obstacle qui empêcherait son unité sereine de se faire, comme l’épouvantable guerre civile qui vient de s’y dérouler nous l’a montré…

Troublant. [Ajouté en août 2010]



Ecrit au soleil © copyright 1982-2010 Richard Zrehen


vendredi 20 août 2010

ECRIT AU SOLEIL 2


Cela montre qu'au temps des commencements, où il s'agit avant tout de savoir « qui parle ? », il ne va pas de soi que la littérature soit perspective, divertissement ou franche fiction : ni pour les auteurs ni pour les lecteurs. Elle serait plus proche du reportage « romancé » ou de la chronique « réaliste ». Et les dangers, inévitables quand n'est pas sensible la dimension littéraire, qui est essentiellement distance, sont grands : la littérature est affaire d'esthétique ; elle n'est pas censée être consensuelle ni prouver la justesse ou la véracité de ses arguments...


La « vision » enthousiaste et prophétique de L. Bertrand, va vite être partagée, reprise, explorée, détaillée, remaniée avec une plus ou moins grande inspiration, par un grand nombre d'écrivains (notamment : C. Hagel, R. Hughes, L. Lecoq, J. Pomier, R. Randau, A. Rousse), qui y ont reconnu un « espace » qu'ils pouvaient occuper selon leur inclination propre : d'autant plus solidement que pouvait s'y fonder leur légitimité d'écrivains français d'Algérie. Un « espace » à leur intention, à leur dimension, dans la langue nouvellement importée sur cette terre, désormais en voie de s'enraciner : l'Algérianisme.

Pour d'autres écrivains, Juifs d'Algérie, les choses s'étaient présentées plus « naturellement », parce que leur présence sur le sol algérien n’avait pas à être pareillement justifiée... Appartenant à une communauté nombreuse, composite certes (aux descendants des contemporains de la présence romaine et des populations locales qu’ils avaient converties s'étaient mêlés, bien plus tard, les héritiers des expulsés de la péninsule ibérique, eux-mêmes originaires du Maghreb pour la plupart) mais fortement cimentée par une tradition culturelle-religieuse vivace, ils souffraient de la marginalité dans laquelle les contenaient non tant les pouvoirs d'avant la conquête[1] que leurs voisins musulmans : certains Juifs éminents pouvaient bien être distingués, les relations entre individus pouvaient ici ou là être très bonnes, mais la communauté dans son ensemble était généralement méprisée et soumise à nombre de petites vexations.

L'arabe maghrébin, que les Juifs partageaient avec d'autres « indigènes », étant la langue de l'humiliation ordinaire en même temps que celle des relations de bon voisinage (!), c'est en français (langue pour laquelle ils auraient vite une dévotion) qu'ils tenteraient de faire connaître et reconnaître une identité collective dont ils avaient fortement conscience : bien avant le décret Crémieux[2] qui allait les faire citoyens français en 1870, ils aimaient déjà la France de 1789, qui avait déclaré l'universalité des Droits de l'homme et émancipé « ses » Juifs.

Littérature, encore, mais de forte teinture ethnique. C'est avec le souci des formes que ces Français de fraîche date, que l'émancipation était venue « libérer » où ils étaient, ont entrepris de se présenter à leurs concitoyens, qui n'étaient pas toujours bien disposés à l'égard de ces nouveaux promus[3] : dans leur langue, avec bonheur et espérance, en racontant leurs songes, mais aussi le quotidien ordinaire.

L’oranais Saadia Lévy (1875-1951), qui s’installera bientôt en France où son salon littéraire sera fréquenté, entre autres, par Guillaume Apollinaire et Max Jacob, publie en 1896 le premier roman juif du Maghreb, Rabbin, écrit en collaboration avec R. Randau ; roman étonnant, qui raconte l’« occidentalisation tragique » d’un jeune rabbin de Tétouan (Maroc) devenu commerçant à Sidi-Bel-Abbès (Algérie)... Des voix féminines, signe d’émancipation, en profitent pour se faire entendre : la constantinoise Maximilienne Heller (qui recevra le Grand Prix littéraire de l’Algérie en 1923), Elissa Rhaïs (Les Juifs ou la Fille d'Éléazar, Le Mariage de Hanifa), par exemple.

Convergences

Dès 1910, des écrivains se réunissaient pour prendre acte de leurs affinités ou, pour mieux dire, de leur proximité « théorique », en vue de l'officialiser. Mais c'est dans la pratique même, dans l'écriture, qu'allait se trouver confirmée cette unité de vues, cette parenté dans la sensibilité : elle trouvera une forme d'aboutissement dans la fondation, retardée par la faute de la Grande Guerre (qui aura, au moins, l'excuse de ramener l'Alsace et la Lorraine dans le giron de la France, « libérant » ainsi l'imaginaire pied-noir de sa tutelle morale[4]), de l'Association des Ecrivains Algériens[5], et la création parallèle du Grand Prix littéraire de l'Algérie, en 1921, par le poète, écrivain et haut fonctionnaire toulousain Jean Pomier).

L'année précédente, une préface remarquée avait donné une sorte de coup d'envoi au mouvement algérianiste : présentant le recueil Treize poètes africains (c'est-à-dire algériens)[6], Robert Randau (pseudonyme de R. Arnaud[7]), lié d’amitié avec Jean Pomier, livrait, en fait, un Manifeste.

Avec cet ensemble de pièces (pourtant proches du Parnasse parisien), il ne s'agissait de rien de moins, disait-il, que de donner corps et contour à l'idée du « jeune peuple franco-berbère » qui serait issu de la « prise » de la langue française dans le sol algérien, de le faire exister, en quelque sorte ; de rendre sensible la tonalité de son âme. Tâche nécessaire à l'affirmation d'une singularité tangible, gage de l'émancipation culturelle proclamée.

Ce qui caractérisait le mieux cette poésie, selon Randau, était la sensualité de l'expression, l'amour des mots sonores, la musique barbare et la volupté luxuriante. Traits qui lui rappelaient le style et l'inspiration d'Apulée[8], de saint Augustin aussi, et qu'il tenait pour le signe clair d'une continuité rétablie, par-dessus les temps, avec la spiritualité antique.

On voit que R. Randau, né en Algérie (il y mourra), a fait sienne la conviction de L. Bertrand : il soutient, lui aussi, que les anciens conquérants arabes ont été « digérés » par une Berbérie inentamée et vigoureuse, et cette « préface », qui prolonge certains de ses romans, lui permet d'en donner quelques « preuves » et illustrations.

Et Louis Bertrand d'applaudir, en écho.

Préfaçant, à son tour, une anthologie proposée en 1925, Notre Afrique[9], il dit sa joie de voir cela même qu'il appelait de ses vœux : l'assomption d'une vocation, la prise de conscience d'une « race »[10] préludant à la résurrection de l'Afrique latine. Et de surenchérir sur les voisinages et apparentements de style, soulignés à l'envi par Randau, entre les formes anciennes et les productions modernes : même sens de l'argumentation et de la construction, même tentation de l'excès, de la flamboyance et de la démesure, même orgueil dans l'affirmation de soi, dans la fidélité jurée et la tâche entreprise ; même conscience claire, enfin, de l'hostilité, des hommes comme de la nature, et de sa force — qui rend paradoxalement joyeux et grave, parce qu'elle est justement proportionnée à la valeur du combat.

Plusieurs personnalités émergeront du mouvement algérianiste, avec des œuvres qui relèvent de la littérature « à programme », comme on le disait de la musique, en ce début de XXe siècle :

— Robert Randau, que son passé d'explorateur en Afrique, sa qualité d'administrateur et ses bonnes relations en métropole désignaient à l'attention. Ses romans « algériens » (il a aussi écrit sur l'Afrique noire) campent des hommes dans lesquels il voulait se reconnaître, ou dont il se voulait proche, qui parlent cru et agissent franchement : Les Colons, Les Algérianistes (1911), Cassard le Berbère, Diko, frère de la côte. En 1936, année d'agitation en France comme en Algérie, il écrit un roman curieusement prémonitoire, Le Professeur Martin, petit bourgeois d'Alger, où la prescience de l'écrivain relaie avec acuité le flair de l'administrateur : son héros, partageant l'inquiétude exprimée par L. Bertrand[11], a lui aussi la révélation d'une force indomptée, qui guette patiemment le moment propice ; le professeur Martin redoute que la Berbérie n'ait pas vraiment « assimilé » ses envahisseurs[12]... — privilège de l'artiste qui sent avant de savoir.

— Louis Lecoq, le premier président de l'A.E.A. On lui doit des romans de « genre » qui dépeignent des types d'hommes et les comportements qu'ils ont en partage : Broumtiche et le Kabyle (écrit en collaboration avec C. Hagel), Cinq dans ton œil, Soleil, Pascualète l'Algérien, etc.

— Stéphane Chasseray, qui se détourne de la ville et s'attache à rendre la saveur de la vie rurale : Récits de l'oued Mehlouf, Histoires de l'oued Mehlouf, etc.

— Albert Truphémus, ancien inspecteur d'école primaire ; venu de métropole avant la Grande Guerre, il prendra sa retraite en Algérie. Homme ouvert, au regard « aiguisé », il dispose d'un appréciable recul, qu'il doit essentiellement à son état de transféré récent ; de plus, il se veut « impartial et rigoureux », comme il convient que soit un vrai produit de l'école républicaine et laïque... Il fera, dans L'Hôtel du Sersou (1930), sorte de condensé de la société coloniale, un portrait de « famille » sans complaisance, où beaucoup ont cru se reconnaître, avec irritation. Pour cela précisément, et non pas pour ses éventuelles faiblesses d'écriture, ce roman discordant sera mal reçu : accueil qui confirme que le désir d'identification primait alors, chez les lecteurs, sur le plaisir esthétique ; que la « vérité » de l'histoire racontée retenait plus que l'art avec lequel elle était rendue.

Cinq ans plus tard, A. Truphémus donnera une manière de pendant (prémonitoire à sa façon) à C. Courtin qui, dans La Brousse qui mangea l'homme (histoire d'un colon rejeté par la nature qu'il essaye de dominer), avait montré combien la prise de possession d'un sol rebelle pouvait être périlleuse pour l'intrus : il montrera, pour sa part, que venir « habiter une langue », donc des gestes et des coutumes, n'était pas moins risqué. Et son héros, Ferhat, instituteur indigène, qui « passe » au(x) Français, finira par mettre fin à ses jours parce qu'il ne sait plus où ni comment se situer : par rapport aux siens qui s'éloignent, à ceux de son choix qui restent distants, à lui-même enfin, qui se perd.

— Ferdinand Duchêne, curieux des us et traditions locaux. On lui doit un important cycle de « Barbaresques » : Au pas lent des caravanes, La Rekba, Le Berger d'Akfadou, etc. On lui doit également des ouvrages d'inspiration plus directement sociologique : dans Ceux d'Algérie, il distingue entre les Algériens (par quoi il entend, comme tout le monde ou presque jusqu’en 1962, les Européens d'origine), les indigènes (c'est-à-dire les musulmans) et les Juifs. Groupes aux frontières pas toujours précises, qu'il essaiera de saisir au plus près de leur spécificité en les abordant, non sans quelque intuition fine, par le biais de leurs manières de table. Ainsi décrira-t-il, dans Mouna, cachir et couscous, les composants sympathiques d'un possible registre d'identification collective pour ces différentes populations : en deçà de la langue, dans l'intimité culturelle et matérielle de la nourriture. Registre concret, riche d'occasions d'échange, de partage et d'intégration : on a appris à connaître, depuis, la durable fortune du couscous !

On tenait là l'indication d'un glissement littéraire vers le thème du corps, qui sera au centre de l'inspiration de la postérité « méditerranéiste », le mouvement littéraire qui prendra progressivement la suite, mais pas tout à fait la place, de l'Algérianisme.


A suivre…

Notes :

[1] Le Turc qui régnait sur l’Algérie, n’avait-il pas accueilli avec enthousiasme les expulsés d’Espagne et du Portugal ? [Ajouté en août 2010].

[2] « Le décret Crémieux [nommé d’après Isaac-Jacob Crémieux, dit Adolphe Crémieux (1796-1880), avocat, plusieurs fois député, plusieurs fois ministre de la Justice, président du Consistoire central et de l’Alliance israélite universelle]… désigne les décrets no 136 et no 137, du 24 octobre 1870... Le décret no 136 accorde d'office la citoyenneté française aux 35 000 Juifs d’Algérie en ces termes : ‘‘ Les israélites indigènes des départements de l'Algérie sont déclarés citoyens français ; en conséquence, leur statut réel et leur statut personnel seront, à compter de la promulgation du présent décret, réglés par la loi française, tous droits acquis jusqu'à ce jour restant inviolables. Toute disposition législative, tout sénatus-consulte, décret, règlement ou ordonnance contraires, sont abolis ’’. Il est complété par le décret no 137 portant ‘‘ sur la naturalisation des Indigènes musulmans et des Étrangers résidant en Algérie ’’ : pour ce qui les concerne, la qualité de citoyen français ‘‘ ne peut être obtenue qu'à l'âge de vingt et un ans accomplis ’’ et sur leur demande ». Wikipedia, http://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9cret_Cr%C3%A9mieux [Ajouté en août 2010].

[3] Pour nous en tenir à l’Algérie, Drumont, député d’Alger depuis 1898, s’opposera dès son élection à la révision du procès du capitaine Dreyfus, réclamera des poursuites contre Emile Zola et demandera, l’année suivante, l'abrogation du décret Crémieux, avec le soutien des 4 députés d’Algérie. Ce décret sera abrogé le 7 octobre 1940 par le régime de Vichy et remplacé par le « statut des Juifs » ; il sera rétabli le 20 octobre 1943, par le Comité français de la Libération nationale. — Après leur nationalité, c’est leur présence même sur le sol algérien qui serait un jour contestée, comme on sait… [Ajouté en août 2010

[4] Les Français d’Algérie, trop occupés à bâtir le pays, ne percevront généralement pas ce découplage, dont ils ne découvriraient l’ampleur qu’au jour de la décision du général de Gaulle, fortement soutenu par une opinion publique métropolitaine dont ils n’avaient pas perçu qu’elle s’était détournée d’eux depuis longtemps, d’accorder son indépendance à l’Algérie… [Ajouté en août 2010].

[5] Afrique, bulletin de l'A.E.A., son organe de liaison et sa tribune, verra le jour en 1924 et vivra jusqu'en 1960.

[6] Au sommaire, entre autres : Charles Courtin, Charles Hagel, Louis Lecoq, Maximilienne Heller, Léo Loups, Albert Tustes.

[7] Robert Arnaud Ducheyron de Beaumont du Pavillon dit Robert Randau (1873-1950), haut fonctionnaire, explorateur, ethnologue, sociologue, romancier et poète [Ajouté en août 2010].

[8] Apulée (ca 125-ca 170), riche héritier romain né en Numidie (nord de l’Algérie actuelle), avocat, conférencier, philosophe platonisant, parlant berbère, grec et latin, connu pour son intérêt pour la magie, curieux des religions orientales, écrivain « précieux », auteur notamment de L'Âne d'or ou Les Métamorphoses, Apologie et Florida, Platon et sa doctrine, Sur le Dieu de Socrate, Opuscules philosophiques et Du monde (Paris, Les Belles Lettres) [Ajouté en août 2010].

[9] Consacrée aux « conteurs africains », elle réunissait notamment des textes de S. Chasseray, C. Hagel, M. Heller, L. Lecoq, R. Randau, mais aussi une nouvelle, Le frère d’Etthaous, d’un auteur musulman, Abdelkader Fikri (il signe Abdelkader Hadj Hamou) quelques années après, il co-signera avec R. Randau un essai sur les relations entre français et musulmans intitulé Les Compagnons du jardin.

[10] Cette « race », on le voit, s'apprécie d'abord à son style et à ses œuvres... Cf. Ecrit au soleil 1 (mis en ligne le 17 août 2010), note n° 9.

[11] Louis Bertrand, Mémoire, « Sur les routes du Sud », op. cit. Cf. Ecrit au soleil 1.

[12] R. Randau avait, à sa façon, entrepris de « conjurer » la menace, en pratiquant dans son domaine la fraternisation concrète qu'il souhaitait voir s'étendre : on l’a souligné, il écrira en collaboration avec le Juif Saadia Levi et le musulman Abdelkader Fikri.



Ecrit au soleil © copyright 1982-2010 Richard Zrehen






mardi 17 août 2010

ECRIT AU SOLEIL 1


Fin 1981, l’écrivain Lucien Elia (Les ratés de la diaspora, Fer blanc), rencontré chez Publicis où nous travaillons tous deux à des étages différents, me propose de participer à un projet qu’il coordonne avec sa femme Myriam : un livre « grand public » consacré aux Pieds-Noirs, ces européens venus s’installer en Algérie après la conquête française, dont la parution devrait correspondre avec les 20 ans de l’indépendance algérienne. Ma tâche : traiter (sérieusement mais légèrement) de la littérature d’expression française en Algérie de 1830 à 1962, plus précisément de la littérature qui se préoccupe du « local ». Beaucoup de livres à l’écriture déjà désuète quand ils paraissent, beaucoup d’auteurs à la notoriété incertaine, de grandes exceptions, bien sûr, mais dans l’ensemble, de l’authenticité (!), de la tonicité de l’élan et un racialisme surprenant… Une littérature-témoin pleine de charme mais aussi de noirceurs, qui sera longtemps à la littérature « métropolitaine » ce que le français d’ancien régime parlé à la cour du duc de Berry (et au Québec) a été au français parisien post-révolutionnaire : exotique mais instructive.

Le livre a été publié en 1982 chez Philippe Lebaud, éditeur à Paris, avec une préface d’Emmanuel Roblès. Voici ma contribution, débarrassée de quelques erreurs factuelles et augmentée des notes probablement utiles quelque 30 ans de dérives « politiquement correctes » après. RZ.

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Rencontres


Au travers des thèmes qu'elle aborde et met en forme pour notre plaisir, notre amusement, notre édification ou notre confusion, des personnages qu'elle fait exister et vivre, des œuvres si contrastées qu'elle s'est suscitées, la littérature « pied-noir » déroule, au long de sa courte histoire, une même aventure, passionnée et difficultueuse : celle d'une langue fière sortie de son site « naturel » pour rencontrer une terre nouvelle, s'y faire connaître, apprivoiser, apprécier, maltraiter peut-être, reconnaître sûrement — au risque de se perdre...

Une langue, une terre. Ce qui les habite, les meut, les spécifie, ce qui les attend l'une et l'autre ; ce qui les menace aussi. Aventure mouvementée, à quoi la violence de la séparation, seulement, mettra un terme brutal. Douleur de l'exil. Mais cela ne sera clairement perceptible qu'une fois les « principes » fermement établis : après que la conquête militaire, peu propice aux interrogations ou à l'esthétique, aura été achevée.

Quand la France prend pied en Algérie[1], « sa gloire emplit toute la terre »[2] ; sa langue, dure aux puissants, est douce aux oreilles et aux bouches des nations, pour avoir chanté l'émancipation des peuples. Le français est l'idiome de la liberté. C'est la langue de l'universalité vaste et généreuse qui dissout les « particularismes égoïstes et rétrogrades » ; son usage a été imposé à tous, pour le « bien commun », dans les limites de l'Hexagone : contre les patois et dialectes qui, disait-on, restreignaient abusivement les possibilités d'entente entre les hommes[3]. C'est cette promesse, c'est cette attente qui passent la Méditerranée.

Et les militaires qui conduisent les opérations, héritiers directs d'une République qui s'était voulue romaine, d’un roi catholique-et-romain en mal de légitimité, puis d'un empereur qui s'était volontiers inscrit dans cette filiation, retrouvent spontanément le ton et l'inspiration du Jules César de la Guerre des Gaules. Le bruit des batailles à peine estompé, ils seront nombreux à livrer Mémoires, Récits ou Lettres : depuis le cruel maréchal de Saint-Arnaud, aventurier et comploteur sans état d’âme, jusqu'au terrible et célèbre maréchal Bugeaud.

Des écrivains-voyageurs viendront de France, à leur suite, authentifier d'un séjour-alibi leurs rêveries sur cet « Orient » accessible et proche — inaugurant une longue suite de simplifications et d'incompréhensions. Fromentin, par exemple, peintre et écrivain attiré par le désert (Un été dans le Sahara[4]), livrera à son public de métropolitains sédentaires, apparemment désireux de se laisser captiver et séduire, un ensemble de représentations qui auront une longue vie : portrait avantageux, mais irréel et inconsistant, d'une terre colorée qui fait invinciblement penser à un décor de théâtre ou à une composition académique.

Une voix manque cependant, et celles qui viennent d'être évoquées ne peuvent en tenir lieu ; une voix parlant depuis l'Algérie et qui s'adresserait aux Algériens « nouvelle manière » ; à ceux qui veulent l'être ; aux autres, aussi... Une voix rétive à l'articulation. Comme si la conquête réussie de la terre (les armes d'abord, la charrue ensuite[5]) devait encore être poursuivie, mais dans un registre moins assuré — parce qu'il vise à l'adhésion des cœurs, et non pas simplement à la soumission des corps : celui des propos à tenir sur cette conquête pour que les esprits puissent s'y « reconnaître »...

Or il n'est pas acquis qu'on puisse raconter des histoires innocemment, sans y mettre quelque chose d'infiniment précieux : le savaient et l'éprouvaient, souvent malgré eux, ceux qui vivaient et parlaient « sur place » ; ceux qui, se voulant écrivains, avaient choisi de travailler avec les mots dont nous nous servons machinalement pour les faire résonner autrement.

Ainsi, c'est sous pseudonyme que paraîtront, de 1895 à 1920, les aventures comiques de Cagayous, personnage au langage savoureux : l'auteur, né « natif » du pays, n'a pu écrire qu'au prix d'une double pirouette. Fonctionnaire, journaliste, chroniqueur, chansonnier, il dissimule son nom (Auguste Robinet, 1862-1930), signe « Musette », et son héros, qui est un type familier, celui du petit malin, boute-en-train, gouailleur et débrouillard, s'exprime en altérant la langue : ce à quoi on reconnaît la caractéristique locale — marque de Bab-el-Oued, quartier populaire d'Alger, devenu légendaire. Mais en outre, c'est regrettable et significatif, Cagayous fait des concessions à l'antisémitisme[6] : on peut y voir un tribut douteux payé à la France, alors secouée et profondément divisée par l'affaire Dreyfus[7] ; on peut y voir également, plus enfoui, le signe que la nouvelle identité culturelle en train de naître en Algérie ne peut se poser qu'en s'opposant explicitement à quelque repoussoir, ne peut s'affirmer qu'en raillant, voire en niant l'autre — y compris en soi-même.

Cette difficulté concrète à se situer par rapport au pays, à la langue et à soi-même est encore mieux illustrée, si l'on ose dire, par Isabelle Eberhardt qui, pour parler et écrire, s'est cachée sous plusieurs masques, qui couvrent autant de reniements ou d'impossibilités, et lui vaudront réprobation et incompréhension : suisse d’origine, mariée à un musulman de nationalité française, sous-officier spahi, elle allait sillonnant l'arrière-pays, s'habillant et se comportant en homme ; elle prétendait avoir toujours été musulmane [elle s’est convertie à l’islam en 1897], et il lui arrivait de signer Mahmoud. Elle disparaîtra en 1904, à vingt-sept ans, dans une inondation. Ultime retrait, ses livres, qui témoignent d'une grande affection pour la terre et ses occupants d'avant la conquête [elle prit une part active à la lutte de certains d’entre eux contre la présence française], ne paraîtront qu'après sa mort : Dans l'ombre chaude de l'Islam, Notes de route, Trimardeur, etc.

Ce rappel doit permettre d'apprécier le considérable apport de Louis Bertrand, qui a su arrêter le balancement entre langue et terre, et, accentuant certains des traits relevés plus haut, fournir les cadres solides dans lesquels l'identité culturelle « pied-noir» s'est formée ; qui a su inventer les thèmes attrayants dont elle s'est électivement nourrie pendant un long temps. Il a été capable de résoudre « avantageusement » les contradictions qui avaient embarrassé quelques-uns de ses devanciers, en qualifiant autrement qu'ils n'avaient pu le faire la terre en question... La France est, selon lui, presque chez elle en Algérie — on verra par quel cheminement. Mieux que d'une conquête, il s'agirait de retrouvailles !

Pour Louis Bertrand, historien, essayiste et futur académicien (il occupera en 1926 le fauteuil de Maurice Barrès), c'est bien plus qu'une conviction : c'est une nécessité.

En 1891, après être passé par Aix-en-Provence et Bourg-en-Bresse, il est nommé au lycée Bugeaud d'Alger : il a vingt-cinq ans et l'impatience frondeuse. La Lorraine, où il est né, a, depuis trop longtemps déjà, cessé d'être française, tout comme l’Alsace. La perte de ces provinces, chères entre toutes, est une plaie toujours aussi vive[8] : vont s'en trouver notablement modifiées et la signification de la conquête et la valeur symbolique de l'Algérie — qui finit par faire figure de contrepartie territoriale, de compensation, dans le jeu cruel et humiliant qui oppose la France à son sévère parent prussien. Mais, plus qu'une consolation raisonnable, c'est un appel qui attend Louis Bertrand de l'autre côté de la Méditerranée : laissant derrière lui un pays fourbu, vaincu, irrésolu, il découvre un pays énergique et volontaire, stupéfiant de beauté, dont le passé lui donne vertige et espoir.

La prise de possession guerrière y cède progressivement le pas à l'occupation méthodique, qui va descendre jusqu'au détail pour asseoir l'installation durable et permettre la mise en valeur : on édifie, on creuse, on terrasse, on ouvre chemins et routes[9]. En même temps qu'on bâtit l'avenir, on ramène au jour les trésors cachés. Des ruines romaines, des vestiges latins. Dès lors, tout devient simple et lumineux : la France est venue reprendre possession de son héritage romain — pas tant républicain ou impérial que chrétien, de cette terre arrosée du sang des martyrs (titre d'un roman de L. Bertrand), bruissante encore de la prédication d'Augustin et de l'évêque Cyprien, des polémiques incandescentes avec les hérétiques et les païens. Chaque ruine exhumée, fragment de mémoire concrète, le confortait : la France retrouvait une partie de son bien, elle avait des titres légitimes à faire valoir sur ces lieux...

Une grande conséquence suivait d'elle-même : d'« autres » n'étaient pas là tout à fait à leur place ou, du moins, ne pouvaient pas se prévaloir de droits et ouvrages aussi anciens. Il fallait apprendre, à la suite de L. Bertrand, à ne pas focaliser exclusivement sur les « Arabes »[10], et à porter au crédit des nouveaux (re)venus la valeur de leur engagement dans l'antique et neuve Numidie.

Avec Le Sang des races, La Cina, Pépète et Balthazar, La Concession de Mme Petitgand, Le Roman de la conquête, et beaucoup d'autres livres encore, il dira l'Afrique latine et les Berbères, la Numidie chrétienne[11], la vaillance et le courage des colons, leur acharnement, leur noblesse et leur héroïsme discret ; il applaudira à la naissance d'un nouveau « type d'homme » s'éprouvant à l'effort, au défi et à l'ambition bâtisseuse : héritier dynamique et volontaire, s'opposant avec éclat aux manières des craintifs « rentiers » de métropole, aux ressources morales amenuisées.

Il dira aussi, dans une page de ses Mémoires, avoir tôt porté ses regards plus bas, plus loin, sur Les routes du Sud (titre d’une section de l’ouvrage), et retrouvé la présence menaçante du tentateur maléfique, de l'ennemi de toujours qui attendait son heure...

De cet appel, L. Bertrand, messager persuasif, saura, la Méditerranée passée, faire une œuvre convaincante. Elle rencontrera un écho amplifié : d'abord thème idéologique et esthétique, dont va sortir un mouvement littéraire organisé, l'Algérianisme, il se transformera, simplifié à l'extrême, en une croyance politique — au moment où le mouvement littéraire commencera à décliner[12].

Cela montre qu'au temps des commencements, où il s'agit avant tout de savoir « qui parle ? », il ne va pas de soi que la littérature soit perspective, divertissement ou franche fiction : ni pour les auteurs ni pour les lecteurs. Elle serait plus proche du reportage « romancé » ou de la chronique « réaliste ». Et les dangers, inévitables quand n'est pas sensible la dimension littéraire, qui est essentiellement distance, sont grands : la littérature est affaire d'esthétique ; elle n'est pas censée être consensuelle ni prouver la justesse ou la véracité de ses arguments...


A suivre…


Notes :

[1] Rappelons que la conquête de l’Algérie, alors sous domination ottomane et en plein tumulte intérieur, a été entreprise par la France pour sécuriser les liaisons maritimes et mettre fin à la piraterie des « barbaresques », grands rapteurs de chrétiens du littoral méditerranéen destinés à l’esclavage [Ajouté en août 2010].

[2] Isaïe, VI, 3.

[3] Abbé Grégoire, Rapport sur la nécessité et les moyens d'anéantir les patois et d'universaliser l'usage de la langue française, 1794 : « On peut uniformiser le langage d'une grande nation, de manière que tous les citoyens qui la composent puissent sans obstacle se communiquer leurs pensées… » [Ajouté en août 2010].

[4] Un été dans le Sahara, qui date de 1857, ne doit pas être confondu avec Une année dans le Sahel, du même Fromentin, qui date de 1859.

[5] La devise de Bugeaud était : Ense et Aratro, « par l'épée et par la charrue » [Ajouté en août 2010].

[6] En fait, Cagayous (où s’entend « le merdeux » signifie « le chassieux », en langue d’oc), figure éminente du lumpenprolétariat algérois, petit voyou vivant de menus larcins et combines louches, se plaisant avec sa bande à jouer de méchants tours à ses contemporains, Gavroche réactionnaire et grande figure populaire de l’Algérie française, est constitutivement et pathologiquement antijuif. L’une de ses aventures (parue en 1898) est intitulée « Cagayous antijuif », dans laquelle Musette écrit en préface : « Cagayous antijuif !... Il l’est depuis la plante des pieds jusqu’à la racine des cheveux… On ne pouvait, d’ailleurs, concevoir autrement cette fleur sauvage du pavé algérien, poussée dans le salpêtre et le crottin, sous une flambée de soleil »… Cf. Paul Siblot, « Cagayous antijuif ». Un discours colonial en proie à la racisation, Mots. Les langages du politique (ENS-Editions), n° 15, 1987 [Ajouté en août 2010].

[7] La dernière séquence de Cagayous antijuif rapporte l’élection de Drumont, devenu en 1898 député d’Alger, ville où viennent d’avoir lieu de sanglantes émeutes antijuives consécutives à la condamnation de Dreyfus, auxquelles ont participé nombre de « patriotes » et d’autochtones [Ajouté en août 2010].

[8] Les contes du lundi (1873) d'Alphonse Daudet, par exemple, en portent témoignage. On y sera d'autant plus sensible que ce même Daudet, qui a su être ouvert à ce drame-là, a fait, l'année précédente, la preuve de son incapacité à comprendre l'Algérie — dans son Tartarin de Tarascon, décevant de ce point de vue. Il aura une nombreuse postérité... Quant au célèbre livre de Barrès, Les Déracinés, il date de 1897.

[9] Et on « civilise » ! P. Siblot dans « De l’anticolonialisme à l’antiracisme : de silences en contradiction », Mots. Les langages du politique (ENS-Editions), n° 18, 1989, pp. 61-63, rapporte quelques propos bien intentionnés : « Je crois que notre nouvelle conquête est chose heureuse et grande. C’est la civilisation qui marche sur la barbarie. C’est un peuple éclairé qui va trouver un peuple dans la nuit. Nous sommes les Grecs [!] du monde ; c’est à nous d’illuminer le monde. Notre mission s’accomplit, je ne chante qu’Hosanna [écrit Victor Hugo] ; « C’est en raison des qualités d’un vaincu qui ne saurait ‘s’affaisser’ que le maréchal Bugeaud préconise de ‘tendre par tous les moyens à nous assimiler les Arabes, à modifier graduellement leurs mœurs [] Il nous paraît infiniment plus sage (que le cantonnement) de les mêler à notre société, et de les faire jouir de tous les avantages qu’elle comporte » ; « Tant que les Arabes ne seront pas français, nul gouverneur, nulle armée ne pourra garantir un mois la durée de la paix » [écrit le catholique traditionaliste Louis Veuillot] ; « En 1883, Jules Ferry étend aux populations indigènes d’Algérie la loi de l’instruction publique au nom du ‘devoir des races supérieures de civiliser les races inférieures’ »… — Où l’on voit que « race » n’a pas encore entièrement acquis en France la hideuse coloration que la fin du XIXe et le XXe siècles lui donneront, malgré les efforts de Drumont et de ses acolytes, et ne commande pas nécessairement les enchaînements auxquels nous nous sommes « habitués » [Ajouté en août 2010].

[10] Par un abus de langage remontant au temps de la Conquête française (et qui continue aujourd’hui) on a appelé « Arabes » tous les musulmans d’Algérie, quand il s’agissait pour l’essentiel de populations locales islamisées au temps de la conquête arabe (souvent après avoir été d’abord judaïsées puis christianisées), certes arabisées quant à la langue, mais certainement pas devenues « arabes » en un sens strict. Façon de fondre en un seul signifiant les guerriers venus d’Arabie et les populations qui avaient entendu leur message et décidé de le garder, ce qui facilite les identifications fantasmatiques… [Ajouté en août 2010].

[11] « Il (...) s'agit ici (...) de ce qui vit toujours, de ce qui nous est éternellement contemporain dans la plus lointaine histoire », L. Bertrand, Sanguis Martyrum, 1918, prologue — souligné par l'auteur.

[12] Etrange personnage que ce Louis Bertrand (1866-1941), dont l’œuvre abondante est aujourd’hui oubliée : normalien, agrégé de lettres, il abandonnera l’enseignement pour se consacrer religieusement aux Lettres ; auteur d'une thèse intitulée « Fin du classicisme et retour à l'antiquité dans la seconde moitié du XVIII e siècle et les premières années du XIXe siècle en France », dreyfusard convaincu, il finira par évoluer vers la droite de combat et se convertir au catholicisme ; publiciste, il rendra visite à Hitler en 1935 pour s’informer, visite dont il tirera un livre, Hitler (Paris, Fayard, 1936) dans lequel il expose les raisons pour lesquelles la France devrait porter attention aux revendications des Allemands mais déclare ne pas être hitlérien ; converti à un gallicanisme rénové, il se trouvera partager la conviction de Mussolini, à savoir que l’unité de la Méditerranée réside dans son passé latin-romain et que la conquête arabe est une parenthèse refermée… Après sa mort, la guerre d’Algérie ayant éclaté, il deviendra l’ancêtre (très souvent sans qu’ils le sachent) des « ultras » comme on appelait les plus radicaux des partisans de l’Algérie française.

Il est à noter qu’au moment où Louis Bertrand, essayant de faire son deuil de la perte des provinces de l’Est et, en partie influencé par le Félibrige de Frédéric Mistral (auquel appartenait Charles Maurras), propose d’asseoir la nouvelle France sur la « récupération » de certains des territoires conquis par Rome (et le Vatican), prolongeant politiquement et métaphysiquement une généalogie imaginaire déjà bien établie en métropole (chez les républicains, à l’Eglise près, chez les anti-républicains ultramontains et autres nationalistes), nombre d’intellectuels et idéologues allemands s’emploient à parachever la construction de leur contre-généalogie imaginaire, amorcée par les Romantiques : la Grèce et le luthéranisme. Politique, métaphysique et « race » au sens des Nazis (car il est de la vocation d’un Imaginaire de s’incarner) suivraient nécessairement, tout comme les conflits sanglants [Ajouté en août 2010].




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