[…] ce sont maintenant des Russes qui se voient pratiquement refuser l’entrée dans le pays par une bureaucratie devenue bien tatillonne – des Subbotniks (« observants du chabat » en russe, descendants de chrétiens orthodoxes du sud-est de la Russie ayant adopté les pratiques juives au XIXe siècle)…
Le dédain avec lequel les ultra-orthodoxes ont longtemps considéré les séfarades – et continuent de le faire, les filles de rabbins séfarades, par exemple, n’étant toujours pas admises dans les grands établissements d’enseignement ashkénazes destinés aux filles – a eu plus que son pendant dans l'attitude de l'appareil d'Etat à l'égard de tous les Mizrahim (séfarades et orientaux). Ces populations qui étaient montées en Israël par choix pour beaucoup, dans le prolongement de leurs croyances et sentiments, par nécessité pour les autres, la situation dans leurs pays d'origine étant devenue insupportable et même dangereuse en raison de la création de l'Etat d'Israël[1], n'étaient pas accueillies à bras ouverts : elles étaient pauvres, peu éduquées et « orphelines », leurs cousins plus instruits et aisés ayant choisi la France, l'Angleterre, la Suisse, le Canada ou les Etats-Unis.
Bien plus, elles avaient le tort immense d'être là, dans un pays qui ne s’était pas construit comme un « refuge » – il le deviendrait, bien sûr, c’est une autre histoire – mais comme une position stratégique ; qui n’avait pas été, au vrai, aménagé pour elles ; qui ne l’avait pas plus été pour ces Juifs, pas tous européens comme on a trop tendance à l’oublier, qui allaient disparaître dans les camps et les fours crématoires, mais pour ceux qui sauteraient le pas, répudieraient la Diaspora, ses voies prudentes, sa psychologie résignée, son intérêt exclusif pour l’Etude, et tâcheraient à se « régénérer » en se faisant défricheurs, bâtisseurs et transgresseurs – ce que la présence de ces populations-là rendait douloureusement tangible, trop tôt, les « Israéliens » étant alors tout à leurs multiples rejets, leurs innombrables refoulements, c’est-à-dire à leur auto-construction. A leur transfert massif à l’hébreu, désormais langue de communication quotidienne, objet de fierté et d’amour, territoire reconquis[2].
Et ces Mizrahim « montés », souvent avec l’aide officieuse de l’Etat (!), dans ce pays – si proche de ceux qui les avaient si longtemps vu naître, eux, leurs parents, leurs ancêtres, par la langue, la nourriture et les paysages, si familier – pour tâcher d'y rester eux-mêmes, se voyaient sommés de s'oublier par ceux qui avaient voulu rompre définitivement avec la vieille Europe, le ghetto et la vie traditionnelle, et qui changeaient fièrement de nom pour marquer distinctement la coupure[3].
Avant l'oubli, la méfiance et l'humiliation : dans les années 50, après avoir été tondus et passés au DDT, après avoir entendu moquer leurs coutumes et leur vêtement, yéménites et marocains notamment étaient envoyés par les fonctionnaires du Mapaï, le parti de David Ben-Gurion, dans des fermes coopératives ou des villes de développements situées dans des endroits autrefois habités par les Arabes de Palestine : loin des yeux, loin de la civilisation, loin des Juifs « nouveaux », loin de l'activité économique[4].
Le manque de leadership, d'éducation, d'accès aux soins, de perspectives économiques, l'adaptation/négation-de-soi rendue difficile par la réticence des autorités, quelques uns des ingrédients dont se nourrit la délinquance étaient réunis. Et de fait, les Mizrahim ont longtemps été sur-représentés dans les prisons et sous-représentés dans les professions libérales ou le monde politique, en dépit de brillantes exceptions – leur revenu moyen aujourd’hui est toujours inférieur à celui des ashkénazes[5].
David Ben-Gurion parlaient d'eux comme « de la poussière humaine », Golda Meir estimaient qu'ils n'étaient pas de « vrais juifs, parce qu'ils ne parlaient pas Yiddish »[6] – trop proches, sans doute, de ces Arabes hostiles refusant le partage de la Palestine décidé par l'ONU. Et il a certainement fallu ce fantastique déni de réalité – joint à une hubris déchaînée et à un sens politique aigu, pour que ces socialistes éclairés puissent faire de masses disparates un peuple expérimental, et fonder une armée capable de défendre, contre toute attente, les frontières d'un embryon d'Etat contre les nombreux ennemis de l'« extérieur » – qui, ne pouvant se faire à ses impossibles défaites successives, crierait au complot et entrerait dans un autre type de déni de réalité, qui dure encore…
Mais ce qui est forclos du symbolique reparaît dans le réel, enseignait le psychanalyste Jacques Lacan, comme un mauvais rêve ou une hallucination.
L’arrivée ou venue à soi des Mizrahim va se faire en 3 temps :
- Dans les années 60-70, se repérant selon leur appartenance de classe – ils sont majoritairement ouvriers, agents de maîtrise et commerçants – ils se pensent comme des exclus de l'économie et les plus radicaux se reconnaissent dans l'animateur gauchiste des Panthères Noires (mouvement radical qui se fait connaître à Jérusalem au début de 1971), Charly Bitton, soutenu par le Matzpen trotzkiste (organisation anti-capitaliste et anti-sioniste fondée en 1962 par des dissidents du parti communiste Hadash), qui parle d'un front commun de tous les laissés pour compte orientaux, arabes israéliens compris ; violent et désordonné, Charly Bitton fera 7 mois de prison en 1973 (l’année où Menahem Begin fondait le Likoud) pour avoir agressé un policier, le mouvement connaît quelque succès – notamment au syndicat Histadrout – mais reste minoritaire ; il finira par disparaître, certains, dont Charly Bitton, choisissant de rallier le parti communiste, confirmant l'Establishment ashkénaze – plutôt « à gauche » mais anti-communiste – dans l’idée qu'il avait raison de se méfier des Mizrahim.
- A la fin des années 70, quand Menahem Begin, après des dizaines d'années dans l'opposition, prend enfin le pouvoir, les héritiers du Mapaï discrédités par leur impéritie à la veille de la guerre du Kippour, se repérant comme des exclus de la politique, ils apportent leurs voix à ce glorieux exclu et à son parti, le Likoud. Certains prennent des positions violemment anti-arabes, ce qui est très « politiquement incorrect » mais n’a pas nécessairement le sens psycho-ethnique que lui prête un militant du Shas, à problème : « Les partisans du Shas adoptent sans réfléchir ce qui peut les faire passer sans hésitation pour [vraiment] “ israéliens ”, y compris les cris de “ Mort aux Arabes ”... On ne doit jamais oublier que l'identité du Mizrahi est arabe. Le juif Mizrahi a toujours conservé au fond de lui-même une identité arabe, qu'il ne peut affronter que dans la solitude de sa salle de bains, quand il se regarde dans le miroir. De façon tragique, c'est cette arabité qui fait du Mizrahi un anti-Arabe, loyal à l'égard du sionisme ashkénaze »[7]. Les Mizrahim ont certes vécu dans des pays musulmans, mais ils n’ont pas tous vécus dans des pays arabes, et que le « sionisme ashkénaze » soit nativement « anti-Arabe » est loin d’être attesté[8]. La spoliation, l’expulsion, peuvent aussi « expliquer » ces débordements, expression mal maîtrisée d’une colère nourrie de souvenirs amers[9]…
- Dans les années 80, enfin, se repérant comme les héritiers d'une tradition glorieuse trop longtemps méprisée, ils se pensent comme des exclus de la polis et de la culture et, en dépit des réserves qu'ils ont à l'égard des positions « politiques » du rav Yossef, apportent leur soutien au Shas. On a parlé de la fierté « ethnique » qu'il leur redonnait pour expliquer le succès du Shas. Ont certainement joué un grand rôle la stature et la posture du rav Yossef, qui arbore fièrement le turban et la robe de préférence au costume sombre et chapeau noir des ashkénazes, tout comme, mais dans une moindre mesure, le slogan du Shas aux élections de 1999, « 2 000 ans de civilisation séfarade », mais la personnalité d’Aryeh Dehri a été décisive : un homme sorti du rang parvenant aux plus hautes positions de l'Etat et suscitant une riposte redoutable de l'Establishment, auquel il n'est pas facile de s'identifier mais qu'on peut considérer comme un héros.
Ayant franchi la barrière de l'invisibilité, les Mizrahim peuvent commencer à librement dériver selon leurs lignes propres : explorer de nouveaux possibles (socio-professionnels et politiques, par exemple) et non pas nécessairement céder à la tentation communautaire et choisir, comme le craignent et le désirent, les « ultra-laïques », la voie du fondamentalisme et du repli sur soi. La force de la réaction provoquée par l'un des « leurs » a brisé leur aliénation.
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Aryeh Dehri s'est révélé être une personnalité publique de premier plan, partisans et adversaires en conviennent. Ainsi, le commentateur de gauche Haim Baram, peu tendre à son endroit, dit : « Dehri est corrompu jusqu'à la moelle, mais il est aussi le politicien le plus doué d'Israël »[10]. Un politicien doué, que l’épreuve a certainement endurci : mener avec énergie et habileté le Shas au succès en mettant au point des stratégies électorales ingénieuses, savoir se fabriquer une « base » solide en créant des centaines de jardins d'enfants, d'écoles et de yechivot (qui accueillent sans difficulté les enfants de parents peu ou pas observants), pour se marcher sur les pieds et tomber brutalement par manque de jugeote élémentaire, quant aux obligations et à l’exacerbation des jalousies qu’entraîne la réussite, quant aux règles non écrites du jeu politique, ça ne lui arrivera plus.
« ... L’énergie, l’impatience, la parole facile, l’alacrité, la précision et l’humour… ne se sont pas estompés depuis qu’il a quitté la vie publique », écrit Avirama Golan. « Au contraire, ces traits sont plus prononcés que jamais, mais ils sont teintés de sérieux mélancolique, peut-être aussi d’humilité, plutôt rare à l’époque du vertige. Dehri n’a pas de chauffeur, et il ne dispose que d’une seule secrétaire, qui travaille dans un petit bureau près de son célèbre appartement d’Hakablan Street, dans le quartier Har Nof de Jérusalem. Cela fait longtemps qu’il n’y a plus de Jacuzzi chez les Dehri, et comparée aux demeures des nouveaux leaders d’Israël, l’appartement est d’une simplicité embarrassante… » [11]
La rupture amère avec le père-mentor est oubliée[12] : il s’est rapproché du rav Yossef, ces deux dernières années.
Il a surtout cessé de se prendre pour une victime, d’avancer « innocemment » en marchant sur des pieds sensibles et s’étonnant des réactions. Il ne dira plus: « Une grande peur s'était répandue sur le pays : Aryeh Dehri, le président du Shas, un Mizrahi, un marocain, un haredi (observant) qui réussissait, n'allait pas se contenter de représenter les séfarades ultra-orthodoxes de Bnei-Brak et de Jérusalem, mais allait s'adresser à l'ensemble des Mizrahim traditionalistes du pays. Les gens avaient le sentiment que la culture Mizrahi, qui avait été efficacement refoulée depuis l'établissement de l'Etat, était en train de se réveiller ; que la culture laïque ashkénaze était menacée, en raison du grand nombre de Mizrahim et de la jonction possible avec les haredim ashkénazes. Par conséquent, ils [?] ont décidé que Dehri posait un danger et ont décidé de se débarrasser de lui »[13].
Non parce que c’était faux, bien au contraire : Aryeh Dehri fait toujours aussi peur et s’est vu, il y a peu, appliquer rétrospectivement une curieuse loi (allongeant de 2 ans le délai d’inéligibilité à la suite d’une condamnation et votée après son incarcération[14]), qui l’a empêché de se présenter aux élections à la Mairie de Jérusalem – pour lesquelles il avait reçu le soutien du rav Ovadia Yossef et du rav [Yossef Shalom] Elyashiv [15] (successeur du rav Shach) mais aussi, beaucoup plus inattendu, celui de l’ancien adjoint de Teddy Kollek à la mairie Maire de Jérusalem, le très gauchisant Meron Benvenisti[16]. – Preuve qu’il a mûri : il a demandé expressément au Conseil des Sages de la Torah de ne pas intervenir pour que la décision de l’écarter soit rapportée.
Il ne le dira plus parce qu’il sait désormais, comme tout étudiant de Sciences-Po (!), que la légitimité d’une ambition politique, mais aussi la pertinence d’une cause, la valeur d’un enjeu, se mesurent d’abord à la vigueur de l’hostilité interne, « professionnelle », qu’elle suscite. – Le Grand Timonier disait en substance : « C’est une bonne chose que d’être attaqué par l’ennemi ; cela prouve qu’on lui fait mal »…
Nul doute qu’il faudra bientôt compter de nouveau avec Aryeh Dehri, et l’ensemble du paysage politique israélien pourrait bien s’en trouver bouleversé.
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Et pendant que l’ancien jeune prodige, il a maintenant 50 ans et il est plusieurs fois grand-père, prépare lentement son retour à la vie publique, le rav Yossef investit méthodiquement son domaine et s’affranchit de plus en plus ouvertement de la tutelle ashkénaze. Ainsi a-t-il récemment réussi à faire élire son fils Abraham au Conseil du Grand Rabbinat, en dépit des Lituaniens menés par le rav Elyashiv. « Selon des sources proches du rabbinat, le rav Yossef prépare son fils à devenir Grand Rabbin séfarade dans 4 ans. Et réussir à le faire entrer au Conseil du Grand Rabbinat est un pas important dans cette direction », écrit Matthew Wagner[17].
Et encore : « La faction ashkénaze a fait tout ce qui était en son pouvoir pour bloquer l’élection du fils Yossef. Le rav Elyashiv est en grand désaccord avec les positions, qu’il juge laxistes, d’Abraham Yossef, qui s’appuie sur le jugement de son père à propos des lois gouvernant l’année de la schmita (ou année sabbatique, pendant laquelle la terre doit rester au repos) : il accepte que la terre soit vendue à un non-Juif pendant une durée limitée (pratique dite heter mechira), cette vente annulant la sainteté de la terre d’Israël pendant l’année de la shmita et permettant aux Juifs de continuer à la cultiver. »
Et Matthew Wagner de conclure : « La bataille entre Yossef et Elyashiv n’aura probablement que peu d’impact sur le grand public. Avec ou sans Abraham Yossef au Conseil, heter mechira continuera avec l’aval du Grand Rabbinat : les agriculteurs Juifs auraient, sinon, trop d’argent à perdre… Entre Yossef et Elyashiv, il s’agit d’une lutte d’influence et, au bout du compte, d’hégémonie rabbinique… Yossef… veut rendre la couronne [de la Torah] à son légitime propriétaire. Lentement, mais sûrement, il est en train d’y parvenir »…
Quant aux « larges masses » laborieuses et orientales, il faudra attendre un peu plus longtemps que prévu pour savoir comment elles vont exprimer leur existence politique récemment acquise : les opérations militaires en cours dans la bande de Gaza risquent de retarder la date des élections législatives. Tout, cependant, laisse supposer qu’elles se reconnaissent assez dans le Shas pour continuer à lui apporter leurs voix.
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Notes
[1] « Intervenant à l’assemblée générale de l’ONU le 14 novembre 1947, 5 jours avant le vote sur la Partition de la Palestine, le délégué égyptien, Heykal Pasha, avait ‘prévenu’ : ‘‘Les Nations Unies ne devraient pas perdre de vue le fait que la solution proposée pourrait mettre en danger un million de Juifs vivant dans des pays musulmans. La partition de la Palestine pourrait créer [créer !] un anti-sémitisme encore plus difficile à déraciner que celui que les Alliés ont tenté d’éradiquer en Allemagne. Si l’ONU décide de partager la Palestine, elle pourrait être responsable du massacre d’un grand nombre de Juifs…
Un million de Juifs vivent en Egypte [et dans d’autres pays musulmans] et bénéficient de tous les droits attachés à la citoyenneté [!]. Cependant, si un Etat juif était établi, personne ne pourrait prévenir le désordre. Des émeutes éclateraient en Palestine, se répandraient dans tous les Etats arabes et pourraient conduire à une guerre entre deux races [!!]… (U.N. General Assembly, Second Session, Official Records, Ad Hoc Committee on the Palestinian Question, Summary Records of Meetings, Lake Success, N.Y., Sept. 25-Nov. 15, 1947, p. 185.) », Ya'akov Meron « Why Jews Fled the Arab Countries, The Middle East Quarterly, 1995.
[2] Sur ce point, voir « La psychose inversée » de Gérard Haddad, introduction à sa traduction de l’autobiographie du père de l’hébreu moderne : Eliézer Ben Yéhouda, Le rêve traversé, Paris, Desclée de Brouwer, 1998.
[3] « Est-ce que [les enfants d’]Israël n’[ont] pas observé quatre mitzvot [pendant le séjour en Egypte] ? [Ils ont] observé les lois relatives à la pureté sexuelle, [ils n’ont] pas échangé de ragots, [ils n’ont] pas changé leur nom et [ils n’ont] pas changé de langue », Rabbi Eliezer haKappar, cité par la Mechilta (= La Compilation), exégèse d’Exode compilée par Ishmael ben Elisha (IIIe siècle) – je souligne.
[4] « ... Qu’est-ce qui peut amener Yehiel, chemise blanche et Borsalino noir... à Tifrah (à 10 mn d’Ofakim) ?
- La yeshiva, bien sûr !... Je sais, les grandes et fameuses yechivot sont à Jérusalem et à Bné Brak... Mais quand on se promène là-bas, qu’est-ce qu’on voit ? Des vitrines et autres distractions (des filles). Ici, il n’y a rien. Où aller ? Que faire ? Tout ce qu’il y a, c’est la yeshiva.
De fait, à part l’épicerie du coin, il n’y a pas grand choses. Et pourtant, la plus grande des petites villes observantes du Neguev a réussi à tenir 60 ans comme ça.
... Tifrah ressemble à une ville fantôme. Il y a des bicyclettes et des poussettes retournées sur des jardinets pas entretenus, devant de petites maisons plus ou moins délabrées. Pas de centre commercial, pas de cinéma, pas de parc, même miteux, pas même de marchand de falafel. Un coin de désert perdu…
Mordechai Finkelstein, qui y vit depuis 1958, est l’historien officieux de Tifrah : ‘‘En 1949, un groupe d’orthodoxes hongrois, pour la plupart rescapés des camps, croupissaient dans un camp de réfugiés, avec des milliers d’autres immigrants. Ils voulaient à tout prix un endroit où ils pourraient refaire leur vie. L’Agence juive avait un terrain pour eux à Tifrah… Un soir, une représentante de l’Agence a montré leur moshav à 25 hommes de ce groupe : il n’y avait rien, rien de rien ; un mur, quelques arbres perdus dans les sables ; pas un endroit pour dormir. Des ouvriers sont venus de Beersheba pour aider les immigrants à dresser des tentes. C’est comme ça que le moshav est né…
Les Hongrois ont fini par construire des petits deux-pièces. L’électricité et l’eau courante viendraient 6 ans après. Et le ‘confort’, bien plus tard. A cette époque, le moshav était affilié au Mapaï, mais cela changerait bientôt’’.
Quand les habitants de Tifrah ont commencé à avoir des enfants, le mouvement moshav a envoyé des enseignantes, la tête pleines d’idées pédagogiques socialistes, et qui se promenaient en short… ‘‘Ils voulaient nous forcer à adopter leur mode de vie’, dit Mordechai Finkelstein… Ca a fait bouillir tout le monde et la population entière du moshav est allée manifester bruyamment dans les locaux de l’Agence juive à Jérusalem, demandant au futur premier ministre Levi Eskhol de les affilier à l’Agoudat Ysrael… Levi Eskhol a fini par céder après plusieurs jours de manifestation, mais il a été fortement critiqué pour cela ; il s’est défendu en disant : ‘qu’est-ce que je pouvais faire contre ces Hongrois entêtés ?’Et c’est comme ça que nous sommes devenus le moshav observant qui avait défait le Mapaï’’.
… Mais la vie sur la frontière était particulièrement difficile et plusieurs des premiers habitants sont partis… ‘’Quand les immigrants d’Afrique du Nord sont arrivés, au milieu des années 1950, l’Agence juive a fait pression pour qu’ils soient accueillis à Tifrah : il y avait des maisons vides’’. L’intégration des nouveaux immigrants n’a pas été très réussie, ajoute Mordechai Finkelstein qui insiste : l’opposition des Hongrois était religieuse, pas raciale.
‘‘Les tensions sociales étaient fortes. Ils avaient un style de vie différent, et des idées différentes sur l’éducation. En 1957, les Hongrois ont fait venir des ‘renforts’ pour conserver leur domination politique. Les deux groupes ont fini par trouver un modus vivendi : les responsabilités administratives seraient partagées à quasiment 50/50, et il y aurait des écoles séparées pour les 2 groupes ethniques [sic]… Mais avec des forces en équilibre, nous savions que les tensions persisteraient… Alors, nous avons fait venir 10 observants [ashkénazes] pour faire pencher la balance’’… », Sam Ser, « An Orthodox oasis », The Jerusalem Post, 11 décembre 2088 – je souligne.
[5] Cf. Ruth Sinai, « Report : In Israel, Ashkenazis earn 40 percent more than Sephardis », Ha’aretz, 14 décembre 2008.
[6] Joel Beinin, Israel's Cabinet Crisis..., p. 3.
[7] Sami Shalom Chetrit, dans un entretien accordé à Tikva Honig-Parnass, Why are Shas and the Mizrahim Supporters of the Right ?, Between the lines (http://www.between-lines.org), février 2003, p. 2.
[8] « En 1918… Ben-Gurion, écrit dans Yiddishe Kemper, quotidien yiddish : ‘‘ Eretz Israel n’est pas un pays vide… l’Ouest du Jourdain, à lui seul, abrite dans les sept-cent cinquante mille personnes. Sous aucun prétexte, nous ne devons porter atteinte aux droits des habitants… Déposséder les habitants actuels de ce pays… ce n’est pas la mission du Sionisme… ’’ » En novembre 1930, un an après les émeutes arabes qui ont conduit au massacre de Hebron, Ben-Gurion s’adresse au Premier Congrès des Travailleurs hébreux et fait une conférence intitulée ‘La politique étrangère de la Nation hébraïque’ : ‘‘ Il existe un principe… appelé ‘droit à l’autodétermination’. Nous avons été, toujours et partout, ses dévots et champions. Nous avons défendu ce droit pour chaque nation, chacune des parties d’une nation, pour tout rassemblement [significatif] d’individus. En tout état de cause, il ne fait pas de doute que les Arabes en Eretz Israël ont ce droit… ’’
Quant à Ze'ev Jabotinsky, le rival de droite de Ben-Gurion, qui savait aussi que le pays n’était pas vide, il en tirait argument, non pour expulser les Arabes, mais pour accroître l’immigration juive. En 1937, dans Medina Ivrit, il écrit : ‘‘ Il n’y a aucun sens à parler de la possibilité que les Arabes acceptent le plan sioniste tant que nous sommes en minorité ici… ’’ Judea Pearl, « Early Zionists and Arabs », Middle East Quarterly, Fall 2008.
Il est aussi à noter que le mouvement pacifiste Shalom Arshav (La Paix maintenant), très majoritairement ashkénaze, a été lancé au lendemain de la victoire électorale du Likoud, en 1978.
[9] Andrew G. Bostom, « Remenbering a Mass Jewish Exodus », FrontPage Magazine, 19 juillet 2007.
[10] Cité par Graham Usher, After the fall, Al Ahram Weekly, 25-31 mars 1999.
[11] Avirama Golan, « Ready to rejoin public life », Ha’aretz, 3 octobre 2008.
[12] « Mon cœur est plein de chagrin, mais je ne veux pas en dire plus. Mon attitude n'a pas changé, mon admiration est la même », répondait-il à Ari Shavit qui lui demandait 4ans après les faits : « Etes-vous toujours peiné d'être éloigné de rabbi Ovadia Yossef ? » Entretien avec Ari Shavit, Case..., Ha’aretz, 3 juillet 2003.
[13] Entretien avec Ari Shavit, Case...
[14] Ze’ev Segal, “Does time heal all wounds ? », Ha’aretz, 6 octobre 2008.
[15] Avirama Golan, « Ready to...
[16] Meron Benvenisti, « Give Deri a chance », Ha’aretz, 22 septembre 2008.
[17] Matthew Wagner, « Religious Affairs: Honor, haredi-style », The Jerusalem Post, 2 octobre 2008.
Illustrations :
- Riga 2005 (1), copyright Serge Kolpa.
- Marseille, copyright Alain Zimeray.
- Signes, copyright Alain Bellaïche.
- Traverser, copyright Patrick Jelin.
- Blanche ? ! copyright Patrick Jelin.
- Ceintres, copyright Patrick Jelin.
- Décidés..., copyright Patrick Jelin.
- Sans titre (3), copyright François Bensimon.