lundi 4 février 2008

Qui veut noyer ses chiens…

Copyright Alain Bellaïche

En 1966, le Nouvel Observateur publie un article de Catherine Vimenet sur la prostitution dans les Grands Ensembles : des mères de famille s’y livreraient occasionnellement pour boucler leurs fins de mois. La presse ne lui fera pas écho.
Jean-Luc Godard fond l’article dans une nouvelle de Maupassant, Le Signe, et, l’année suivante, sort « 2 ou 3 choses que je sais d’elle ». Elle : la banlieue parisienne, une femme, une actrice (Marina Vlady) ; la marchandise, la consommation, l’exploitation, la parcellisation, la déshumanisation ; la narration, l’image cinématographique, la bande-son, etc. Un film furieusement intelligent, virtuose, compliqué, dense, conscient et préoccupé de soi. La musique est de Beethoven, la photographie, de Raoul Coutard, la mise en abyme, son opérateur – la voix off, celle de Godard. Un faux documentaire prévenant l’identification, trouant la représentation, exhibant sa nature. Une fiction. On aime, on n’aime pas, on est séduit ou pas, on sait avec quoi on a affaire.
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Le 13 janvier 2008, Le New York Times publie, en première page, un article, le premier d’une assez longue série, intitulé « Across America, Deadly Echoes of Foreign Battles », fruit de plusieurs mois d’étude et d’analyse de données.
Extraits :

« D’une ville à l’autre à travers le pays, les gros titres racontent des histoires semblables. Lakewood (Washington) : « Leur fils tue sa femme. La famille accuse l’Irak ». Pierre, (Sud Dakota) : Un soldat accusé de meurtre parle de stress d’après-guerre ». Colorado Springs : « Des vétérans d’Irak soupçonnés d’un double assassinat… »
Individuellement, ce sont des récits de crimes locaux, suite poignante à la guerre pour les militaires, leurs victimes et leurs communautés. Pris ensembles, ils composent l’image contrastée d’un phénomène rampant, traçant une piste de mort et de cœurs brisés à travers le pays.
Le New York Times a recensé 121 cas de vétérans revenus d’Irak ou d’Afghanistan ayant commis des assassinats ou été inculpés de meurtre… »

Oouch.
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Le jour même, Power Line Blog s’inquiète de la teneur en information de l’article du NYT : « Comment le taux de criminalité chez les vétérans d’Irak et d’Afghanistan se compare-t-il avec celui des jeunes américains en général ? …
En 2005, le taux de criminalité chez les 18-24, tranche d’âge à laquelle appartiennent la plupart des soldats, était autour de 27 pour 100 000…. Si l’on suppose, estimation basse, que 700 000 soldats [toutes armes confondues] ont servi dans les 2 zones de combat, les 121 cas identifiés par le NYT… représentent 17 pour 100 000… Encore faut-il remarquer ceci : 27 pour 100 000 est un taux annuel, alors que les 121 supposés crimes (certains relèvent de comportements dangereux au volant) ont été commis pendant une période de 6 ans… »
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Le 27 janvier 2008, Clark Hoyt, médiateur du NYT, admet que « le Times a fait quelques faux-pas… Le premier [article sur la criminalité chez les vétérans] utilisait un langage excessif… pour [décrire] une tendance qu’il ne pouvait pas valablement quantifier… l’essai d’analyse statistique [était] basé sur des chiffres incertains…
… Les journalistes qui ont le plus contribué à la série – les reporters Lizette Alvarez et Deborah Sontag, et leur chef de rubrique, Matthew Purdy – ont expliqué pourquoi l’idée d’une comparaison avec le taux de criminalité chez les civils ne leur semblait pas appropriée. Les militaires n’acceptent pas des personnes ayant des problèmes psychiques ou un casier judiciaire chargé – les civils les plus susceptibles d’être des meurtriers – aussi le taux [de criminalité chez les militaires] est susceptible d’être plus bas et la comparaison non pertinente…

Au bout du compte, certains des 121 cas recensés par le NYT peuvent être clairement reliés au stress d’après-guerre, d’autres semblent plus contestables… »
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Sources :

Mark Steyn, « UnphenomenalTimes. Fake but ... fake », National Review On Line, 19 janvier 2008.
Matthiew Purdy, « Across America, Deadly Echoes of Foreign Battles », NYT, 13 janvier 2008.

John Hinderaker, « Crazed Veterans Spark Natiowide Crime Wave », Power Line, 13 janvier 2008.
John Hinderaker, « The Grudging Ombudsman », Power Line, 27 janvier 2008.

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