mercredi 18 juin 2008

Le ver est dans le fruit...


En septembre 2007, le quotidien pakistanais Daily Times, publie un reportage de Jeremy Page consacré à l’évolution des comportements des pakistanais les plus aisés.

Après avoir noté que le nombre de spas, salons de beauté et cliniques s’adressant à la clientèle masculine et lui offrant une grande variété de « soins » – des traitements et massages faciaux à la manucurie en passant par l’épilation du dos à la cire et l’effilage des sourcils – a spectaculairement crû ces dernières années, Jeremy Page cite en exemple Nawaz Sharif, leader de la Ligue musulmane pakistanaise « au crâne autrefois chauve, aujourd’hui couvert d’une mince couche de cheveux noirs » comme exemple de la tolérance accrue aux implants capillaires dans la société pakistanaise…

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Cette tendance, bien que limitée aux classes supérieures et moyennes – entre 20 et 30 millions d’individus [!] – illustrerait, selon le journaliste, combien les médias occidentalisés, le marketing et la culture « people » sont en train de changer le Pakistan. Dans les villes les plus importantes – Islamabad, Lahore, Karachi et Peshawar – les hommes semblent de plus en plus prendre soin de leurs vêtements, de leur coupe de cheveux et de leur peau…

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« Ce mouvement a commencé il y a 5 ans [la chute du régime des Talibans dans l’Afghanistan voisin, à la suite de l’intervention des USA et de leurs Alliés, remonte au 22 décembre 2001], et n’affecte pas que les classes supérieures » dit Tahir Mohammed, chirurgien esthétique en vue. 25% de ses clients sont aujourd’hui des hommes, qui viennent pour une rhinoplastie ou une liposuccion... « Mais ce sont les implants capillaires qui sont le plus demandés, spécialement chez les hommes publics… »

« Les hommes qui affrontent le public sont très soucieux de leur apparence » dit, de son côté, Zulfiqar Tunio, chirurgien esthétique formé au Royaume-Uni. « Ils ont vu les célébrités et les politiciens... Avant, ils s’en préoccupaient peu mais avec le temps – et beaucoup de marketing –, tout le monde est devenu convaincu… »

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Concrètement, la vente des produits de beauté/soin pour homme a bondi de 15% l’année dernière, selon une étude, récemment publiée, d’Euromonitor (euromonitor.com), société d’études marketing britannique.

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« J’avoue que ça me surprend vraiment », confie Nadia Furqan, directrice générale de Nirvana, un salon de beauté pour homme d’Islamabad : « Je pense qu’aujourd’hui les femmes ne veulent plus seulement quelqu’un de grand et bien bâti… Elles veulent des hommes soignés… »

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Les zones rurales ne sont pas touchées. Les hommes y portent encore le vêtement traditionnel et la coupe de cheveux standard est « plutôt court et dégagé sur les oreilles ». Déodorants et hydratants y sont considérés comme peu virils et, ajoute Jeremy Page, les Talibans résidant dans les zones tribales le long de la frontière avec l’Afghanistan obligent les hommes à porter la barbe…

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Printemps 2008, la nouvelle atteint la côte Ouest des Etats-Unis, et le Los Angeles Times publie, le 9 juin 2008, un reportage de Lara King confirmant, d’Islamabad, que « le nombre de ceux qui [au Pakistan] se rendent dans les salons [de beauté] pour traitements et massages faciaux, manucurie et pédicurie ne cesse de croître ».

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« Le Pakistan peut bien être un pays musulman, traditionnel et plutôt macho, le commerce de la beauté masculine y est en pleine expansion », note Lara King. Les hommes, jeunes et moins jeunes, urbains et professionnels, lui semblent avoir adopté le comportement de leurs « homologues » étrangers [!], faisant de l’exercice, se faisant épiler à la cire, nettoyer, hydrater et pomponner comme jamais.

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La tendance n’est pas près de s’inverser, en dépit des difficultés économiques. Nauman Zafr, par exemple, qui est banquier, avoue sans réticence, alors qu’on lui fait les ongles dans un « bar à ongles », qu’il n’a pas l’intention de renoncer à sa manucurie-pédicurie mensuelle sous prétexte que la situation économique est devenue un peu tendue : « J’aime être à mon avantage et me sentir bien… Je renoncerais à beaucoup d’autres choses avant de renoncer à ça… »

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Le « glamour mâle » sévit particulièrement dans la sphère publique, où les nouveaux dirigeants du pays soignent ostensiblement leur image. Ainsi, Asif Ali Zardari, leader d’un des grands partis gouvernant le pays, le PPP (Pakistan People’s Party) et veuf de Benazir Bhutto [surnommé « M. 15% »], a cessé de teindre sa moustache en noir de jais, aujourd’hui gris argent.

« Teindre sa moustache, c’est un peu « passé » [en français dans le texte] ; le ‘naturel’ est plus subtil, plus sophistiqué », dit Nadia Furqan – la directrice générale du salon Nirvana, déjà citée par Jeremy Page…

Lara King évoque alors, elle aussi, Nawaz Sharif, leader de la Ligue musulmane pakistanaise, l’autre grand parti de la coalition gouvernementale, revenu dans son pays après une dizaine d’années d’exil, pour préciser, apparemment plus informée que Jeremy Page : « son frère, lui aussi homme politique, et lui-même, visiblement dégarnis au moment de leur départ, étaient revenus avec des boucles abondantes… et l’on avait parlé d’implants capillaires… »

« On les appelait « les frères chauves », dit un journaliste de Lahore, fief des frères Sharif. « Ils ont l’air différent aujourd’hui. Mieux. »

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Riaz Assam, pharmacien, est ravi : « Ils achètent tout – produits capillaires, produits pour la peau –, se renseignent longuement et ne veulent que le meilleur… Ils prennent ça très au sérieux. »

« Si j’aime qu’une femme soit attrayante, je dois faire moi-aussi des efforts, explique Munir Imtiaz, en prenant rendez-vous avec une manucure ; du moins, c’est ce que ma petite amie [!] me dit… »

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Mais le bonheur des uns… Nirvana a été obligé de fermer pendant 15 jours, l’année dernière, après une campagne « anti-vice » lancée par des religieux d’une mosquée proche…

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Début juin 2008, la France républicaine se demande quoi penser de l’application, par un juge de Lille, d’une règle du droit des Affaires à un conflit d’ordre privé : l’annulation d’un mariage au motif que l’une des parties au contrat, l’« épouse », était, au moment de la transaction, et de son propre aveu, non conforme à son « descriptif technique », « célibataire et chaste », i.e. « vierge », raison suffisante pour invalider la dite transaction, assimilée à l’acquisition d’un bien – décrété, en l’occurrence, non commercialisable…

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Le New York Times met immédiatement sur le coup 4 de ses journalistes (femmes) ; leur article, publié le 10 juin 2008 par le Herald Tribune Europe (propriété du NYT), met l’« affaire de Lille » en perspective.

Extraits :

« La population musulmane s’accroissant en Europe, de plus en plus de jeunes musulmanes se retrouvent prises entre les libertés que les sociétés européennes accordent et les traditions fortement enracinées de leurs parents et grands-parents…

Les gynécologues font état d’une augmentation sensible de demandes de « certificats de virginité » par des musulmanes, ces dernières années.

… Conséquence : les chirurgiens plastiques font face à une demande croissante… d’« hymenoplastie », ou restauration de l’hymen, fine membrane vaginale déchirée, en principe, lors du premier rapport sexuel… Hymenoplastie qui, si elle est bien faite, disent les chirurgiens [interrogés], ne sera pas détectée et « produira » un saignement vaginal [« authentique »] la nuit de noces…

Indispensable, si l’on en croit le témoignage d’une des interviewées, d’ascendance marocaine et âgée de 26 ans, qui a perdu sa virginité il y a 4 ans, lorsqu’elle est tombée amoureuse de l’homme qu’elle veut aujourd’hui épouser. Son fiancé et elle ont décidé de partager le coût de son hymenoplastie – près de 3000 euros, dans une clinique près des Champs-Elysées.

« Sa famille marocaine (étendue) est très conservatrice », explique-t-elle. « Elle a exigé qu’un gynécologue marocain – ami de la famille – examine les preuves de sa virginité avant le mariage… Ils savent qu’on peut renverser du sang sur les draps pendant la nuit de noces, alors il faut que la ‘‘ preuve’’ soit solide… »

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Il n’y a pas de statistiques fiables à propos du nombre de femmes qui ont recours à ce type d’intervention, le plus souvent effectuée dans des cliniques privées et, pour la majorité, non prise en charge [par la Sécurité Sociale ou les Mutuelles]… [Mais] la publicité pour ce « service » est abondante sur Internet ; il existe des formules « tourisme médical » à destination de pays comme la Tunisie [!], où l’intervention est moins chère… que dans une clinique (privée) parisienne…

« Si vous êtes une musulmane élevée en Europe, où les sociétés sont ouvertes… vous avez toutes les chances d’avoir des relations sexuelles avant le mariage », dit Hicham Mouallem, chirurgien à Londres, où il pratique des hymenoplasties. « Alors, si vous envisagez d’épouser un musulman et ne voulez pas avoir de problèmes, vous tacherez de ‘‘récupérer’’ votre virginité… »

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Le sujet est devenu d’une telle actualité qu’il a inspiré un road movie, présenté à Berlin en février dernier et récemment sorti en Italie : Corazones de Mujeres (Cœurs de femmes), réalisé par Davide Sordella, raconte l’histoire de Zina (Waldi Ghizlane), marocaine vivant à Turin, qui se rend au Maroc [!] à la veille d’un mariage arrangé, en compagnie d’un travesti, Shakira (Aziz Ahmeri), pour y subir l’« opération »…

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Sources :

Jeremy Page, « Men lead rush to beauty salons despite Islamist threats », Daily Times Monitor (« A New Voice for a New Pakistan »), 25 septembre 2007.
Laura King, « Pakistani men sitting pretty », Los Angeles Times, 9 juin 2008.

Elaine Sciolino & Souad Mekhennet (Katrin Bennhold contributed reporting from Paris and Elisabetta Povoledo contributed from Rome), « For Muslim Women in Europe, a medical road to virginity », International Herald Tribune Europe, 10 juin 2008.

Illustrations :

Spice Girls 1, copyright Patrick Jelin.
Nomade, copyright Alain Bellaïche.

Liberté, copyright Patrick Jelin.


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