David Genzel, qui anime David-et-Céline-vont-en-bateau, blog justement apprécié dans le VIe arrondissement de Paris, m’a invité à voir le dernier « film » de Quentin Tarantino et à lui faire part de mes réactions…
Mon cher David,
Sur ta suggestion (!), je suis allé voir le dernier film de Quentin Tarantino. Avec réticence. Je n’avais pas aimé son traitement des Pulps, admirable trouvaille grâce à laquelle des millions d’américains – principalement mâles, je suppose, et ayant fait peu d’études – ont pu se frotter, sans qu’il y paraisse, sans qu’ils s’en rendent compte, à la tragédie grecque et à ses enseignements.
Une tragédie parlant argot, pleine de truands, de durs à cuire, de créatures vénéneuses et même d’extra-terrestres, où les Dieux, devenus pulsions partielles (concupiscence, hubris, mépris, jalousie, par exemple) continuent de tirer les ficelles, de faire la nique au Logos et de tourner les hommes en bourrique.
De cela, Tarantino n’a rien vu et a tourné en ridicule un genre très authentique, parce qu’on ne triche pas facilement avec ceux qui sont pauvres de vocabulaire et aux prises avec Anankè. Genre nourri d’expériences acquises, si l’on peut dire, pendant la Grande guerre, les grèves et les affrontements syndicalistes/briseurs de grève, ou encore produites par des imaginations particulièrement inventives : Asimov, Bloch, Brown, Chandler, Conrad, Goodis… C’est pourquoi je m’étais épargné Kill Bill.
Eh ! bien, de Inglorious Basterds, je n’ai pas grand chose à dire : je m’attendais au pire, je n’ai donc pas été surpris. Ce n’est pas un film « de guerre » qui, venant bien tardivement, essaie de renouveler (mal) le genre - à la manière de ces metteurs en scène qui déguisent les comtes de Mozart ou les Dieux de Wagner en VRP ou en demi-sels pour les « rapprocher » des spectateurs, et finissent par livrer un spectacle à la « Chez Michou » : c’est un jeu vidéo. Qui renvoie à d'autres jeux vidéo, qui renvoient à des clips. Il n’est donc pas pertinent de relever les inconsistances et les aberrations. Dans The Last Action Hero, Danny Madigan, essayant de convaincre un Arnold Schwarzenegger incrédule que l’univers dans lequel ils se trouvent tous 2 est fictif, lui fait remarquer que toutes les filles sont jolies… Rien de tel ici.
Tarantino n’évoque pas de façon (très) contestable une époque terrible, des faits, des hommes, en un mot, des référents. Il exploite, sans autre règle que le fun, des signifiants vides – non, bien sûr, pour les ringards, ceux qui se souviennent, mais pour les béats du virtuel –, s’en fait gloire dans de très nombreuses interviews – et a raison de le faire, si j’en juge par le gros succès de ce produit bien ficelé.
Il a fait un (bon) produit de divertissement pour les innombrables cohortes de ceux qui, non pas dédaignent, mais ignorent totalement les angoisses pascaliennes : pour les jeun’s de tous âges, qui ne veulent entendre parler ni du passé ni du lendemain, qui séjournent dans l'épatant présent de la marrade et de l’éclatade, dont les enfants – quand ils en ont – sont « sympas », sont des « copains », qui embrassent une « cause » le temps de son effervescence médiatique pour l’oublier assez vite, qui ne répugnent pas à l’outrance verbale et sont incapables de mesurer combien obscènes sont certaines comparaisons – Jacques Chirac, Georges W. Bush fascistes, Israéliens = Nazis, Gaza = Auschwitz, par exemple –, parce que les mots n’évoquent pas grand chose pour eux, sinon les significations approximatives qu’ils leur prêtent. Comme dans Alice au pays des merveilles… Alors, « plus jamais ça... », « devoir de mémoire... » ? Foutaises !
Cependant, j’observe que ces signifiants vides n’ont pas été choisis entièrement au hasard : il n'est pas question de Romuliens, de Cardassiens ou de Vulcains ; il y a des bons, il y a des méchants – en 3 D mais sans substance –, les bons sont essentiellement des américains juifs, non des Jouifs, les méchants des Nazis, pas des Nazifs ; les bons, venant sauver des populations impuissantes, peuvent se comporter en sauvages vis-à-vis des méchants, les trucider avec jubilation à la grande satisfaction des spectateurs, ceux de la salle (de province) dans laquelle j’ai vu le « film » par exemple, les scalper, graver des svastikas sur leur front, etc. Aucun spectateur, spécialement en Allemagne, ne se lèvera pour protester avec véhémence et dire, comme Franz Liebkind (joué par Kenneth Mars dans The Producers de Mel Brooks), l’auteur malheureux de l’immortel Springtime for Hitler : « Mein Fuehrer never said this 'baby' and 'man' and 'OW!!...' » Plaisir « innocent ». Catharsis bon marché.
J’observe donc que ces bons, essentiellement des américains juifs, s’approprient les pratiques des natives, des indiens américains : ils sont donc parfaitement assimilés – d’une manière peu politiquement correcte… C’est amusant, si l’on veut, un peu inquiétant quand on pense à l’article, hallucinant, de Donald Boström, publié récemment (le 17 août 2009) par un journal populaire suédois proche du Parti social-démocrate, Aftonbladet, qui affirme que les Israéliens (= Juifs !) tuent des ‘palestiniens’ pour voler leurs organes ; c’est aussi un lapsus.
De fait, si beaucoup de soldats juifs américains ont participé aux combats en Europe, à quelques exceptions près, les américains juifs ne se sont pas beaucoup agités pour les Juifs européens en train d’être déportés. Les sionistes (libéraux ou socialisants, majoritaires) pour des raisons dures mais justifiées à leurs yeux : ne pas laisser interférer une cause, quelque noble qu’elle fût, avec le seul objectif qui comptait à leurs yeux, la création d’un Etat. – Les sionistes de droite, ont eu une tout autre attitude, mais ils étaient très minoritaires, et c’est une autre histoire, qui demande à être re-racontée.
Les autres, l’écrasante majorité, soucieux de ne pas mettre en péril leur fragile position de citoyens récents d’un pays très hostile aux Juifs, ont fait profil bas – comme on ne dit pas en français. Ils n’ont jamais manifesté pendant la guerre pour que les quotas d’admission des Juifs aux Etats-Unis soient augmentés, et ont tous voté pour F. D. Roosevelt qui, bien que très tôt averti de ce qui se passait en Europe, a toujours refusé d’intervenir, de bombarder les lignes de chemins de fer allant vers les camps de concentration, par exemple, de peur que l’on pût dire : « Les Etats-Unis font la guerre pour les juifs ». – Incidemment, les américains juifs votent toujours « Démocrate », qu’il pleuve ou qu’il vente, à 80%...
Quant aux Nazis, certes nombreux sont ceux qui ont trouvé refuge après la guerre dans certains pays d’Amérique du Sud et dans plusieurs pays arabes, mais beaucoup ont été « récupérés » par les Américains et enrôlés dans la lutte contre le communisme…
En résumé, Inglorious Basterds est un jeu vidéo techniquement bien fait, gore par moments – mais qu’attendre d’autre ? – parfaitement en phase avec l’époque, son succès le prouve, qui me navre profondément. J’en suis sorti un peu accablé, me sentant irrelevant, métaphysiquement vieux d’avoir connu des résistants, des déportés, d’en connaître encore, mais les rangs s'éclaircissent, de ne pas parvenir à ne pas me sentir en dette à leur égard, de ne pas pouvoir prendre à la légère cette affaire-là. En un mot, de ne pas pouvoir participer au fun. J’avoue préférer le One, Two, Three de Billy Wilder.
Voilà. Je ne suis pas sûr de devoir te remercier pour ta suggestion…
Salut et civilité, bises à Céline,
Richard
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