mardi 13 octobre 2009

Relooking ?



« - Humm ! sale affaire : peu d’indices, pas de témoin ! »

Fred Othon Aristidès dit Fred


On a rapporté dans cet espace [voir Timeo Danaos, etc., mis en ligne le 19 juillet 2009] l’étrange émotion qui a dessaisi la Grèce politique, médiatique et chrétienne-orthodoxe il y a quelques mois, une Grèce devenue folle du désir de faire pièce à l’Israélien-implacable – qu’elle parvient d’autant moins à dissocier du « Juif » de son vieil Imaginaire, au « genre de vie contraire à l’humanité et à l’hospitalité »[1] qu’elle ne « sait » probablement pas qu’elle est (toujours) hantée par lui –, qui s’est mobilisée pour faire exister un référent introuvable, un « hôpital chrétien » situé à Gaza que le dit Israélien-Juif aurait détruit sans état d’âme, au cours de l’opération Plomb durci…

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Après enquête, il apparaît que cet hôpital « existe » bel et bien : à preuve, le président Sarkozy a convaincu le premier ministre israélien, M. Benjamin Netanyahou, de bien vouloir accepter que cet hôpital soit reconstruit avec l’aide financière de la France et du Qatar, si l’on doit en croire Al Jazeera du 30 septembre 2009, citant le quotidien israélien Ha’aretz :

« ... Le premier ministre israélien a accepté [en tant que geste humanitaire...] de permettre l’entrée de matériaux à Gaza pour reconstruire un hôpital... détruit par un obus [un obus] tiré par un char israélien pendant la guerre de 22 jours menée par Israël dans le territoire l’hiver dernier, écrit [aujourd’hui] Ha'aretz... en réponse à une demande française...

[B.] Netanyahu a indiqué [au président] Sarkozy qu'il ordonnerait à son ministère de la défense d’autoriser l’entrée de ciment, notamment, dans la bande de Gaza... Israël limite l'importation de matériaux de construction dans l'enclave [!] qui reste sous siège israélien.

La reconstruction de l'hôpital [doit être] entreprise par la France et le Qatar... »[2]

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Mais là où le désir aveugle au point de faire halluciner le Réel, où le rêve éveillé travaille à plein, sans y penser, il procède par déplacements facilement repérables, et condensations bricolées – comme le dit à peu près Freud dans L’Interprétation des rêves : l’hôpital en question est bien situé à Gaza (au sud de Gaza City, à Tal Al Hawa, pour être précis, « The wealthy Tel al-Hawa district of Gaza City » dit le Sunday Times[3]) ; il ne s’agit pas d’un hôpital « chrétien » mais de l’hôpital Al Quds (qui, pour le Regional Office [West Bank & Gaza] for the Eastern Mediterranean de la World Health Organization, se trouverait en Occupied Palestinian Territory[4]), d’une capacité de 100 lits, administré par la Palestine Red Crescent Society...

Quant à sa « destruction »… Rappelons-nous :

- Le jeudi 15 janvier, l’AFP écrit, dans une dépêche en provenance de Gaza : « Touché par un obus [un obus], l'hôpital Al-Quds, dans le quartier de Tal al-Hawa, était en proie aux flammes jeudi soir. »[5]

- Le vendredi 16 janvier 2009, ABC News reprend cette dépêche où l’on peut lire ceci :

« Pendant que s’intensifiait le combat, des douzaines de familles... serrant des sacs de voyage emballés à la hâte, étaient arrivées à l'hôpital [Al Quds] et s’étaient installées où elles pouvaient, ne sachant rien des horreurs qui les attendaient.

Au moment où les civils effrayés se réfugiaient dans le batiment, une partie de l'hôpital prit feu à la suite d’une frappe israélienne. L’incendie a été maîtrisé dans la partie médicale mais pas dans le bâtiment administratif... »

Mais aussi ceci :

« L'effondrement de l'aile entière d'un bâtiment [un bâtiment] a déclenché un moment de panique parmi les patients et les familles cherchant protection, et a provoqué l’incendie... »[6]

- Le vendredi 16 janvier 2009, toujours, Associated Press rapporte que les « travailleurs médicaux ont fait, ce jour, le tour des décombres fumantes de l’hôpital Al Quds... qui a été frappé par trois obus [trois obus] israéliens la veille. Il n'y avait rien de récupérable à l'intérieur de la carcasse noircie... »[7]



- Le dimanche 18 janvier 2009, le Sunday Times écrit que « le plus gravement touché a été l'hôpital Al-Quds à Al-Hawa. Le personnel a dû déménager 500 patients [500 patients] au milieu de la nuit pendant que le feu faisait rage. ‘‘J’étais assis par terre au rez-de-chaussée quand, soudainement, il y a eu une explosion énorme’’, raconte Mohamed Al-Helou, ambulancier. ‘‘Je me suis précipité pour aider à transporter certains des patients vers les étages inférieurs, et j'ai entendu une autre explosion. C'était alors que j'ai réalisé que l'hôpital lui-même était la cible de tirs’’... »[8]

Entre-temps, le Comité International de la Croix-Rouge (CICR) avait publié un communiqué où l’on pouvait lire, entre autres, ceci :

« Bien que l’hôpital Shifa continue de fonctionner de façon ordonnée et efficace, sa capacité à faire face au nombre élevé de patients atteint sa limite. Outre recevoir et traiter les nouveaux blessés, il a dû s'occuper de 60 patients [60 patients] évacués de l’hôpital Al-Quds et d'un centre de réadaptation à Gaza City, tous deux endommagés par les bombardements du 15 janvier...

Les travaux de remise en état de l’hôpital Al-Quds, administré par la Palestine Red Crescent Society, sont en cours après une évaluation rapide conjointement [?] effectuée avec des membres du personnel du CICR. Les conduites d'eau alimentant l’établissement ont été gravement endommagées par le bombardement. Le fonctionnement des services devrait revenir à la normale d’ici 3 à 5 jours. L'entrepôt de la Palestine Red Crescent Society, qui a été également bombardé jeudi, a été réduit en cendres. Des stocks substantiels de marchandises de première nécessité ont [ainsi] été détruits... »[9]



En résumé : un entrepôt du Croissant Rouge palestinien de Gaza-sous-le-contrôle-du-Hamas, situé à proximité de l’hôpital Al Quds, pas l’hôpital lui-même, a été détruit. L’hôpital Al Quds, administré par le Croissant Rouge palestinien de Gaza-sous-le-contrôle-du-Hamas, a été touché par un obus israélien qui a endommagé les canalisations d’eau qui l’alimentent – que le CICR, au lendemain des faits, juge réparables en 5 jours.

Voilà ce qui pourrait être à l’« origine » de l’effervescence grecque évoquée plus haut, une des nombreuses manifestations de cette nouvelle religion – une illusion partagée, pas une erreur selon Freud – qui enflamme depuis la guerre des 6-Jours (1967) la planète compassionnelle en plein déni [10], de l’Arctique à l’Antarctique, de l’Orient à l’Occident : l’anti-israélisme radical.

Et puisqu’il s’agit d’un a priori, d’un transcendantal et pas d’un jugement, même biaisé [!], au vu des résultats d’une enquête « sur le terrain », précédant logiquement et chronologiquement toute protestation d’injustice, éventuellement fondée – qui peut ignorer la force des tentations, la faiblesse des hommes et des institutions en tout lieu ? –, toute critique, éventuellement justifiée – quel citoyen d’un pays libre, un israélien par exemple, peut ne pas être un jour en désaccord avec son gouvernement pour des raisons de doctrine ? –, toute argumentation (géo)politique « rationnelle », on peut y reconnaître une phobie. Un nouveau visage de la vieille Judéophobie[11].

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Maintenant, la France et le Qatar ont décidé de reconstruire [?] cet hôpital-là, endommagé mais non détruit, et le président français a convaincu le premier ministre israélien de faciliter cette reconstruction en laissant entrer à Gaza du ciment et autres matériaux ce qu’Israël refuse ordinairement au motif que ces matériaux servent à construire des rampes de lancement de missiles – du genre de ceux qui se sont abattus par centaines, des années durant, sur le sud d’Israël, finissant par entraîner une tardive (et limitée[12]) riposte militaire – et des tunnels permettant la contrebande des armes, des « combattants », des femmes destinées au réconfort tarifé, et des biens, par exemple [13] ? Cela infirme-t-il ce qui vient d’être avancé ? On laissera ce point en suspens…

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Ce qui n’empêche pas de s’interroger sur le contenu d’une dépêche diffusée le 26 mars 2009 par la Maghreb Arabe Presse (MAP):

« Le Maroc a promis de reconstruire la faculté d'agronomie de l'université d'Al-Azhar et la partie détruite [la partie détruite] de l'hôpital d'Al Quds à Gaza aux termes de deux accords signés ici [Fez] jeudi, sous la présidence du Roi Mohammed VI.

Le premier accord, signé par le directeur du secrétariat privé du roi, M. Mohamed Mounir Majidi, et le président suppléant de l'université d'Al-Azhar, M. Youssef Joumaa Salama, stipule que la reconstruction de la faculté d'agronomie d'Al-Azhar University, détruite pendant l'agression israélienne à Gaza en février [!], sera financée par le roi [lui-même].

Le second accord, signé par le gouverneur de la banque centrale du Maroc, M. Abdellatif Jouahri, le représentant du Croissant Rouge palestinien, M. Younes El Khatib, et le directeur de l'hôpital Al Quds, M. Khalid Jouda, concerne la reconstruction de la partie détruite [la partie détruite] de l'hôpital Al Quds. Ce deuxième projet sera financé à hauteur de 33, 57 millions de dirhams (3, 87 millions de dollars), montant des donations faites par les marocains et versées au compte bancaire ouvert sur les instructions du monarque, président du Comité Al Quds. »[14]

Et de se demander : réparer des canalisations, est-ce si long, est-ce si coûteux ? Et encore : où sont donc passées les généreuses donations effectuées par les marocains qu’il faille en outre compter sur l’argent de la France et du Qatar, et la bonne volonté du premier ministre israélien ?


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Plus largement : pourquoi, diable, l’armée israélienne a-t-elle bombardé cet hôpital ?

D’après la dépêche de l’AFP datée du 15 janvier 2009 citée plus haut, « une avance israélienne dans le secteur [de l’hôpital] a déclenché de furieuses batailles avec des combattants palestiniens...

Une cacophonie assourdissante, obus de tanks, missiles, artillerie, rafales tirées d’hélicoptères, armes automatiques, a empli l’atmosphère comme la bataille s’engageait, à moins de 100 mètres du batiment, sous un épais nuage de fumée, les combattants palestiniens accueillant les troupes en avance avec des mortiers et des fusées antichar, les tanks tirant des obus depuis le sol et les avions arrosant le secteur de missiles depuis les airs.

Des combattants armés du Hamas, vêtus d’uniformes bleus et noirs, l'un d'entre eux portant le drapeau vert de son mouvement islamiste, couraient vers le bas d’une rue à 100 mètres de l'hôpital, en tirant avec leurs Kalachnikov... »[15]

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Qu’ajouter de plus ? Que la vérité d’une croyance n’a pas de contraire, qu’aucun fait ne peut lui apporter de démenti, que rien ne peut la réfuter ; par conséquent, lutter pour que la « vérité » soit (r)établie, plaider la pureté des intentions, la malheureuse inévitablilité des « bavures », la bonne foi ou, simplement qu’il est légitime pour un Etat de protéger ses citoyens, contre un a priori ne peut être une bonne défense ; enfin, que l’indignation devant ce qui semble être mais n’est pas de la « mauvaise foi » – l’affaire est bien plus grave –, quelque compréhensible qu’elle paraisse, n’est pas ce que requiert la situation. Non pertinente.


***

Notes :

[1] Hécatée d’Abdère (philosophe et romancier, contemporain de Ptolémée Soter, 306-283 av J.-C.), cité par Théodore Reinach, Textes d’auteurs grecs et romains relatifs au judaïsme, 1895, rééd. Paris, L’Arbre de Judée/Les Belles Lettres, 2007 : « A la tête de cette colonie [expulsée d’Egypte] était un personnage nommé Moïse, aussi distingué par la sagesse que le courage. Il prit possession du pays [la Judée] et y fonda plusieurs villes, entre autres celle qui est aujourd’hui la plus célèbre et qu’on appelle Hiérosolyma [Jérusalem]... Il ne fabriqua aucune image des dieux, persuadé que la divinité n’a pas figure humaine... Les sacrifices et les coutumes qu’il établit étaient entièrement différents de ceux des autres nations ; par souvenir de l’exil de son peuple, il institua un genre de vie contraire à l’humanité et à l’hospitalité (apanthropon tina kai misoxenon bion) », pp. 15-17 – nous soulignons.

[2] « Gaza al-Quds hospital to be rebuilt », Al Jazeera, 30 septembre 2009.

[3] « Israel declares ceasefire as it hails success of bloody Gaza onslaught », The Sunday Times, 18 janvier 2009.

[4] Voir le bandeau sur la page d’accueil de WHO : www.emro.who.int/palestine/index.asp page=health_facility.facility_data&id=574

[5] Gaza: l'offensive israélienne continue, les efforts diplomatiques s'accélèrent, AFP, 15 janvier 2009.

[6] « Patients flee as flames engulf Gaza hospital: medics », ABC News, 16 janvier 2009.

[7] Associated Press, « UN says Gaza hospitals in crisis », 16 janvier 2009.

[8] « Israel declares ceasefire... », article cité. – Il est à remarquer qu’aucune source, ‘palestinienne’ ou autre, ne semble faire état de victimes parmi les patients évacués.

[9] CICR, « Gaza: civilians continue to suffer despite hopes for imminent cease-fire », 17 janvier 2009.

www.icrc.org/web/eng/siteeng0.nsf/html/palestine-update-170109?OpenDoc

[10] Déni de reconnaissance du nouveau totalitarisme qui menace dangereusement les démocraties, la libre expression, le droit de dériver des individus ; deni de dette pour ceux chez qui le massacre systématique des Juifs s’est produit, qui y ont collaboré activement, ont fermé leurs frontières, ont accueilli des Nazis après la guerre, ou encore qui s’« identifient » aux ‘Palestiniens’, incapables qu’ils sont de se construire une figure sur leur propre « scène » ; déni d’appartenance pour ces Juifs qui ne veulent pas assumer la souveraineté, qu’ils tiennent qu’un Etat juif ne peut être établi que par le Messie fils de David en personne, ou bien, qu’ayant adopté un judaïsme du cœur et de la foi, ils aient de fait renoncé à la notion d’Exil, ou que leur « sensibilité » politique les y conduisant ils ne veuillent aucunement être solidaires de ce qui se passe « là-bas », où qu’ils résident ; ou bien encore, qu’ils se sentent peu concernés.

[Ajouté le 18 octobre 2009] Dans les mots de Jay Michaelson (« How I'm Losing My Love for Israel », The Forward, 25 septembre 2009) : « Je comprends pourquoi beaucoup d'Israéliens en ont assez du problème palestinien… mais, en tant qu’outsider, je ne veux plus me sentir coincé par leurs décisions et impliqué dans leurs conséquences. B'seder : c’est votre choix… mais ne me comptez pas dans le coup », cité par Daniel Gordis, « The I's have it », Jerusalem Post, 15 octobre 2009.

[11] Terme mis en circulation par Joseph Halévy, semble-t-il, bien « préférable » au très daté et restreint « antisémitisme » qui est aussi une grande source de confusion dès qu’il est question du « monde arabe ». Voir son article « Le calembour dan la judéophobie alexandrine », Revue sémitique 11, 1903, pp. 263-268. On peut aussi consulter le très intéressant livre de Peter Schäfer (qui cite J. Halévy), Judéophobie, Attitudes à l’égard des Juifs dans le monde antique (1997), tr. fr. Paris, Le Cerf, 2003. - Le livre de référence sur la métamorphose récente de cette figure est évidemment celui de Pierre-André Taguieff, La Judéophobie des Modernes, des Lumières au Jihad mondial, Paris, Odile Jacob, 2008.

[12] Qu’on pense, par exemple, à l’intervention russe en Tchétchénie avant d’objecter...

[13] Philosemitisme blog relaie le 8 octobre 2009, sous le titre « Le Hamas et les Madoff de Gaza » une information du site Elder of Ziyon rapportant les mésaventures de Gazouis qui ont investi dans un réseau de tunnels débouchant en Egypte, ont tout perdu quand l’aviation israélienne a bombardé ces tunnels en décembre 2008/janvier 2009 et demandent maintenant à être remboursés par les opérateurs... »

http://philosemitismeblog.blogspot.com/2009/10/le-hamas-et-les-madoffs-de-gaza.html

[14] « Morocco to reconstruct agronomy faculty, Al Quds hospital in Gaza », MAP, 26 mars 2009, reliefweb.int/rw/rwb.nsf/db900SID/SNAA-7QJ8M8?OpenDocument

[15] Alex Safian, « Update: “Destroyed” Al Quds Hospital Back to Normal in a Few Days », Camera, 22 janvier 2009 – à qui sont dues les références (à l’AFP, à AP et au Sunday Times ) ci-dessus.

http://www.camera.org/index.asp?x_context=2&x_outlet=2&x_article=1599


Illustrations :

- Après la noce © copyright Odile Vilmer.

- Carmagnole 2 © copyright Alain Rothstein.

- Asger Jorn à la Marie-Josèphe (Bruxelles) © copyright RZ.

- Berlin 30 © copyright Alain Zimeray.

- Fernand Léger, détail... © copyright RZ.

- Sauvé des eaux ? 1 © copyright Patrick Jelin.



Relooking © copyright 2009 Richard Zrehen




















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