mercredi 27 janvier 2010

Les Experts Manhattan-Karachi…




En mars 2003, Aafia Siddiqui, neurologue cognitiviste (!) pakistanaise de 31 ans ayant étudié la neurologie à Brandeis University[1] et la micro-biologie au Massachusetts Institute of Technology[2], en visite chez ses parents à Karachi, disparaît avec ses 3 enfants. La famille crie au kidnapping ; plusieurs organisations droits-de-l’hommiste lui font écho et accusent la CIA de l’avoir secrètement placée en détention…

Le 17 mars 2008, Aafia Siddiqui est arrêtée en compagnie de son fils aîné à Ghazni (capitale d’une des 34 provinces de l’Afghanistan, située à l’est du pays) par la police locale, intriguée par les allées et venues de la paire aux abords de la résidence du gouverneur de la province. Dans le sac d’Aafia Siddiqui, la police afghane découvre des documents détaillant la fabrication d’explosifs, des extraits de The Advanced Anarchist Arsenal[3], des bouteilles et des pots scellés contenant des liquides et des gels suspects. Elle est mise en cellule dans le poste de police le plus proche.

Le 18 mars 2008, un petit détachement américain – 2 agents du FBI, 2 soldats, 2 interprètes – se rend dans ce poste de police pour interroger l’une des 7 personnes les plus recherchées par le FBI depuis 2003, et surnommée depuis « la Mata Hari d’Al-Qaida » ou « la dame grise de Bagram » : « une victime iconique de la brutalité américaine »[4]. A l’intérieur, pendant que les agents du FBI entament l’interrogatoire avec l’aide des interprètes, les soldats entrent dans la même pièce par une autre porte, sans savoir que derrière le rideau qui coupe la pièce en deux se trouve la prisonnière – non menottée. L’un des soldats s’assied près du rideau, son fusil à ses pieds...

« Soudain, une femme hurle... » L’autre soldat se retourne et se trouve face à Aafia Siddiqui qui pointe le fusil sur lui. L’interprète le plus proche plonge sur elle et détourne le canon pendant que la scientifique, hurlant « Allahou Akbar », appuie 2 fois sur la détente sans atteindre personne. Dans le même temps, l’un des soldats sort son pistolet d’ordonnance, tire et blesse sérieusement la prisonnière à la poitrine, qui continue de se débattre vigoureusement et de hurler en anglais qu’elle veut « tuer des américains » quand les soldats essaient de l’entraver – selon la version du département de la Justice que conteste la prévenue.

« Après quoi, elle a été transportée en hélicoptère à la base aérienne de Bagram [au nord de Kaboul], où des médecins l’ont ouverte du sternum au nombril à la recherche de balles. Les dossiers médicaux montrent qu'elle a à peine survécu. 17 jours plus tard, convalescente, elle a été embarquée sur un avion du FBI et transportée à New York »[5].



Lundi 4 août 2008, Aafia Siddiqui est officiellement inculpée de tentative de meurtre sur la personne d’officiers et d’employés américains, et de rébellion. Elle encourt une peine de prison de 20 ans pour chacun des chefs d’accusation.

Plusieurs organisations droits-de-l’hommiste et l’avocate d’Aafia Siddiqui, Elaine Whitfield Sharp (du cabinet Whitfield Sharp&Sharp, spécialisé dans la maltraitance d’enfant et les actions civiles contre la police) refusent de croire à la version du département de la Justice américain et soutiennent que la scientifique est captive et maintenue au secret depuis 2003, et qu’elle a passé le plus clair de ces 5 années à la base aérienne de Bagram – ce que la CIA, le FBI et la Sureté Militaire américaine démentent formellement.

Par ailleurs, les Agences de renseignement américaines accusent Aafia Siddiqui d’avoir des liens avec au moins 2 des 14 membres importants d’Al Qaïda transférés à la base de Guantanamo en septembre 2006 : un agent – Majid Khan – et un neveu – Ali Abd al-Aziz Ali, également connu sous le nom d’Ammar al-Baluchi, qu’elle aurait même épousé juste après son divorce en 2003 – du pakistanais Khalid Shaikh Mohammed, arrêté le 1er mars 2003 – la veille de la disparition de la neurologue cognitiviste – qui a confessé depuis être, entre autres, l’organisateur principal des attentats du 11 septembre 2001...[6]



*

Aujourd’hui le procès d’Aafia Siddiqui, arrêtée il y a plus d’un an en Afghanistan avec un sac contenant des documents indiquant comment fabriquer des explosifs, 1 kilo de sels de cyanure et une liste de « cibles » incluant la Statue de la Liberté, Wall Street, l’Empire State Building et le Brooklyn Bridge, accusée de tentative de meurtre et de participation à une entreprise terroriste, a connu un début bizarre.

Au moment de la sélection du jury, l’ancienne étudiante de Brandeis University a déclaré qu’elle « boycottait » la procédure et demandé que les Juifs en soient exclus : « S’ils ont un passé sioniste ou israélien… ils m’en veulent tous… J’ai l’impression que c’est le cas de tous ceux qui sont ici… Il faudrait les soumettre à un test génétique (!)… » « Il faudrait les exclure, si vous voulez être équitable », a-t-elle dit au juge fédéral de Manhattan Richard Berman – qui est probablement juif.

Les possibles jurés n’étaient pas dans la salle lors de cette sortie mais étaient bien présents quand l’accusée a déclaré : « Je boycotte ce procès… Il y a trop d’injustice… »

Un peu plus tard, l’accusée a refusé de s’entretenir avec ses avocats, disant qu’elle n’avait pas confiance en eux. « Je n’ai pas plus confiance en vous » a-t-elle dit au juge Berman[7].

Elle a aussi demandé que du temps lui soit alloué pour prier, ce que le juge a accepté…[8]



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Notes :


[1] Située à 15 km de Boston et fondée en 1946 par Israel Goldstein, rabbin à New York et sioniste influent, avec l’aide notamment d’Albert Einstein ; Brandeis University qui, outre son département d’Etudes juives, couvre la quasi-totalité des domaines, des sciences au commerce international en passant par les arts et le management, est ouverte à tous les étudiants, sans distinction d’origine ou d’affiliation religieuse.

[2] « In 1992, en première année au MIT, Siddiqui a reçu le Carroll L. Wilson Award (assorti d’une bourse) pour son projet de recherche “Islamization in Pakistan and its Effects on Women” », Neurodoc, commentaire à Eugen Volokh, « No Trial by Jewry », The Volokh Conspiracy, 16 janvier 2010, http://volokh.com/2010/01/16/no-trial-by-jewry/

[Ajouté le 30 janvier 2010] Elle a aussi occupé ses loisirs à prendre des cours de tir. « Gary Wood worth, membre du Braintree Rifle and Pistol Club (Massachussets), a déclaré devant une cour de Manhattan qu'il avait appris au début des années 1990 à Aafia Siddiqui... comment charger plusieurs types d'armes de poing, viser et tirer avec dans le cadre d'un programme de la National Rifle Association », Bruce Golding, « Terror Ma Real Pistol », New York Post, 30 janvier 2010.

[3] Cf. David Harber, The Advanced Anarchist Arsenal, Boulder (Colorado), Paladin Press, 1991.

[4] Declan Walsh, « The mystery of Dr Aafia Siddiqui », The Guardian, 26 janvier 2010.

[5] Idem.

[6] D’après Eric Schmitt (avec Mark Mazzetti, Eric Lichtblau et William K. Rashbaum), « Pakistani Suspected of Qaeda Ties Is Held », New York Times, 5 août 2008, et « Profile : Ali Abdul Aziz Ali, History Commons », http://www.historycommons.org/entity.jsp?entity=ali_abdul_aziz_ali

[7] Idem.

[8] D’après Alison Gendar, « Lady Al Qaeda' cries foul: Accused terrorist Aafia Siddiqui says toss Jews from jury pool », New York Daily News, 13 janvier 2010.



Illustrations :


- Pièce à conviction n°1 : Au Kotel © copyright Alain Bellaïche.

- Pièce à conviction n°2 : Dans la rue (Brooklyn) © copyright Patrick Jelin.

- Pièce à conviction n°3 : A la Boutique Apple (Brooklyn) © copyright Patrick Jelin.

- Pièce à conviction n°4 : Dans la rue 2 (Brooklyn) © copyright Patrick Jelin.



Les Experts Manhattan-Karachi… © copyright 2010 Richard Zrehen

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