vendredi 31 octobre 2008

A propos du Shas* (2)

… L'association entre le vieux sage… et le jeune rabbin allait vite se révéler fructueuse.

*

1984 marque donc un tournant dans la vie politique israélienne.

Jusque-là, le « Conseil des sages de la Torah » avait toujours recommandé le vote en faveur de l’Agoudat Yisrael, défenseur « officiel » des valeurs « juives »[1] (respect du chabat, exemption du service militaire pour les étudiants de la Loi, subventions aux écoles religieuses et soutien aux familles nombreuses) dans un Etat qui leur tournait volontiers le dos – et laissant aux sionistes de toutes nuances le soin de se préoccuper de Politique étrangère, de Défense ou d’Infrastructures. L’Agoudat Yisrael avait ainsi quatre députés depuis 1981. En 1984, le rav Shach et ses proches invitèrent à voter pour le nouveau parti, qui allait obtenir 4 sièges à la Knesset contre toute attente : celle des instituts de sondage, celle des politiques, celle des animateurs du Shas eux-mêmes.

En effet, l’affaire ne s’était pas bien engagée. A la veille de ces élections, le nouveau parti avait peu d'argent, n'avait pas d'appareil politique et le rav Yossef aussi bien qu'Aryeh Dehri manquaient singulièrement d'expérience dans le domaine. A preuve, quand il s'était agi de nommer un dirigeant à la tête du parti, Aryeh Dehri avait suggéré au rav Yossef d'ouvrir l'annuaire et de chercher parmi tous les rabbins locaux ceux qui pourraient faire l'affaire. C'est ainsi qu'ils avaient choisi Yitzhak Peretz (originaire de Casablanca), rabbin de Ra'anana dont ils ne savaient pas grand chose, sinon qu'il avait belle allure et ressemblait un peu à Herzl, ce qui pourrait servir dans la campagne. Yitzhak Peretz fut donc convoqué chez le rav Yossef pour apprendre qu'il avait été nommé à la tête du Shas...

Un semblant de campagne avait néanmoins pu être mené avec l’aide de volontaires eux-aussi passablement inexpérimentés : l'essentiel du support était venu des étudiants séfarades des yechivot lituaniennes, compensant par l'enthousiasme et la détermination, le manque d'infrastructure et de ressources financières, peu nombreux étant les « institutionnels » et les hommes d’affaires désireux de s’engager publiquement et d’apporter leur contribution.

Le résultat surprit donc beaucoup de monde, à commencer par les promoteurs de l'opération : le Shas avait non seulement réussi à attirer une grande part de la mouvance lituanienne (séfarade autant qu’ashkénaze) mais aussi à capter des électeurs orientaux et surtout séfarades non orthodoxes – ce qui allait vite se révéler décisif. Le Shas entrait au gouvernement d’union nationale dirigé par le travailliste et futur prix Nobel de la Paix Shimon Peres ; le Parti National Religieux perdait le ministère de l'Intérieur qui revenait à Yitzhak Peretz, qui le garderait jusqu’en 1987 – année à la fin de laquelle débuterait la première Intifada, appelée « guerre des pierres »; Aryeh Dehri devenait son directeur de cabinet et l'un des « torts » faits au rav Yossef était, en quelque sorte, redressé.

*

Aux élections suivantes, en 1988, le Shas allait obtenir 6 sièges de députés et former un groupe avec les deux députés de Deguel HaTorah (le drapeau de la Torah), parti ashkénaze « symétrique » du Shas, fondé par le rav Schach pour contenir l'influence grandissante des hassidim au sein de l'Agoudat Yisrael. L'intérêt pour le Shas des électeurs orientaux et séfarades non orthodoxes, probablement séduits par sa couleur « ethnique » et qui avaient jusqu'ici plutôt voté pour le Parti National Religieux ou pour le Likoud, se confirmait [2]. Le Shas renforçait sa position au sein du gouvernement d’union nationale dirigé par Yitzhak Shamir, Aryeh Dehri devenait ministre de l'Intérieur à 29 ans, le plus jeune ministre depuis la fondation de l'Etat.

Poste auquel il va se faire apprécier bien au-delà de son camp : notamment, par un certain nombre d’arabes israéliens qui l’appellent officieusement « cheik Dehri », sensibles qu’ils sont aux mesures qu’il prend en leur faveur, par exemple en finançant des travaux d'infrastructure, compensant ainsi, partiellement, plusieurs années de relative négligence de la part des gouvernements antérieurs [3].

*

A mesure que l'influence du Shas grandissait, la personnalité mais aussi les ambitions d'Aryeh Dehri s'affirmaient, avec l'approbation du rav Yossef : engageant, moderne, perçu comme plutôt libéral par une grande presse qui n'en revenait pas et voyait en lui le prototype de l'ultra-orthodoxe nouveau, celui qui avait aboli la censure au théâtre dès sa prise de fonction, ce charmeur à l'aise dans « son » monde comme dans le monde profane, entendait intervenir non seulement dans les domaines censés intéresser sa mouvance, législation religieuse, financement des écoles et des œuvres sociales, mais aussi dans le domaine politique proprement dit, notamment celui de la sécurité et de la paix, domaine dans lequel les partisans stricts de l’Agoudat Ysrael avaient toujours refusé de s’aventurer. Certains commentateurs commencent à lui voir un destin national.

*

Les travaillistes, ayant déjà en vue les pourparlers avec l'O.L.P. qui aboutiraient en 1993 aux accords d’Oslo 1, et qui ont pris connaissance avec étonnement de l’importante décision halakhique du rav Yossef, délivrée à la fin des années 70, qui permet de « céder une partie d'Eretz-Israel à des non-Juifs si cela doit éviter des guerres et sauver des vies », commencent à courtiser Aryeh Dehri, consacré homme de l’année par les deux quotidiens Ha’olam Haze (Notre Monde, extrême-gauche) et Yom Hachichi (Le sixième jour, ultra-orthodoxe). Shimon Peres l’aide à organiser, en 1989, une visite officielle en Egypte du rabbin Ovadia Yossef (qui avait exercé au Caire, de 1947 à 1950, les fonctions de rabbin et de président du tribunal rabbinique) – il sera l'hôte du président Moubarak – et, jugeant approprié de le tenir désormais informé de la situation diplomatique et militaire, lui fait parvenir régulièrement des documents confidentiels par l'intermédiaire de Yossi Beilin et Haim Ramon.

*

Le conflit avec le rav Schach couvait. Celui-ci pouvait parfaitement se réjouir du succès du Shas quant à sa capacité à attirer à lui en nombre non négligeable des séfarades dits traditionalistes [4] – ceux qui ne vont à la synagogue que pour les fêtes et quelques solennités familiales, et n'ont pas de problème pour aller assister à un match de foot-ball le jour du chabat – et les agréger à la cause de l'observance, mais ne pouvait accepter de voir le Shas devenir un véritable parti politique, avec un programme autonome, encore moins de le voir pactiser avec l’ennemi « sioniste ».

*

En 1990, le conflit devient ouvert : convaincu qu'il est possible d'augmenter la puissance institutionnelle du Shas en opérant un renversement d'alliance politique, Aryeh Dehri envisage de provoquer la chute du gouvernement d'unité nationale dirigé par Yitzhak Shamir (Likoud) et de le reconstituer avec le Parti travailliste sous la direction de Shimon Peres. Le Shas pourrait s'affranchir de la tutelle ashkénaze, remplacerait le Parti National Religieux à la tête des institutions religieuses, et aurait les moyens de développer conséquemment son réseau d'établissements scolaires ; il se verrait même confier un ministère-clé, celui des Finances – selon l'accord négocié avec Haim Ramon pour le compte des travaillistes.

Mais Aryeh Dehri, décidément novice en politique et enivré par sa trop rapide « réussite » comme il le reconnaîtra, mais avec réticence, plus tard [5], n'avait pas su, entre autres maladresses, apprécier ni rapport ni la nature) des forces et allait entraîner son mentor dans une impasse – ce dont il paierait chèrement un jour les conséquences.

*

Apprenant les projets du Shas, le rav Schach réagit avec colère : il ne veut pas entendre parler des travaillistes auxquels l’Agoudat Ysrael s’oppose depuis toujours – moins pour leur orientation « idéologique » (après tout, l’Agoudat Ysrael a une perspective plutôt « sociale » et « redistributrice ») que pour son hostilité au judaïsme (mesurable en particulier à la quasi disparition du « sujet » dans les programmes officiels d’enseignement sous leur long règne), à sa Tradition, à sa Loi, qui constitue pour le vieux maître lituanien l'essence du « sionisme » ; encore moins de ses alliés plus radicaux tenants, en la matière, d’un relativisme consensuel, proches du « multiculturalisme » d’inspiration américaine. La droite nationaliste, elle, en dépit de ses options politico-militaires, de ses positions sur Eretz-Israel et les Territoires occupés après 1967 – positions qu'il ne partage pas – lui paraît plus « juive » donc moins « sioniste »

*

Rappel : les « Lituaniens », mais aussi les disciples des rabbins hassidiques anti-sionistes (comme le Satmar Rebbe) ne servent pas dans l'armée pour des raisons doctrinales. « Dans Bezot Ani Bote'ach (De ceci, je suis sûr), le rav Schach se demande (...) s'il est permis ou non de faire la guerre et estime que la constitution d'une armée est une mauvaise chose qui n'est pas naturelle aux Juifs. Il estime également qu'il n'y a d'autre différence entre l'Exil (Galut) et la Rédemption (Gueula) que le règne du Messie et, comme le Messie n'est pas venu, que nous sommes toujours en Exil. En Exil, il est interdit aux Juifs de faire usage de la force » [6].

*

Le rav Schach laisse parler sa colère : il somme les étudiants séfarades et orientaux de ses yechivot de choisir entre fidélité au Shas et poursuite de leurs études (donc de leurs carrières) – ceux qui opteront pour le Shas seront exclus, ce que beaucoup ne sont pas prêts à faire. Néanmoins, le rav Yossef donne son accord à Aryeh Derhi pour qu'il poursuive dans la voie arrêtée. Les députés du Shas sont absents de la Knesset au moment du vote de confiance, le gouvernement Shamir est renversé et le chef de l’Etat, le président Herzog, entame des pourparlers avec les différents partis pour former un nouveau gouvernement.

Le rav Schach convoque alors le rav Yossef à une réunion de masse dans un stade de Tel-Aviv et là, il annonce publiquement que l'accord entre le Shas et le Parti travailliste est nul et non avenu. La réunion est télévisée, le rav Yossef, terriblement embarrassé, est obligé de revenir sur sa décision : le rav Schach avait montré son autorité sur le monde de la Torah



*

Le 10 juin 1990, Yitzhak Shamir reforme le gouvernement, sans les travaillistes mais avec l'appui du Shas.

Le 12 juin 1990, la police entame une enquête contre Aryeh Dehri, accusé de corruption. Ses locaux sont perquisitionnés, ses collaborateurs et son épouse sont interrogés, et des articles commencent à paraître dans la presse, notamment dans le quotidien populaire Yediot Aharonot, l'accusant de corruption et de détournement de fonds publics à son bénéfice et à celui du Shas. — L'affaire connaîtra son dénouement en 1997, avec la condamnation à quatre ans de prison d'Aryeh Dehri, pour corruption.

*

Son incontestable compétence talmudique, nécessairement acquise avec effort et humilité, n’avait pas immunisé le jeune rabbin-devenu-politicien contre l’hubris. Aryeh Derhi découvrait brutalement que jeune sous un certain rapport, l’Etat d’Israël était aussi un vieux pays. Où deux générations font un Establishment. Où les clubs privés, tel celui de ceux ayant « licence » pleine d’exercer le pouvoir, n’entr’ouvrent leurs portes qu’avec réticence au nouveau venu, même quand il a des appuis et des atouts. Où l’on doit passer par une période probatoire, respecter les règles – qui ne sont vraiment pas celles du débat d’idées, de l’échange réglé entre savants –, faire preuve de patience, d’obstination mais aussi de prudence. Bref, où l’on ne doit pas toujours prendre la première ouverture pour une opportunité. Aryeh Derhi découvrait à la dure qu’en politique tous les coups qui ne sont pas interdits – et encore ! – sont permis. Il avait pensé pouvoir ruser avec un vieux lion qui s’était autrefois battu contre les Britanniques, il en sentait à présent la morsure…


A suivre…


* Une première version, écourtée, de ce texte a été publiée sous le titre « L’apparition du Shas : l’indice d’une révolution politique et culturelle en Israël » dans Outreterre n° 9, Ramonville, Erès, 2004.

***

Notes :

[1} En septembre 1947, D. Ben-Gourion – qui dirait bientôt vouloir faire de son « pays » un pays « comme les autres » – avait trouvé un accord avec l’Agoudat Ysrael, envoyant une lettre à ses dirigeants leur promettant que dans le futur Etat d’Israël, le chabat serait le jour officiel de repos, il n’y aurait pas de mariages civils, les étudiants se consacrant à l’étude et menant une vie d’observance seraient dispensés de service militaire, qu’une entière autonomie, enfin, serait accordée aux Juifs orthodoxes en matière d’éducation. Promesses qui allaient toutes êtres tenues, une fois l’Etat créé par le vote de l’ONU que l’on sait.

[2] Cf. Peter Hirschberg, The World of Shas, p. 5.

[3] Cf. Peter Hirschberg, The World of Shas, p. 10.

[4] Le rabbin Rafael Grossman, président du Conseil Rabbinique d'Amérique (orthodoxe) refuse cette terminologie : « D'après les démographes, la population juive d'Israël se répartit en : Datim = orthodoxes (20 %), Chilonim = laïques (40 %) et Masortim = traditionalistes (40 %). On définit généralement les Masortim comme des non orthodoxes, mais je crois que c'est une grosse erreur.

(...) Seuls ceux qui suivent scrupuleusement la halakha et observent le chabat et la cacherout sont considérés Datim. Qui sont les traditionalistes ? (...) Ceux qui se rendent à la synagogue pour les fêtes et, à l'occasion, pour quelques chabats... qui suivent globalement la cacherout... Beaucoup se rendent à la synagogue chaque chabat mais vont à la plage ou font quelque chose d'équivalent quand l'office est terminé. Mais la synagogue qu'ils fréquentent est orthodoxe comme l'est le rabbin auquel ils font appel quand besoin est. En Israël, les Juifs Masortim sont, dans leur écrasante majorité, séfarades... L'incapacité à les considérer comme des orthodoxes peut les conduire à s'identifier... à un mouvement déviationniste... », The Jewish Press, 2-8 août 1996, p. 13.

[5] Dans un entretien accordé à Ari Shavit, Ha’aretz, 3 juillet 2003 : « AS - Ainsi, votre erreur est d’avoir provoqué des forces plus puissantes que vous ? AD - Mais je n’ai rien provoqué, Ari… Shas n’était pas fondamentalement un mouvement de protestation mais de proposition… »

[6] Cf. Aryeh Edrei, From Kibiyah to Beirut – The Revival of The Jewish Laws of War, p. 5 (conférence prononcée le 12 mai 2004 à Tel-Aviv, sur Internet : http://www.as.huji.ac.il/).

*

Illustrations :

Armoire électrique (Tel-Aviv), copyright Patrick Jelin.

Je prends... copyright Patrick Jelin.

Affiche du 9th Jewish Film Festival.

Quartier juif (Rome), copyright Serge Kolpa.

Fermés la nuit, copyright Alain Zimeray.

dimanche 26 octobre 2008

A propos du Shas* (1)


L’opinion éclairée associe spontanément « archaïsme » et « jusqu’au-boutisme » à « religieux », ce qui n’est pas toujours injustifié… Encore plus quand il est question d’Israël, où l’existence même de partis « confessionnels » paraît à beaucoup être, sinon un scandale, du moins un anachronisme. On présente ici le plus récent et, parce qu’il n’entre pas facilement dans les cadres post-voltairiens, probablement le plus intriguant d’entre eux – qui occupe une place importante dans le jeu politique israélien actuel.

*

Le Shas [1] (Sfaradim Shomréi Torah = Gardiens Séfarades de la Torah) est né en 1984, à l’initiative du rav Eliezer Menahem Shach, ancien dirigeant du Conseil des sages de la Torah, assemblée de plusieurs rabbins constituant l’instance dirigeante de l’Agoudat Yisrael, l’un des deux grands partis politiques du judaïsme ashkénaze en Israël (l’autre étant le Parti National Religieux, qui a succédé au Mizrahi).

*

L’Agoudat Yisrael est la branche « palestinienne » du Parti anti-sioniste fondé en 1912 en Pologne, pour défendre et promouvoir la halakha (loi juive réglant vie publique, vie privée, et pas seulement vie « religieuse ») ; l’Agoudat Yisrael participe à la vie institutionnelle de l’Etat laïque d’Israël mais ne lui reconnaît pas de légitimité, estimant que seul le Messie peut mettre un terme à l’Exil, ramener les dispersés en Terre sainte et leur donner une organisation politique étatique.


Dans les années 30, un groupe s’est séparé de l’Agoudat Yisrael, lui reprochant sa trop grande collaboration avec les organisations sionistes. En 1938, ce groupe s’est fait connaître publiquement sous le nom de Neturei Karta (Gardiens de la cité), invitant ses partisans à ne pas payer le « tribut de l’implantation » levé par les organisations du Ychouv (nom donné à la population juive de Palestine avant la fondation de l’Etat d’Israël) ; tribut destiné à financer la défense contre les attaques meurtrières menées (contre les « sionistes » mais aussi contre les communautés traditionalistes) depuis le début des années 30 par les partisans du prêcheur sunnite Izz ad-Din al-Qassam et du Grand Mufti de Jérusalem, Amin al-Husseini, et qui s’étaient intensifiées depuis 1936, date du déclenchement de la « Grande révolte arabe » (contre la présence anglaise, l’immigration juive et l’établissement d’un Foyer national juif en Palestine).

Les Neturei Karta sont violemment opposés à l’Etat d’Israël, qu’ils tiennent pour une hérésie, et entretiennent de bonnes relations avec l’OLP. – L’un de leurs leaders, Moshé Hirsch, a été nommé Ministre des Affaires juives de l’OLP par Yasser Arafat, en 1994…


Le Parti National Religieux – héritier du légendaire rav Abraham Isaac HaCohen Kook (1864-1935), premier grand rabbin ashkénaze de la Palestine sous Mandat britannique qui voyait dans la montée en Palestine des sionistes – contre l’avis des « siens » – le signe que la Rédemption du peuple juif était en marche, et estimait que ces sionistes, même athées, participaient à cette rédemption en faisant revivre la Terre –, parti orthodoxe « moderne », sioniste et mixte (ashkénaze-séfarade/oriental) a participé, depuis sa création en 1956, à toutes les coalitions gouvernementales et longtemps occupé le ministère de l’Intérieur et des Religions. Le Goush Emonim (Bloc de la foi) constitue l’aile la plus militante du PNR et représente les colons israéliens implantés dans les territoires (anciennement annexés par l’Egypte et la Jordanie) sous contrôle israélien depuis la guerre des 6-jours.

*

Le rav Shach, homme à l’influence très large, héritier de la grande tradition lituanienne (par opposition à la tradition hassidique) qui a aussi nourri le philosophe Emmanuel Levinas, par exemple, celle du Gaon de Vilna [2] et de ses disciples dont le plus connu est le rav Haïm de Volozhin, fondateur de la yeshiva de Volozhin, le plus fameux des établissements consacrés à l’étude de la Torah pendant plus d’un siècle et l’ancêtre de presque toutes les yechivot aujourd’hui en exercice , chef incontesté du monde dit « ultra-orthodoxe » et de ses yechivot (centres d’enseignement de la Tradition : Torah, Talmud, codes, midrachim, etc.), très rigoureux en matière de halakha, considéré comme un prince de la Torah [3] le « chef de la génération » a toujours eu une attitude différente de celle des autres membres de l’Agoudat Yisrael vis-à-vis des Juifs séfarades et orientaux.

Alors que la plupart des autres yechivot n’acceptaient qu’avec difficulté d’admettre en leur sein des élèves originaires du bassin méditerranéen (principalement du Maroc), le rav Schach, lui, les accueillait volontiers dans sa très réputée yechiva de Bnéi Brak, dès le début des années 70 : pour les sortir d’un environnement dangereux (les Juifs séfarades et orientaux arrivant en Israël après la fondation de l’Etat avaient été reçus avec suspicion et dédain par les autorités et envoyés dans des villes nouvelles où régnaient pauvreté, chômage et délinquance situées assez loin des grands centres urbains), pour les arracher au sionisme séculariste de l’école publique et les ramener (ou les maintenir) dans la voie de la Torah.

*

Ramener quelques uns des juifs séfarades et orientaux les plus endurants (parce qu’il fallait l’être pour se plier à une discipline à laquelle ils n’étaient pas habitués et se faire à un monde dont ils ne parlaient pas la langue le yiddish et qui les accueillait avec moins de générosité que son chef de file) à la Torah et à son étude approfondie, soit, mais parrainer un petit parti séfarade qui s’était fait connaître localement en 1983, gagnant 3 sièges aux élections municipales de Jérusalem à la surprise de tous et chercher à lui donner une audience nationale ?


Qu’est-ce qui a pu pousser le rav Schach à prendre cette voie, sinon la conviction que c’était un bon moyen d’ajouter à « la gloire de la Torah », c’est-à-dire de redonner du lustre au judaïsme séfarade – au passé illustre mais réputé avoir connu une éclipse au début du XXe siècle – en mettant en avant ses nouveaux « maîtres », ceux qu’il avait formés à sa sévère école, et leur donner la possibilité de ramener d’autres Juifs séfarades à l’observance stricte, affaiblissant le camp des sécularistes, mais aussi contrebalançant l’influence du judaïsme hassidique, majoritaire au sein du Conseil des sages de la Torah ?

Prêter des calculs politiciens au rav Schach est prendre la conséquence pour la cause, est ne pas comprendre comment fonctionne le monde de l’observance juive : un homme comme lui se préoccupe d’abord non pas de faire ou défaire des gouvernements mais d’accroître le nombre (et la compétence halakhique) des Talmidéi Khakhamim (disciples des Sages), de relancer avec vigueur la Tradition dans laquelle il a été instruit en tâchant de lui donner la plus forte impulsion possible ; se préoccupe donc de transmission et des moyens (matériels) de l’assurer.

C’est cela qui explique son intervention dans le champ politique, qui donne accès aux dotations budgétaires et permet de peser sur l’élaboration des lois « civiles », notamment celles concernant l’éducation et la famille, et donc de maintenir vivant l'ethos juif dans un Etat qui s’est d’abord construit en s’y opposant avec la plus grande des énergies, comme le raconte l’admirable Chien Balak (Hier et avant-hier) de S. J. Agnon, par exemple.




*

Sans le rav Ovadia Yossef, ancien Rishon Le Tsion (titre porté par les grands rabbins séfarades de la Palestine sous mandat ottoman et remis en vigueur par l’Etat d’Israël après 1948) et Aryeh Derhi, ancien élève de la yechiva Hebron de Jérusalem, le rav Schach n’aurait peut-être pas estimé possible ou justifiée son ambitieuse opération.

*

Le rav Ovadia Yossef, né en 1920 à Bagdad, est arrivé à Jérusalem à l’âge de quatre ans. A vingt ans, l’élève à la mémoire phénoménale [4] de Porath Yossef, la seule yechiva séfarade de Palestine à l’époque, est ordonné par le rav Meir Haï Ben-Zion Ouziel, le rabbin de Salonique qui allait être nommé Rishon Le Tsion en 1939 ; à vingt-cinq ans, il est nommé juge du Beth Din (tribunal rabbinique) séfarade de Jérusalem, poste rarement attribué à un homme de cet âge, ce qui donne la mesure de l’estime que lui portait déjà un monde connu pour son haut niveau d’exigence intellectuelle et morale. Après l’établissement de l’Etat d’Israël, le rav Yossef occupera des postes dans divers tribunaux (Petah Tikva, Jérusalem), sera nommé grand rabbin séfarade de Tel-Aviv-Jaffa en 1968 et, en 1973, Rishon Le Tsion.

Héritier d’une tradition multi-séculaire qui a, entre autres, donné le Talmud de référence (le Talmud de Babylone est bien plus étendu que le Talmud de Jérusalem et jouit d’une autorité plus grande), le rav Yossef est un halakhiste novateur et audacieux.

A titre d’exemples, on peut citer son opposition au port de la perruque pour les femmes mariées observantes (pratique ashkénaze) ou à l’usage du tabac :« Les fumeurs méritent de recevoir 40 coups de fouet et ceux qui fabriquent et vendent des cigarettes transgressent et seront châtiés par le ciel », a-t-il déclaré en 1997.

De plus de portée, sa décision concernant les Beta Israel d’Ethiopie (les « Falachas ») qu’il a reconnus être membres à part entière du peuple juif – ce qui ne semble être ni l'opinion de ses collègues ashkénazes, qui exigent qu'ils se « convertissent formellement », ni celle des Autorités, qui ne les admettent pas au titre de la Loi du Retour (spécifique aux Juifs) mais, au compte-goutte, en tant qu'immigrants ordinaires, traitement qu'elles n'appliquent pas aux olim (immigrants) de l'ex Union soviétique.

De plus grande portée encore, sa décision concernant les territoires occupés par Israël en 1967, qui affirme qu'« il est permis de céder une partie d'Eretz-Israel à des non-Juifs si cela doit éviter des guerres et sauver des vies ». Jusqu’au-boutisme ?

Cette position est combattue par les rabbins appartenant au Parti National Religieux, qui estiment, au contraire que « celui qui restitue une partie d’Eretz-Israel à des non-juifs devrait être puni selon le din rodef ». Le din rodef réfère à celui qui poursuit un juif et menace à l'évidence de le tuer : il est alors permis de le tuer préventivement. Selon la formulation reçue : « Si ton ennemi te menace, lève-toi et tue-le ».

*

L’assassin du premier ministre Ytzhak Rabin s’en était réclamé en 1995 à tort, faut-il préciser… Un individu n'a pas le droit de décider lui-même que cette halakha s'applique, que quelque halakha s'applique en général, seul une autorité rabbinique reconnue et, en cas de conflit, un tribunal rabbinique (comportant au moins trois juges) peut le faire, et cela n'a pas été le cas, même si certains rabbins (et quelques leaders politiques de la droite) se sont exprimés en ce sens. Plus récemment, Avigdor Nebenzahl, le rabbin de la vieille ville de Jérusalem l’a évoqué à propos du premier ministre Ariel Sharon, en vue de son plan de désengagement de la bande de Gaza, ajoutant toutefois : « Le din rodef n’est pas applicable en pratique à notre époque [non-messianique] » (Sefi Rachelevsky, Dangerous judaism, Ha’aretz, 13 juillet 2004) où « la loi est la loi du pays », (dina demalkhuta dina), précepte halakhique qui lie tous les juifs observants du monde entier.

*

Le rav Yossef a donc grande réputation dans l’univers de l’observance juive ; il est versé aussi bien dans la tradition séfarade qu’ashkénaze, a publié le premier de ses nombreux ouvrages à l’âge de dix-huit ans et obtenu le Grand Prix d’Israël (section : « écrits sur la Torah ») en 1970, pour la qualité et l’importance de son œuvre « légaliste ». Considéré comme « le » posek (décisionnaire halakhique) séfarade de sa génération, il jouit dans l’ensemble du monde juif séfarade et oriental d’un prestige égal à celui du rav Schach dans le monde ashkénaze mais, et la différence est importante, ses jugements en matière de Loi sont tenus pour moins stricts que ceux du maître ashkénaze [5], ce qui ne veut certainement pas dire qu’ils sont laxistes, mais qu’ils procèdent d’une autre perspective sur ce que veut la halakha [on revient de façon plus détaillée sur ce point plus bas].

*

A retenir : en 1983, le gouvernement d’Yitzhak Shamir refusait de revenir sur la loi limitant à 10 ans le mandat des grands rabbins ashkénaze et séfarade d’Israël, loi votée à l'initiative du Parti National Religieux après que les relations entre le rav Yossef et le rav Shlomo Goren [6] (grand rabbin ashkénaze d’Israël) se furent tendues, et, ne reconduisant ni celui du rav Goren ni celui du rav Yossef, les mettait de la sorte tous deux « en disponibilité ».


*

Aryeh Derhi, lui, est né à Méknès, au Maroc, en 1959, et a fait son alyah (« montée » en Israël) en 1968 avec toute sa famille. Craignant une possible mauvaise influence de l’environnement – les Derhi vivaient dans une banlieue pauvre de Tel-Aviv – ses parents l’envoient dans une yechiva ultra-orthodoxe à Hadera. Là, il se fait remarquer par la qualité de son travail et se voit offrir la possibilité de poursuivre ses études à Jérusalem, dans une yechiva lituanienne réputée, dépendant du rav Schach. A l’âge de 17 ans, le jeune Dehri, déjà considéré comme un brillant talmudiste, va se lier là d’amitié avec David, l’un des fils du rav Yossef, qui le recommandera à son père pour qu’il devienne le tuteur de son frère Moshé.

Vite, Aryeh Dehri est adopté par la famille Yossef qui le traite comme l’un des siens. Le rav Yossef accorde sa sympathie et sa confiance à ce jeune homme capable de discuter d’égal à égal avec les étudiants ashkénazes de sa yechiva et qui n’a pas, bien au contraire, rompu avec sa tradition spécifique – techniquement parlant, la Loi est la même pour tous ceux qui l’observent mais les modalités d’application (et les coutumes) peuvent varier. Et il ordonnera lui-même rabbin un Aryeh Derhi venant d’atteindre vingt-quatre ans [7], geste qui ne pouvait être interprété autrement que comme désignation de son futur successeur.

*

L'association entre le vieux sage, enfin reconnu après des années de petites humiliations endurées au sein du monde ashkénaze de l'observance [8], et le jeune rabbin, qui avait su échapper au déterminisme d'une origine modeste pour atteindre à l'excellence intellectuelle, en vue non seulement de donner enfin stature et visibilité aux séfarades observants mais aussi de créer un mouvement politique susceptible de représenter tous les séfarades du pays, allait vite se révéler fructueuse.



A suivre…



* Une première version, écourtée, de ce texte a été publiée sous le titre « L’apparition du Shas : l’indice d’une révolution politique et culturelle en Israël » dans Outreterre n° 9, Ramonville, Erès, 2004.

***

Notes


1. Shas est aussi l’acronyme de Shisha Sedarim, les six ordres ou sections du Talmud.

2. Elyahou ben Solomon Zalman (1720-1797), dit le Gaon (génie) de Vilna (aujourd’hui Vilnius, en Lituanie), mathématicien, talmudiste et kabbaliste immense, chef de file des Mitnagdim (traditionalistes), opposant résolu aux Hassidim (piétistes), disciples d’Israël ben Eliezer dit le Baal Shem Tov (1700-1760), qui prenaient selon lui des libertés avec la Loi orale et substituaient le sentiment à l’étude. — L'opposition doctrinale entre ces deux courants va fortement s'atténuer au XIXe siècle, les maîtres hassidiques de la deuxième génération réaffirmant l'autorité de la halakha et ramenant leurs disciples à l'étude juive traditionnelle, pour quasiment disparaître au XXe siècle. D'importantes différences de « style » subsistent néanmoins entre les deux courants, toujours en vive compétition pour la direction du monde de l'observance juive.

3. Au moment de sa mort, le journal des Lituaniens, Yated Neeman, dans son supplément nécrologique du 9 novembre 2001, ira jusqu’à comparer le rav Schah, dont le savoir était gigantesque et la modestie grande, à Moïse, celui que la Tradition juive tient à la fois pour le « rav » (maître d’enseignement) et l’« homme modeste » par excellence.

4. « Ses admirateurs racontent comment le jeune Yossef, alors étudiant pauvre à Jérusalem, passait son temps dans les librairies à lire et retenir les livres de commentaires rabbiniques qu’il n’avait pas les moyens d’acheter », Peter Hirschberg, The World of Shas, sur le site de The American Jewish Committee (http://www.ajc.org/InTheMedia/Publications), p. 14.

5. Voir le site Sefardic Sages Past & Present, à l’adresse : http://www.sephardicsages.org/harav.html

6. Shlomo Goren (1917-1994), né en Pologne, arrivé en Palestine en 1925, commence à douze ans ses études à la yechiva Hebron de Jérusalem et publie à dix-sept ans son premier ouvrage, sur le Michneh Torah de Maïmonide ; en 1936, il s’enrôle dans la Haganah et participe aux combats pendant la guerre d’indépendance de 1948. Nommé Chapelain des Armées, il devient parachutiste et atteint le grade de brigadier-général.

Fondateur du rabbinat des Forces Armées Israéliennes, talmudiste de premier plan et personnalité controversée dans le monde de l'observance juive, quatrième grand rabbin ashkénaze d’Israël, le rav Goren a beaucoup contribué à établir la halakha en matière de guerre, domaine plutôt négligé pendant la période de l'Exil ; il est connu du monde « profane » pour avoir sonné le chofar au kotel (Mur dit « des Lamentations ») en juin 1967, après la prise de Jérusalem par Tsahal pendant la Guerre des 6-jours.

7. Cf. Peter Hirschberg, The World of Shas, pp. 8-9.

8. Aucune forme du respect dû à un savant en Torah de son envergure n'a jamais été marquée par les rabbins ashkénazes ; par exemple, il n'a jamais été appelé à siéger au Conseil des Sages de la Torah de l'Agoudat Yisrael. Certains, dans les yechivot lituaniennes sont même allés jusqu'à dire de lui qu'il n'était qu'un « âne portant des livres », simplement capable de retenir le contenu de livres mais pas plus... Cf. Peter Hirschberg, The World of Shas, pp. 14-15.

*

Sources :


Shas, Wikipedia.org

Rav Kook, Orthodox Union, www.ou.org

Ovadia Yossef, Wikipedia.org

Shlomo Goren, judaicaheaven.com

Samuel-Joseph Agnon, Le chien Balak (hier et avant hier), traduit de l'hébreu par Ruth Leblanc et André Zaoui, Paris, Albin-Michel, 1971.

Levinas à Jérusalem, sous la direction de Joëlle Hansel, Paris, Klincksieck, 2007

Illustrations :

- Marcher… Lire…, copyright Patrick Jelin.

- David Ben Gourion dans une vitrine (Tel-Aviv), copyright Patrick Jelin.

- Mobilier urbain, copyright Alain Zimeray.

- Attente, copyright Patrick Jelin.

































dimanche 5 octobre 2008

Enfer (économique) pavé de bonnes intentions (socio-politiques)…


Dans l’après-coup de la Crise de 1929, le président F. D. Roosevelt crée, en 1938, la Federal National Mortgage Association, vite baptisée FaNnie MAe, pour apporter une garantie fédérale aux prêts immobiliers accordés par les banques, et permettre à l’« américain moyen » d’accéder à la propriété.

Fannie Mae, soutenue par le gouvernement, société semi-publique (elle a des actionnaires) autorisée à accorder et à garantir des prêts, procure des liquidités aux agences publiques en charge de l’immobilier, banques commerciales, courtiers, caisses d’épargne, etc., en rachetant les hypothèques que ces établissement ont prises sur les logements financés, leur permettant ainsi d’accorder de nouveaux prêts.

Ces hypothèques, Fannie Mae les rassemble et les revend par paquets – produits sûrs appuyés sur du « tangible » et garantis par l’Etat – aux banques d’investissement, assureurs et autres établissements financiers, qui les revendent à leur tour, ré-empaquetées, aux investisseurs.

Aux Etats-Unis, les dispositions du Glass-Steagall Act de 1933 qui, voulant lutter contre la spéculation réputée responsable du krach de Wall Street, interdisaient aux banques d’accepter simultanément des dépôts et de vendre des produits financiers (ce qui a amené la séparation entre banques commerciales et banques d’investissement), ont été annulées pour l’essentiel en 1999, par le Gramm-Leach-Bliley Act.

En 1970, le président Nixon crée la Federal Home Loan Mortgage Corporation, baptisée, elle, Freddie MaC, à la structure et au mode de fonctionnement analogues à ceux de Fannie Mae, pour étendre le marché hypothécaire et permettre à un plus grand nombre encore d’« américains moyens » d’accéder à la propriété.

**


Le 21 décembre 1965, l’Assemblée générale des Nations-Unies adopte la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CERD) qui mentionne, au nombre des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels devant être garantis sans distinction de race, le droit au logement (article V, paragraphe e, alinéa iii). Cette convention devient Traité avec son entrée en vigueur, le 4 janvier 1969.

*

Aux Etats-Unis, l’administration Johnson soutient le Traité mais c’est sous le premier mandat du président Clinton qu’il est ratifié, le 20 novembre 1994.

En 1999, Franklin D. Raines, vice-président de Fannie Mae de 1991 à 1996, puis directeur du U.S. Office of Management and Budget auprès du président Clinton jusqu’en 1998, est nommé président de Fannie Mae. Il le restera jusqu’à sa retraite anticipée en 2004 – pour cause de prise illicite de bénéfice et fausse présentation de comptes, entre autres…

Dès sa nomination, F. D. Raines lance un programme-pilote dans le cadre duquel des prêts sont accordés par les banques à des personnes aux revenus modestes, et les conditions auxquelles Fanny Mae rachète ces prêts, assouplies. Freddie Mac ne tarde pas à faire de même.

**


Le 29 septembre 1999, Steven A. Holmes signe un article dans le New York Times intitulé « Fannie Mae Eases Credit To Aid Mortgage Lending ».

Extraits :

« Fanny Mae… assouplit les règles concernant les conditions de crédit auxquelles sont accordés les prêts qu’elle rachète aux banques et autres prêteurs, ce qui pourrait aider à l’accession à la propriété des minorités et des personnes à faible revenu.

[…] Le programme pilote [implique] 24 banques présentes sur 15 marchés – incluant la région du grand New York… Il s’agit d’encourager ces banques à élargir l’offre d’hypothèque sur un bien immobilier aux personnes dont le crédit n’est généralement pas assez bon pour prétendre aux prêts classiques. Les responsables de Fannie Mae […] espèrent étendre ce programme à la totalité du pays au printemps prochain.

Fannie Mae, le plus gros acteur du marché des hypothèques du pays, a été soumise à une pression grandissante de l’Administration Clinton (!) pour qu’elle facilite l’octroi de prêts hypothécaires aux personnes à revenu faible et moyen, et à celle de ses actionnaires, désireux de la voir maintenir la croissance phénoménale de ses profits.

En outre, les banques, caisses d’épargne et institutions spécialisées dans les hypothèques ont fait pression sur Fannie Mae pour qu’elle les aide à accorder plus de prêts aux dits emprunteurs « sous-prime ». Ces emprunteurs, dont le revenu, la note de crédit et les économies ne sont pas assez bons pour prétendre aux prêts classiques, ne peuvent emprunter de l’argent qu’auprès d’institutions financières qui demandent des intérêts plus élevés – de 3 à 4% – que ceux de ces prêts-là.

‘‘ Fannie Mae a permis l’accession à la propriété de millions de familles dans les années 1990, en réduisant le montant de l’apport initial (!) ’’, a déclaré F. D. Raines… ‘‘ Mais il y a encore trop d’emprunteurs dont le crédit est juste en-deçà de ce que les règles comptables exigeaient jusque-là, et qui ont été contraints de payer des intérêts significativement plus élevés sur ce qu’on appelle le ‘marché des sous-primes’ .’’

[L’information sur ces emprunteurs-là est maigre mais, selon une étude… 18% des prêts du marché des « sous-primes » auraient été accordés à des emprunteurs noirs, contre 5% sur le marché des prêts classiques.]

En se lançant, même prudemment, dans ce nouveau type de prêts, Fannie Mae augmente significativement ses risques, ce qui ne devrait poser aucun problème en période croissance économique. Mais l’entreprise subventionnée par le gouvernement pourrait se retrouver dans une situation difficile en cas de retournement de tendance, ce qui forcerait le gouvernement à intervenir comme il l’a fait dans les années 1980, quand il est venu au secours des Caisses d’épargne qui avaient fait faillite.

‘‘ Plusieurs personnes, j’en fais partie, estiment que c’est l’histoire des Caisses d’épargne qui se répète ’’, déclare Peter Wallison, de l’American Entreprise Insitute. ‘‘ Si [Fannie Mae et Freddie Mac] échouent, le gouvernement devra intervenir et les racheter entièrement, comme il a racheté [la totalité] des Caisses d’épargne] ’’… »

**


Dans le même article, Steven Holmes note encore ceci :

« En fait, le nombre des accédants « minoritaires » à la propriété a explosé pendant le boum économique des années 1990. Le nombre de prêts hypothécaires accordés aux demandeurs Hispaniques a augmenté de 87% de 1993 à 1998 (!) selon le Harvard University’s Joint Center for Housing Studies. Pendant la même période, le nombre de prêts hypothécaires… accordés aux [demandeurs] Afro-Américains a augmenté de 71,9%, celui de ceux accordés aux [demandeurs] Asiatico-Américains, de 46,3%.

A comparer avec l’accroissement du nombre de ces prêts accordés aux blancs non-Hispaniques, 31,2%. »

***

Sources :

THE TANK, National Review, 30 septembre 2008Chuck Muth, The Economic Crisis, irreverentview.com, 29 septembre 2008.

Gregory S. McNeal, « 9 years ago today the NY Times predicted Fannie and Freddie », gsmcneal.com, 30 septembre 2008.

Steven A. Holmes, “Fannie Mae Eases Credit To Aid Mortgage Lending”, New York Times, 30 septembre 1999.

en.wikipedia.org/wiki/Franklin_Raines

en.wikipedia.org/wiki/Fannie_Mae

en.wikipedia.org/wiki/Freddie_Mac


Illustrations :

Ballerina, copyright Alain Zimeray.

Travail, copyright Patrick Jelin.

Promesse, copyright RZ.

Sans titre, copyright François Bensimon.

jeudi 2 octobre 2008

Promotion d’automne (1)

Un disque sombre et farcesque, un livre dynamisant, œuvres d’amis chers et inventifs, pour mettre la Crise en perspective …


1) Keio Line, par Richard Pinhas et Merzbow (pseudonyme du musicien bruitiste Masami Akita), A Dirter Release, triple record set DPROMTLP 67, 2008. – Triple album enregistré les 25 et 26 octobre 2007 à Tokyo.


Richard Pinhas, musicien et philosophe, est une créature hybride : de soleil et de brume, d’enthousiasme et de scepticisme, d’assertivité et de retrait. Il fréquente Nietzsche mais aussi Wagner, Spinrad et Hendrix ; il célèbre l’immanence que lui a enseignée Deleuze, dette infinie et assumée – transcendance !

Créature hybride et tendue, entre la Turquie de son père, ancienne terre d’accueil des Juifs rejetés d’Espagne, et l’Allemagne de sa mère qui a fait disparaître leurs cousins « européens » là où elle l’a pu. Distendue, plutôt : entre cantillation – cette façon de lire l’hébreu des Ecritures si proche du Sprechgesang de Schönberg – et concept, sensibilité et connaissance, imagination et théorie. De là vient qu’il est souvent espiègle avec sérieux, qu’il s’essaie à modaliser la théorie, à donner à entendre les sons imperceptibles qui se tiennent en réserve dans la gamme tempérée, qu’il fait une musique intense : dense et vibratoire.

De là vient qu’il trompe son monde, à la manière de Dylan apparaissant en rocker avec une guitare électrifiée, en juillet 1965, au Newport Folk Festival – et se faisant huer. Richard Pinhas, lui aussi, se sert d’une guitare électrique (et d’ordinateurs), pour moduler indéfiniment la brève-longue moléculaire – il a, au fond, peu de patience pour la mélodie, et c’est toujours une surprise quand un de ses titres est repris par un musicien évoluant dans un autre horizon.

Croyant le flatter, on a souvent pris Richard Pinhas pour un précurseur de Kraftwerk. Après plus de 20 albums (aux couvertures souvent inquiétantes, grâce à Dominique Fury et Patrick Jelin, notamment), il est clair que la parenté est à chercher du côté de Brian Eno et de Karlheinz Stockhausen. Redoutable.


Prix : 29 €



2) Usages contemporains de la phénoménologie, par François-David Sebbah et Jean-Michel Salanskis, Sens&Tonka, 2008. Deux auteurs de sensibilité différente dépeignent la situation actuelle de la phénoménologie.


Avant-propos :


[…] Il y a d’abord eu le séminaire « Usages contemporains de la phénoménologie » que nous avons co-organisé au Collège international de Philosophie [...] Nous avions le projet de tenter de nous orienter parmi les manières variées de faire de la phénoménologie, ou de l’étudier, ou de la rencontrer, ou d’en appliquer la méthode.

[…] La deuxième étape fut celle du colloque « Usages contemporains de la méthode phénoménologique », qui s’est tenu à Clermont-Ferrand en avril 2002… organisé avec Renaud Barbaras […] Première occasion de commencer à prendre du recul vis-à-vis de l’expérience du séminaire… et de chercher à expliciter ce que nous en avions tiré, comment notre « vision » de la phénoménologie et de ses enjeux avait pu bouger.

La troisième étape fut le projet du présent livre qui devait nous permettre d’approfondir cette réflexion […] Ouvrage à deux voix radicalement indépendantes. Nous n’avons pas cherché à « construire » une homologie de nos deux contributions […] au contraire, [à] exploiter la différence de sensibilité entre nous qui reflétait, croyions-nous, une bivalence interne à la phénoménologie propice […] à un héritage qu’on pourrait dire « littéraire » et comme aimanté par l’en-deçà ou l’au-delà – du positif, de l’objet, voire de l’être ou de la présence – aussi bien qu’à un héritage mathématique et fondationnel […]

Le plan adopté fut donc de mettre en regard, d’abord, deux manières d’envisager le dialogue ou la rencontre de la phénoménologie et de la science (les sciences cognitives contemporaines pour F.-D. Sebbah et la mathématique pour J.-M. Salanskis), puis deux manières de lire les textes phénoménologiques (Derrida, Henry, Levinas et Marion pour F.-D. Sebbah, Husserl et Heidegger pour J.-M. Salanskis), puis, enfin, deux manières d’envisager un avenir de la recherche en phénoménologie (dans la lignée de la « phénoménologie française » qu’on peut dire en un sens d’« écrivain » pour F.-D. Sebbah, comme éthanalyse pour J.-M. Salanskis).

[…] C’est sans doute l’attachement à ce que la phénoménologie exprime d’une exigence radicale de philosophie qui fait le fil rouge de ce parcours croisé où sont rencontrés [plusieurs] usages de la phénoménologie – dont certains s’assument légitimement comme non-philosophiques.


Prix : 19 €